En guise d’avant-propos, l’auteure offre ces quelques vers écrits par le SCI Marcos, le sous commandant insurgé porte-parole de l’EZNL, l’armée zapatiste nationale de libération.
« Avez-vous entendu ?
C’est le bruit de votre monde qui s’effondre.
C’est celui du nôtre qui surgit à nouveau.
Le jour qui fut le jour il faisait nuit
Et il fera nuit le jour qui sera le jour
DEMOCRACIA !
LIBERTAD !
JUSTICIA ! »
L’utopie zapatiste est toute contenue dans ce lyrisme abondamment cité dans ce petit livre revigorant en ces temps de COP pour rien alors que l’effondrement est hurlant. Là-bas, en bas à gauche de cet immense pays qu’est le Mexique s’invente patiemment une alternative, ce Chiapas où s’élabore concrètement une autre forme du vivre ensemble portée par les indiens et basée sur une organisation ultra démocratique où tous les avis sont pris en compte, où la prise de responsabilité se nomme cargas, une charge éphémère, révocable et ne donnant lieu à aucune rémunération, où les femmes, les companeras prennent toute leur part.« C’est notre conviction et notre pratique que pour lutter et se dévoiler les leaders ou chefs ne sont pas nécessaires, ni messie ni sauveurs, pour lutter il faut juste un peu de honte, un soupçon de dignité et beaucoup d’organisation, le reste, soit il sert au collectif, soit il ne sert pas.” Extraits du dernier communiqué du SCI Marcos, mai 2014.
Le maître mot c’est autonomie, définie dans les accords de San Andrés en 1996, elle s’appuie sur les Caracoles, communauté indigènes offrant l’accès aux services sociaux de base, hôpitaux, écoles, artisanats, magasins d’approvisionnement. Ces caracoles, en référence à la spirale de l’escargot -du monde vers l’intérieur et vice-versa aussi celui qui peut rentrer se mettre à l’abri dans sa carapace- sont gérés par les Juntas de buen goberno, les conseils de bons gouvernements dont les délégués désignés dans les caracoles tournent très souvent. C’est là que les décisions importantes se prennent à l’unanimité après de très longues palabres.
« La prise du pouvoir non ! juste quelque chose de plus difficile : un nouveau monde » SCI Marcos
Mais si les Zapatistes pensent et agissent localement, ils pensent global selon la formule de René DUBOS, écologue français lors du premier Sommet de la Terre à Stockholm en 1972. Le capitalisme et le libéralisme sont ses ennemis tout autant que les forces armées mexicaines qui en sont souvent le bras actif dans les forêts du Chiapas. Et leur rapport avec l’actuel président progressiste AMLO, Andrés Manuel Lopez Obrador restent très tendues. Pour Françoise Escarpit, fine connaisseuse du Chiapas où elle s’est rendue de nombreuses fois, « Rien n’est gagné pour les Zapatistes. Et ce qui l’a été en matière d’autonomie, de santé, de justice, de genre, d’éducation et de progrès sur l’autosuffisance alimentaire, au cours de ces longues années de luttes, reste terriblement précaire. La pression du gouvernement est permanente avec une armée toujours présente dans la région. »
Françoise Escarpit signe là son 2eme ouvrage sur le sujet après « Marcos sous le passe montagne » en 2006 chez Syros. Elle fut très longuement correspondante de l’Huma à Cuba. Voir son portrait dans Ancrage n°59.
Jean-François Meekel