Le 11 février dernier, la préfecture expulsait 80 familles, dont 110 enfants, de l’ancienne résidence Paul Ramadier, à Cenon. Quatre mois plus plus tard, le collectif de soutien de la Zone Libre a fait le point sur la situation des familles et, face au mutisme de la préfecture, interpellé la Défenseure des droits.
14 juin 2021. A Cenon, rue Camille Pelletan, les logements qui abritaient la Zone Libre sont toujours debout. Le chantier de démolition n’a pas encore commencé. Pourtant, en février dernier, la préfecture de Gironde a expulsé 300 personnes qui occupaient les lieux depuis 15 mois. Le collectif de soutien à la Zone Libre a dressé un bilan sur la situation des familles et continue de dénoncer le mépris de la préfecture envers les associations de défense des droits des étrangers.
Deux familles régularisées
Pour Brigitte Lopez et Gérard Clavet de Réseau éducation sans frontières, une minorité des familles évacuées le 11 février ont encore une solution assurée par l’Etat.
« Onze familles, dont les dossiers sont en cours de régularisation, sont hébergées en CADA (Centre d’accueil pour demandeurs d’asile) ou dans un 115. »
Pour le reste, les solutions d’hébergement relèvent de la solidarité :
« Douze familles bénéficient d’un accueil solidaire. Six familles sont hébergées à Darwin. Sept vivent en squat et sept autres chez des amis ou des connaissances. Quatre familles, dont deux ont obtenu des titres de séjours, se logent par leurs propres moyens dans des appartements. Deux familles sont retournées dans leur pays d’origine, et une est partie à l’étranger. »
Le collectif de soutien a recensé trois familles qui vivent à la rue ou dans leur voiture. En revanche, il n’a pas retrouvé la trace d’une vingtaine de familles.
Persona non grata
Si les associations restent mobilisées et entretiennent un contact régulier avec les anciens habitants de la Zone Libre, elles déplorent un dialogue rompu avec la préfecture :
« Notre dernier entretien avec la directrice de cabinet de la préfète remonte à juillet 2019, lorsqu’il y avait eu une vague d’expulsions, indique Aude Saldana-Cazenave, coordinatrice régionale de Médecins du monde (MSF). Depuis, les associations sont persona non grata à la préfecture. »
« En Gironde, on met les enfants à la rue, on ne régularise plus, on ne reçoit plus les associations de défense des étrangers » : c’est donc le titre d’une lettre ouverte rédigée par le Réseau éducation sans frontière (RESF33), ce 14 juin, suite à un échange avec la préfète, Fabienne Buccio.
S’appuyant sur la circulaire Valls de novembre 2012, qui précise les conditions de demandes d’admission exceptionnelle de séjour, l’association sollicitait le réexamen des situations des familles. Le texte précise bien l’importance pour cela de contacts réguliers avec « les associations ou collectifs de défense des étrangers reconnus au plan local ou national ». Mais la demande d’audience a été rejetée par la préfecture.
Dans ce contexte, RESF33 et les autres associations de soutien à la Zone Libre alertent sur des « pratiques locales et une politique globale particulièrement inquiétantes ». Elles dénoncent des disparités dans le fonctionnement des préfectures : à Toulouse, une délégation de RESF31 a été reçue en audience et des demandes de régularisation ont abouti favorablement.
« Faux procès verbaux »
Avocat retraité du barreau de Bordeaux, Raymond Blet avait mis en place en 2016 des consultations juridiques dans la « jungle » de Calais, évacuée par Fabienne Buccio. Soutien du collectif de la Zone Libre, il a adressé une lettre à la Défenseure des droits le 11 avril dernier. L’ancien avocat remet en cause la légalité de l’expulsion ordonnée par la préfète :
« Il y a deux points juridiques contestables : l’octroi de la force publique et l’intervention de l’huissier. Concernant cette dernière, de faux-procès verbaux ont été dressés. Systématiquement, l’huissier notait que le logement était vide, alors qu’il y avait encore des personnes dedans. »
La lettre adressée à Claire Hédon fait également mention d’autres manquement relatifs à l’huissier, comme des inventaires effectués sans la présence des occupants. Plus largement, sur l’expulsion en elle-même, Raymont Blet conteste « l’appréciation du droit que détient la préfète ».
La lettre évoque remet en cause la nécessité de cette expulsion, en période de froid et de pandémie et la non-considération de la situation des familles, notamment celles dont les enfants étaient scolarisés dans la métropole bordelaise.