Victorine Alisse est photographe. À l’occasion du festival “Les femmes s’exposent” qui a ouvert ses portes ce mardi en Normandie, elle présente une série de photographies intitulée “On avait tous un paysan dans la famille”. Son travail questionne le visage et les transformations du monde agricole.

C’est au milieu des champs de blé et d’orge, dans la commune de La Bassée, à 20 minutes de la gare de Lens, que Victorine Alisse a grandi près de ses grands-parents agriculteurs. Aujourd’hui, l’exploitation agricole n’est plus fonctionnelle. Les parents de Victorine vivent dans la ferme et sa grand-mère Marie-Paule habite la maison juste à côté.

L’enfance de la jeune femme est marquée par l’image de papi Pierre-Jean, comme elle l’appelle, sur son tracteur avec “toujours une gavroche sur la tête, le même jean bleu et une chemise verte”. Cette ferme familiale, c’est aussi des odeurs : celle des pommes de terre ou du foin, mais c’est aussi des souvenirs de balade dès l’aube en poney avec son grand-père et sa sœur.

Victorine Alisse et sa grand-mère, Marie-Paule, devant la ferme familiale
Victorine Alisse et sa grand-mère, Marie-Paule, devant la ferme familiale © Radio France – Lise LACOMBE

Jusqu’au jour en 2009 où son grand-père doit se séparer de ses terres à contrecœur face au refus de ses enfants de reprendre l’exploitation. Pour lui, l’événement est douloureux mais ce n’est que quelques années après sa mort que Victorine prend conscience de la difficulté de cette séparation.

C’est au cours d’une conversation avec sa grand-mère qu’elle comprend l’ampleur de cette perte. Elle se souvient : “Elle m’a raconté qu’elle avait vu mon grand-père pleurer sur son tracteur au moment de laisser ses champs. Je n’avais jamais saisi que ça représentait autant pour lui. Je me suis demandée ce que ça voulait dire d’être agriculteur. Et surtout, je me suis dit que si ça avait été douloureux pour mon grand-père, ça avait du l’être pour d’autres. Il y a un lien mystique avec la terre.”

Un déclic qui lui inspire une série de photographies intitulée “On avait tous un paysan dans la famille”. Pendant plusieurs mois, elle part à la rencontre d’une vingtaine d’agriculteurs pour documenter un mode de vie en voie de disparition.“En trente ans, la France a perdu plus de la moitié de ses exploitations agricoles. Je me suis dit : si je ne m’y intéresse pas maintenant, qu’est-ce qu’on va garder de tout ça ? Je voulais que toutes ces histoires isolées racontent quelque chose de la transformation du monde agricole. En prenant en photo les agriculteurs, j’ai essayé de trouver en eux une forme d’authenticité, de les prendre tels qu’ils sont. C’était à la fois un hommage à mon grand-père et à la fois un questionnement plus large sur ce qu’il en est de la disparition des fermes en France”, explique-t-elle.

Pour sa série de photos "On avait tous un paysan dans la famille", Victorine a photographié son grand-père paternel, lui aussi agriculteur près de Torcy.
Pour sa série de photos “On avait tous un paysan dans la famille”, Victorine a photographié son grand-père paternel, lui aussi agriculteur près de Torcy. – Victorine ALISSE / Collectif Hors Format

Son cliché préféré de cette série : la photo de son autre grand-père, Gérard, agriculteur lui aussi près de Torcy dans le Pas-de-Calais dont aucun des quatre enfants n’a voulu devenir agriculteur. Elle précise en regardant le visuel : “J’aime cette photo où il est assis dans sa cuisine, l’air très sérieux avec une tasse de café, qui je trouve est très emblématique du milieu d’agriculteur. Ça me touche.”

