Un mois après son lancement « officiel », l’opération militaro-policière « Wuambushu », qui vise, à Mayotte, à détruire des bidonvilles et à expulser des milliers de Comoriens en un temps record, a réellement débuté le 22 mai. Et elle a déjà fait une victime : Abdou Abdallah Madi, un ouvrier de l’entreprise chargée par la préfecture de démolir le quartier de Talus 2, dans la commune de Koungou. Il se trouve que M. Madi, âgé de 47 ans, vivait dans ce quartier et qu’il faisait partie des habitants qui s’opposaient à sa destruction. Au moment d’écraser les maisons avec sa pelleteuse, il a été victime d’un accident vasculaire cérébral qui lui a été fatal. Un drame qui illustre la violence de cette opération diligentée par le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin.
Cette violence est physique bien sûr. Dès le début de l’opération (un temps suspendue par la justice française et enrayée par le refus de Moroni d’accueillir les personnes refoulées de Mayotte), les gendarmes de la CRS8 envoyés depuis la « métropole » pour engager les hostilités avaient donné le ton en faisant usage de leurs armes. Selon Le Canard enchaîné (édition du 24 mai), trois membres de cette compagnie ont tiré à douze reprises le 27 avril, et selon Mediapart, un jeune homme de 17 ans a reçu une balle dans le mollet ce jour-là. Nombre d’observateurs craignent des morts durant les semaines à venir.
Mais quel que soit le bilan final, on sait déjà que cette opération aura des effets dévastateurs pour l’ensemble de l’archipel. À la violence des actes s’est ajoutée une violence des mots qui laissera des blessures profondes. En l’espace de quelques jours, on aura entendu un élu mahorais (et pas n’importe lequel : le vice-président du Conseil départemental) appeler au meurtre de ceux qu’il a appelé, en direct à la télévision, des « terroristes » – sans que l’on sache si, dans son esprit, il voulait parler des « délinquants », des « jeunes étrangers » ou simplement des « Comoriens » ; on aura vu un député jadis chiraquien, Mansour Kamardine, écrire une tribune dans Valeurs actuelles, un journal d’extrême-droite condamné pour injures à caractère raciste et connu pour ses délires xénophobes, puis s’afficher fièrement aux côtés de Nicolas Bay, le représentant de l’infâme parti d’Eric Zemmour, Reconquête ; on aura entendu et lu dans les médias français à forte audience des activistes mahorais, ou de simples habitants, reprendre la théorie raciste du « grand remplacement » et essentialiser les « autres », avec qui ils partagent pourtant tout ou presque – dans un reportage du Monde, on a ainsi pu lire ce genre de bêtise : « J’aime bien les Grand-Comoriens, ils sont instruits et sérieux, pas comme les Anjouanais. »
En diligentant cette opération inhumaine, Darmanin a ouvert la boîte de Pandore du racisme et de la xénophobie, que plus personne ne sera en mesure de refermer désormais. Ces discours étaient déjà présents à Mayotte depuis longtemps, et la classe politique locale, qui n’a cessé, ces dernières décennies, d’attribuer tous les problèmes des Mahorais aux Comoriens des autres îles, en porte la responsabilité. Mais en leur offrant une audience nationale et en légitimant la violence comme seule réponse à la violence que subissent au quotidien les habitants de cette île, le ministre de l’Intérieur a apposé un vernis officiel à la fascisation des esprits, et n’a fait qu’accélérer le processus de délitement de la société mahoraise. Mais peut-être était-ce son objectif ?