À l’occasion de l’élection présidentielle, Novethic se penche sur ces débats oubliés, ceux qui n’occupent pas le terrain médiatique mais qui sont pourtant vitaux. Zoom aujourd’hui sur la décroissance, un concept défendu par Vincent Liegey*, ingénieur, conférencier et essayiste. Il rappelle que décroissance n’est pas synonyme de récession, bien au contraire. L’enjeu est d’inventer un nouveau modèle de société, plus juste et soutenable.
Quelle est votre définition de la décroissance ?
La décroissance, c’est un slogan provocateur qui a été inventé pour s’attaquer à la logique d’une croissance infinie dans un monde fini. Ce n’est tout simplement pas tenable et nous sommes en ce moment rattrapés de façon tragique par cette réalité, avec la guerre en Ukraine ou encore la publication du dernier rapport du Giec. Notre civilisation thermo-industrielle est à 80 % dépendante des énergies fossiles, avec des conséquences environnementales, sociales et humaines dévastatrices : hausse des inégalités, du chômage, de la précarité, des burn-out, pollutions, changement climatique… et la crise sanitaire du Covid-19.
L’enjeu de la décroissance est de reprendre en main l’économie au bénéfice du bien-être et non plus du profit et de réfléchir aux transitions nécessaires afin de sortir de notre dépendance à la croissance de manière sereine, démocratique et juste. Il faut désormais imaginer collectivement un nouveau modèle de société sobre et durable, ce qui n’implique pas de revenir à l’âge des cavernes. Quand on est petits, on aime manger des glaces, mais une fois adultes, on ne passe pas notre temps à en manger car on sait que ce n’est pas bon pour notre santé. De la même façon, nous devons nous réapproprier le sens des limites, et cesser de nous comporter comme des enfants pour enfin passer à l’âge adulte.
Comment construire ce nouveau modèle de société ?
Il faut se poser les bonnes questions, réévaluer ce qui compte vraiment, réfléchir à ce qui nous rend heureux, mieux nous réapproprier nos besoins une fois libérés de la publicité qui manipule nos désirs, redéfinir le sens de nos vies et finalement imaginer le monde dans lequel on veut vivre et que l’on souhaite léguer à nos enfants. Qu’est-ce que la belle vie, la qualité de vie ? Comment on s’accomplit ? Posséder, renouveler, consommer… est-ce vraiment le moteur de notre bonheur ? Ces questionnements supposent de reposer la question de notre rapport au temps, à l’autre, au travail, aux outils, à la nature, à l’économie.
Dans un système décroissant, notre première richesse serait le temps, le temps de faire les choses et d’en profiter pleinement. Prendre soin les uns des autres, ce qu’on appelle le “care”, participer à une initiative citoyenne, comme un jardin partagé ou une monnaie locale, ou encore se former ou prendre le temps de voyager… Que se passerait-il si on oubliait les notions de compétitivité, d’employabilité et de productivité, et qu’on les remplaçait par de la sobriété, de la coopération, du partage des tâches, du temps choisi, de l’utilité sociale ? Est-ce qu’on serait plus malheureux ?
Vous dites qu’il est temps de choisir entre une décroissance choisie ou une récession subie. Où nous situons-nous ?
Aujourd’hui, nous sommes clairement en train de subir. L’effondrement est déjà en cours avec une pression toujours plus importante sur les ressources et les matières premières et l’extinction de la biodiversité. Il aurait été souhaitable dans les années 70 de rompre avec les pressions énergétiques. Nous nous sommes enfermés dans la religion de la croissance dont il semble de plus en plus difficile de sortir. Mais les initiatives citoyennes, les enquêtes d’opinions, les débats sur la décroissance ou sur la sobriété montrent qu’il y a une prise de conscience sur les limites du capitalisme.
L’Ademe ou encore RTE ont récemment introduit des scénarios de sobriété dans leur rapport. Avec la guerre en Ukraine, l’ancien président François Hollande ou encore l’actuel ministre de l’Économie Bruno Le Maire, ont appelé les Français à faire preuve de sobriété en baissant par exemple la température chez eux. Il y a une réappropriation par le système dominant de la sobriété. Attention toutefois à ne pas défendre la voie de la sobriété dans une société de croissance, car cela reviendrait à la récession. C’est ce qui s’est notamment passé pendant le premier confinement. La question de la sobriété doit être posée dans le cadre d’une transformation en profondeur de nos imaginaires. Il ne s’agit pas de faire la même chose en moins mais autre chose en mieux.
Propos recueillis par Concepcion Alvarez @conce1
* Décroissance, Vincent Liegey, Isabelle Brockman, collection Fake or not, éditions Tana, septembre 2021, 112 pages.