On arrivera à l’oublier, mais ce sera difficile. Je parle du déferlement peu ragoutant qui aura suivi le face à face du 23 septembre entre Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon. Au début, rappelons-nous, l’appareil médiatique s’employa pendant quelques jours à compter les points. Qui a gagné ? Qui est le vainqueur ? Quelle fut l’audience (record) de cette « réussite médiatique ». Raisonnant ainsi, on se désintéressait du contenu. On n’évoquait quasiment pas ce qui s’était dit pendant deux longues heures ?
Nous étions nombreux à être honteux de cette pseudo équivalence entre les deux protagonistes de la « dispute ». Il s’était pourtant dit des choses qui auraient dû nous faire sauter au plafond. Comme si le n’importe quoi avait ce soir-là droit de cité. Zemmour affirmait quantité de choses qui n’avaient rien à voir avec la République, la démocratie ou la décence d’un débat digne de ce nom.
Rien ! Un silence étrange s’imposa. Comme si les 3,8 millions de téléspectateurs de ce débat étaient sonnés. Puis, on aurait dit que beaucoup voulurent profiter de cette aubaine en débattant avec Zemmour le « père Noël médiatique ». Il y eut foule de prétendant(e)s : Amélie de Montchalin, Bernard Henri Lévy, Ruth Elkrief et quelques autres vinrent affronter le « champion » de l’audience. On restait dans la logique de la « gagne » ou du « plus courageux que moi, tu meurs ».
Heureusement on vit naître un peu partout de vrais commentaires. Notre confrère Libération, le premier, avait brisé le silence en publiant cette « une » ou la photo de Zemmour était barrée par une question en gros caractère : « Peut-on débattre avec n’importe qui ? ». Puis d’autres textes arrivèrent. Certains étaient magnifiques. Je pense à celui — prémonitoire — de Frédéric Boyer dans son Bloc-Notes de « La Croix », publié avent le débat, et dont le titre posait une question simple « Entendez-vous la haine qui monte ? ». « Cet état de haine permanente, ajoutait-il, témoigne d’un désarroi général, social, intime, collectif et spirituel ».
Dans une autre chronique l’écrivain Alexis Jenni — prix Goncourt en 2011 pour « L’Art français de la guerre » — titrait sur l’essentiel : « Non, pas lui ! ». Il ne mâchait pas ses mots. « Zemmour n’est rien, et il est partout. Ses paroles partout répandues sont une fumée qui sort de sa bouche et le dissimule. […] Il lâche un propos clivant, on parle de lui, on s’épuise à lui répondre mais il est déjà ailleurs, dans un autre propos clivant qui relance la machine. »
Il y en eut d’autres, puis encore d’autres… Ces écrits restauraient un minimum de tenue. C’était déjà ça. Pour le reste la provocation « droitière » de Zemmour eut pour premier résultat de pousser les responsables politique vers la droite, y compris au sein de la « Macronie ». Les thèmes favoris de l’extrême droite (immigration, droit du sol, préférence nationale, etc.) firent leur retour un peu partout. La musique politique changea globalement de tonalité. Il faudra du temps, en effet, pour sortir de ce nuage toxique.
Avec le recul, je repense à un déjeuner avec ce même Zemmour, entre journalistes en somme. C’était en 2016 à La Cerisaie un petit restaurant proche de la gare Montparnasse. Nous bavardions comme on le fait dans les cafés. Tout à trac, il me parla de la situation politique, sur un ton dramatique en disant « tu comprends ce que je veux dire ». Il ajouta : « Le plus urgent, c’est d’acheter des armes, la guerre avec les musulmans est inévitable. En as-tu acheté ? ».
Des proches à qui je racontai la scène eurent du mal à me croire. J’ai décidé quant à moi de ne plus revoir le bonhomme. Jamais !