La photographie, un mode de vie

Ce travail acharné et minutieux fait l’admiration de sa grand-mère, qui ce jour-là, prépare le déjeuner dans son tablier blanc et son haut rayé rose. Elle qui s’inquiète de voir sa petite-fille photojournaliste tout le temps en déplacement a été le premier modèle de Victorine. La septuagénaire se remémore : “Au début, je ne compte même plus le nombre de fois où elle m’a pris en photo alors même que parfois j’étais en tenue de jardin. Mais elle fait ce métier avec le cœur, avec passion. Elle me dit tout le temps : “Mamie, j’ai du travail.” Elle veut faire les choses à la perfection mais c’est ce qui la rend heureuse. Elle s’intéresse tellement au monde agricole que je me demande si elle n’aurait pas fait une bonne agricultrice (rires).”

Marie-Paule, la grand-mère de Victorine et ancienne agricultrice, aide régulièrement sa petite-fille dans ses recherches sur le monde agricole.
Marie-Paule, la grand-mère de Victorine et ancienne agricultrice, aide régulièrement sa petite-fille dans ses recherches sur le monde agricole. © Radio France – Lise Lacombe

Mais Victorine préfère son appareil photo au tracteur, refusant même de parler de “métier” à propos de la photographie : “Ce que cette passion a de plus beau, c’est de permettre de toucher ce qu’il y a de plus sensible dans nos vies. La photo me permet d’exprimer des choses qui me touchent mais aussi de questionner la société et ce qui l’entoure. Je vois la photographie comme un mode de vie, une manière de penser qui me donne l’impression d’être à ma place. Et ça c’est précieux !”

Un regard sur l’agriculture à l’étranger

Tellement passionnée que la jeune femme profite d’un voyage en Israël dans le cadre d’un reportage pour un média français pour aller à la rencontre des visages des agriculteurs de ce territoire. Sur la table, elle dispose les portraits de deux d’entre eux. Autour de leurs photos, chacun a écrit quelques mots en hébreu.

Lors d'un voyage en Israël, Victorine est partie à la rencontre des agriculteurs du territoire
Lors d’un voyage en Israël, Victorine est partie à la rencontre des agriculteurs du territoire © Radio France – Lise LACOMBE

En Cisjordanie, Victorine se rend rapidement compte des similitudes de leurs problématiques avec les agriculteurs français : “Après une après-midi de discussions, ils m’ont tout de suite dit qu’ici aussi personne ne voulait reprendre les terres, que c’était un métier trop dur. J’ai tout de suite fait le rapprochement avec la situation en France et naturellement, c’est devenu un nouveau sujet sur lequel je travaille : le lien à la terre en Israël-Palestine.”



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Elle garde de son voyage un petit pot de fleur rouge offert par une petite fille du village de Wadi Fukin, une localité agricole, dans laquelle elle a passé une semaine. Elle se prépare désormais à repartir pour recueillir le témoignage des agriculteurs de l’autre côté de la frontière mais reste guidée par l’envie de se “laisser porter par les rencontres”.

Entre-temps, Victorine prend le temps de revenir chez elle, à Lens. La jeune femme de 29 ans a consacré sa dernière série de photo, intitulée “Dans tes pas”, à son grand-père Pierre-Jean. Pour l’occasion, elle a écrit quelques mots à l’agriculteur qui l’a tant inspiré :

“À papi Pierre-Jean, 
Combien de fois as-tu foulé cette terre ?
Combien de fois as-tu regardé ces champs ?
En discutant avec mamie, j’ai réalisé à quel point céder la ferme avait été douloureux pour toi. J’aurais aimé te poser plus de questions sur ce métier si essentiel qui tend à disparaître.
Ce que je retiens, c’est ce goût pour le travail de la terre, cet amour pour cette vie au rythme des saisons.
Dans tes pas, j’ai essayé de me rapprocher de toi.
Tu me manques.
Victorine.”

Victorine Alisse sera présente au festival “Les femmes s’exposent” à partir de ce vendredi jusqu’à dimanche en compagnie des autres photographes de l’événement pour rencontrer le public. L’exposition est visible jusqu’au 4 septembre 2022 à Houlgate en Normandie.

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