Le 12 juin, des militants d’extrême-droite attaquaient le cortège de la marche des fiertés à Bordeaux. Depuis, les actions violentes du groupuscule bordelais se multiplient. Les associations réclament une action concrète de l’État et de la justice, pour eux, partiellement responsables d’un “glissement politique” vers l’extrême-droite.
Ce vendredi 7 avril s’est tenu le procès sur les violences qui ont éclaté lors de la Marche des fiertés, en juin dernier. Neuf hommes comparaissaient, tous issus de la mouvance d’extrême-droite et pour certains, déjà prévenus dans un premier procès, sur la “ratonnade” de Saint-Michel, quelques jours après la marche des fiertés. Tags, violences, depuis juin, les actions de ces militants nationalistes se multiplient dans la sphère bordelaise et interrogent sur la place de ces groupuscules aujourd’hui.
Plus de trente tags en six mois
Ce 12 juin 2022, la Marche des fiertés défile dans les rues de Bordeaux. Rapidement, des violences éclatent. Des jeunes, vêtus de noir, frappent les manifestants et envoient des jets d’acide sur la foule. C’est la première action d’une longue série. Les violences se renouvellent douze jours plus tard, cette fois dans le quartier Saint-Michel. Dans la nuit du 23 au 24 juin, une dizaine de jeunes se lance dans une chasse à l’homme. Coups, cris d’animaux fusent en quelques minutes.
Ces événements sont en réalité les points de départ d’une longue série d’actions, de ces militants, que certains associent à la Bastide bordelaise, nouveau nom du groupuscule Bordeaux nationaliste, dissout le 1er février 2023. Outre une irruption violente à l’université Bordeaux Montaigne, lors d’une conférence de deux élus France insoumise en décembre 2022, les membres du groupe se cantonnent aux tags, une trentaine dans la métropole bordelaise en six mois.
Planning Familial, ASTI, SOS Racisme ou encore le Boulevard des Potes sont les cibles privilégiées. Les élus aussi, et notamment Thomas Cazenave ou encore Frédéric Zgainski qui ont vu leur permanence recouverte de croix celtiques, un des symboles des mouvances d’extrême droite et de messages à caractère raciste, antisémite ou homophobe.
Si la répétition des actes pourrait faire croire à une montée de l’extrême-droite à Bordeaux, il n’en est rien, selon le Parquet de Bordeaux. “Nous ne faisons pas de statistiques sur le sujet, mais il est certain qu’il n’y a pas plus d’actions que les années précédentes. Elles défraient juste la chronique, ce qui donne ce sentiment”, précise-t-il.
L’union fait la force
Cette multiplication des actions, malgré les plaintes successives déposées par les associations et institutions bordelaises, commence à inquiéter. “On reste inquiets parce que l’extrême-droite, c’est un camp politique qui n’hésite pas à passer aux coups. Il y a une volonté de faire mal, voire de tuer”, explique Erwan Nzimenya, président de SOS Racisme à Bordeaux.
S’ils nous attaquent autant, c’est parce qu’on les dérange et surtout, parce que l’on avance.Annie Carraretto
co-présidente du Planning Familial Gironde
Pourtant, la peur ne les atteindra pas. Réunies ce mercredi à l’Athénée municipal de Bordeaux, les associations victimes refusent de céder aux pressions. “S’ils nous attaquent autant, c’est parce qu’on les dérange et surtout, parce que l’on avance”, souligne Annie Carraretto, co-présidente du Planning familial à Bordeaux, victime à de multiples reprises de tags dénonçant l’IVG ou les actions pro-choix de l’association.
Continuer d’avancer et de lutter contre ces groupuscules, c’était l’objectif de cette réunion. “Il faut qu’on renforce notre cohésion, entre associations et élus. Tout en continuant d’utiliser nos moyens légaux pour faire passer nos idées”, explique Tristan Poupard, président du Girofard, association LGBTQI+.
Les visages des extrêmes
Nationaliste, néofasciste, identitaire régionaliste, néonazi ou catholique intégriste, l’extrême-droite ne porte en réalité pas qu’un seul visage. Mais de ces diverses mouvances émergent des groupuscules, présents depuis des années dans la métropole bordelaise.
Les mouvements d’extrême-droite sont souvent très liés aux mouvements chrétiens, mais ici, il y a aussi un fort lien avec une certaine culture de la chasse.Vincent Tiberj
sociologue et politologue à Sciences Po Bordeaux
Si ce lien est politique, il est aussi financier. “Les personnes qui soutiennent ces mouvements ont beaucoup d’argent, qui permet de financer leurs campagnes, de s’organiser et de créer tout un maillage pour imposer leur vision d’une nouvelle société réactionnaire et intégriste”, rappelle Annie Carraretto.
En effet, dans ses archives, le Planning Familial date de son côté à 2013, les premiers tags sur ses locaux. Aujourd’hui, ces groupes aux noms différents (Bastide bordelaise, FRDeter, Action Directe identitaire…) se construisent sur les réseaux sociaux, en créant des “bulles informationnelles”. “Chacun derrière son clavier à l’impression de ne plus être seul dans ses idées. Ça leur permet de se légitimer et surtout de s’organiser”, explique Vincent Tiberj.
