https://geo.dailymotion.com/player/x5qce.html?GK_PV5_PHOTON=0about:blank Représentation de Sarah Baartmann affichée dans l’ouvrage Histoire Naturelle des Mammifères de Cuvier, Werner, de Lasteyrie.jpg © Wikimedia Commons

Popularisée en 2009 par le film La Vénus noire, d’Abdellatif Kechiche, l’histoire de Sarah Baartmann est un symbole de la domination coloniale du XIXème siècle. Surnommée la Vénus Hottentote pour son physique atypique, elle fut achetée en Afrique du Sud par un impresario qui l’exposa comme un monstre humain dans les foires européennes.

Charlotte Chaulin

Vénus Hottentote, Vénus Stéatopyge

Son nom constitue déjà un témoignage du regard porté par les Européens sur les races qu’ils cherchaient à inférioriser (pour mieux les coloniser). Si elle porte le surnom de Vénus, c’est bien en rapport à la déesse romaine de la beauté, mais utilisé ici pour se moquer. C’est un calembour des savants européens du XIXème siècle. Car contrairement aux Vénus Callipyges – qui ont de belles fesses – Sarah Baartman est surnommée la Vénus Stéatopyge – qui a de grosses fesses. En effet, son tissu graisseux y est très développé. Elle a aussi une macronymphie, c’est-à-dire une hypertrophie des petites lèvres. Une particularité physique qui fascine autant que son derrière et que Voltaire surnomme « le tablier hottentot ».

Probablement née en Afrique du Sud en 1789 – au moment où les Français assurent que tous les hommes naissent libres et égaux en droit – Saartje (prénom néerlandais qui lui est donné) appartiendrait à la tribu des Khoïkhoï, aussi appelé les Hottentots. La jeune femme, de son vrai nom Sawtche, grandit dans une ferme de la colonie du Cap, sous domination hollandaise puis britannique. En 1807, en échange de tabac et d’eau-de-vie, elle est vendue avec ses deux soeurs à Hendrik Caezar.

Sarah Baartmann : une bête de foire à Londres

A l’été 1810, elle arrive en Angleterre sous la houlette de Caezar et d’un chirurgien anglais du nom d’Alexander Dunlop. Les deux hommes savent qu’ils ont flairé un bon coup : les zoos humains cartonnent en Europe ! Ils essaient alors de vendre Saartje au directeur du musée de Liverpool, mais celui-ci décline la proposition.

La Vénus Hottentote est finalement exposée quasiment nue, dans une cage, dans un théâtre de Picadilly Street, à Londres. Pendant des mois, des centaines de visiteurs s’approchent, se moquent et tripotent les formes exubérantes de celle qu’ils considèrent comme un animal. Les promoteurs mettent en avant son sexe qui ressemblent à « la peau qui pend au cou des dindons ».

Indignée, l’African Institution intente un procès à son impresario. Caezar violerait en effet l’acte d’abolition de la traite des esclaves de 1807. L’association le traine devant la Cour royale de justice… qui déclare un non-lieu. Et cela, en raison du témoignage de Saartje, qui affirme être venue de son plein gré, être rémunérée et avoir même deux enfants noirs à son service. Elle se plaît en Angleterre et ne veut pas retourner dans son pays.

Comme le public finit par se lasser du « monstre », Caezar la traîne ensuite un peu partout, comme à Manchester où elle est baptisée par une église anglicane sous le nom de Sarah Baartman.

Les shows privés de Sarah Baartman à Paris

À l’été 1814, elle débarque à Paris. Napoléon Bonaparte vient de remettre la traite et l’esclavage en vigueur en France. Une gazette écrit cette année-là qu’« elle chante quelques chansons. Elle a l’air fort gaie et plaisante avec les personnes qui vont la voir. »

C’est ensuite le montreur d’animaux Réaux qui l’exhibe toute la journée dans un cabaret de la rue Saint-Honoré. Le soir, il organise des shows privés chez des mondains de la capitale. Pour échapper à cette terrible réalité, Sarah Baartman sombre dans l’alcoolisme.

Les scientifiques sont eux aussi intrigués par le corps difforme de la Vénus Hottentote. Alors ils l’examinent sous toutes ses formes. Y a-t-il un organe, un os en trop dans ce fessier exagéré ? Au Jardin des plantes, les meilleurs naturalistes la comparent à un animal. Geoffroy Saint-Hilaire écrit que son visage est comparable à celui d’un orang-outan et son postérieur à celui des femelles de singe mandrill.

Traitée comme un monstre, même après sa mort

À 25 ans, la Vénus Hottentote meurt à Paris en décembre 1815, probablement d’une pneumonie. Au laboratoire d’anatomie du Museum d’histoire naturelle, le célèbre zoologiste Georges Cuvier est chargé de la disséquer. Le cadavre est examiné sous toutes ses coutures : le corps, le sexe, les fesses, la peau, et le cerveau qu’on conservera dans un bocal. Cuvier dit n’avoir jamais « vu de tête humaine plus semblable aux singes que la sienne ». Il constate qu’elle n’a pas d’organe supplémentaire et en conclut qu’elle appartient donc à la même humanité que la race blanche, mais il la classe tout en bas de l’échelle humaine. À peine au-dessus du chimpanzé et de l’orang outan. Une place que les Hottentots partagent avec les Bochimans, les Pygmées, les « Caraïbes » et les aborigènes australiens.

Jusqu’en 1974, le moulage en plâtre du corps de la Vénus Hottentote est exposé au musée d’ethnographie du Trocadéro puis dans le hall du Musée de l’homme, et cela jusqu’en 1974. Propriétés de l’État français, les restes de sa dépouille dorment dans les caves du musée. L’Afrique du Sud, qui les réclamaient à la France, obtient gain de cause en 2002.

Les restes de Sarah Baartman sont ainsi inhumés selon la tradition sud-africaine sur sa terre natale de la vallée de la Gamtos, près du Cap. Deux siècles après sa mort, la Vénus Hottentote peut enfin reposer en paix.

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