Du GUD à De Gaulle
Cette réassurance passe aussi par la mise en place d’une symbolique empruntée, encore une fois, à l’histoire. Croix de Lorraine en référence au général de Gaulle, croix celtique, mode opératoire du GUD dans les années 80 ou des groupes radicalisés des années 50, ces groupes recréent tout un imaginaire fondé sur une vision à la fois viriliste et xénophobe de la France. Des méthodes qui font du bruit, “pour pallier un nombre d’adhérents limité”.
Ils sont faibles d’un point de vue numérique. Déjà les jeunes militants tous partis confondus représentent 2%. Ces actions, c’est une manière d’occuper l’espace public.Vincent Tiberj, sociologue et politologue à Sciences Po Bordeaux
à rédaction web France 3 Aquitaine
Vincent Tiberj relie ces modes opératoires aux manifestations de papier, théorisées par Patrick Champagne pour évoquer des “mobilisations visant à agir sur les journalistes afin d’occuper l’espace médiatique dans le but de déclencher les prises de position des différents agents qui cherchent à peser sur l’opinion”. Autrement dit, compter sur les journalistes pour créer le buzz.
Médias porte-voix
Pour preuve, Pierre-Antoine Cazaux, président de la Ligue des droits de l’homme, raconte la sortie de garde-à-vue de deux prévenus, accusés d’avoir déployé une banderole sur la maison écocitoyenne de Bordeaux. “Ils sortent leur téléphone et se réjouissent aussitôt en criant “Wow, Libé nous a repris””.
Médiatiser ces actions au risque de faire le jeu de ces groupuscules ou se taire, le dilemme est aujourd’hui devenu quasi-inextricable pour ces associations.
Les médias ouvrent complètement les vannes. Certaines polémiques n’existaient que sur les groupes d’extrême-droite. Aujourd’hui, on peut en discuter à des heures de grande écoute.Olivier Escots
Adjoint au maire chargé du handicap et de la lutte contre toutes les discriminations.
Car si les actions violentes qui “créent le buzz” semblent devenir leur marque de fabrique, ces groupes usent désormais d’un vocabulaire abouti, qui reprend les codes du militantisme de gauche. “Ils parlent de “fémonationalistes”, pour contrer le féminisme. Ils évoquent des notions telles que la famille, l’enfance, pour aborder des thèmes comme la lutte contre l’IVG”, détaille Myrtille Bondu de Gryse, coprésidente du Planning Familial.
Glissement vers la droite
La présence quasi-hebdomadaire de cette extrême-droite bordelaise s’explique aussi par le calendrier politique. “Il y a un lien clairement établi entre électorat et groupuscule. Juste après les élections présidentielles sont intervenues les attaques de juin. Lors du procès de la ratonnade, ils ont d’ailleurs clairement exprimé leur lien avec Reconquête ou le Rassemblement national”, souligne Erwan Nzimenya, président de SOS Racisme.
Avec 88 députés élus, ainsi qu’une candidate au second tour, le Rassemblement national aurait ainsi permis à ces groupuscules de légitimer leurs idées et leur discours, ainsi que le parti d’Eric Zemmour, dont les phrases sont souvent reprises dans les tags bordelais.
“Il y a surtout une véritable porosité aujourd’hui entre l’extrême-droite et le reste des partis politiques. Le front républicain qui doit normalement faire barrage aux extrémismes se fissure, et il arrive désormais que des gouvernants aient des propos qui versent dans les discours d’extrême-droite”, alerte Olivier Escots.
Au sein des associations, un nom revient d’ailleurs fréquemment : Gérald Darmanin. “Sur les murs d’ASTI, le tag disait “moins de SDF, plus d’OQTF”, une phrase qu’avait prononcée quelques jours plus tôt le Ministre de l’Intérieur”, illustre Erwan Nzimenya. Pour ces associations, les discours et la volonté politique de Gérald Darmanin auraient aussi un véritable impact sur les actions des groupuscules “séduits” par les discours du Ministre de l’Intérieur.
Action gouvernementale requise
Le combat politique, au premier rang des préoccupations de ces associations, est d’ailleurs de plus en plus difficile à mener. “On continue de rappeler les préfets et les institutions à leurs responsabilités, au respect, tout simplement des droits des personnes, mais il n’y a pas assez qui est fait”, regrette le président de SOS Racisme.
À Bordeaux, la mairie, écologiste, condamne aussi un manque d’action de la part du gouvernement. “Emmanuel Macron doit maintenant donner des signes fort de lutte contre ces dérives. Nous avons écrit au préfet, au procureur, pour demander une réunion, nous demandons plus de CORAH (comité départemental opérationnel de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT+), mais l’État reste sourd à nos demandes”, explique Olivier Escots.
L’État n’est pas le seul dans le viseur des associations. La justice aussi est régulièrement accusée d’inaction. “C’est aux autorités de police et de justice de s’emparer réellement des dossiers, de prendre nos plaintes et de juger les auteurs avec sérieux”, martèle Oliver Escots.
Première réponse judiciaire : vendredi 24 mars, dans le procès de huit hommes accusés de violences racistes et sexistes dans le quartier Saint-Michel, le Parquet de Bordeaux a requis deux ans de prison dont un ferme. Ce vendredi 7 avril, il a requis entre six et dix mois de prison avec sursis. Les décisions, très attendues par les associations et les victimes, ont été mises en délibéré au 16 et 26 mai 2023.