Après l’annonce du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou de l’intensification des combats à Gaza, le personnel humanitaire alerte sur la catastrophe dans l’enclave. La coordinatrice des opérations MSF à Gaza et la porte-parole de l’UNRWA témoignent.
27 décembre 2023 à 20h31
Lundi 25 décembre, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publiait sur son compte X une vidéo glaçante. On y voit un médecin de l’organisation se filmer dans l’hôpital Al-Aqsa, situé au centre de la bande de Gaza. Au milieu de la foule de réfugié·es s’agitant dans les couloirs, un enfant, Ahmed, 9 ans, est allongé sur le sol, entouré de personnel médical. Ils lui administrent un sédatif « pour atténuer ses souffrances pendant sa mort »,commente celui qui se filme, gilet pare-balles et casque sur la tête.
Ahmed a été victime de l’impressionnante frappe israélienne à proximité du camp de réfugiés d’Al-Maghazi, où se trouvaient de nombreux civils. Le premier bilan du ministère de la santé palestinien décomptait 70 morts. Deux jours plus tard, l’ONG Médecins sans frontières (MSF), présente dans l’hôpital Al-Aqsa, annonce avoir reçu 209 blessé·es et 131 personnes déjà décédées, « principalement des femmes et des enfants », ajoute Guillemette Thomas, coordinatrice des opérations MSF à Gaza, jointe par Mediapart.
Le jour de la frappe, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, en visite à Gaza, annonçait « intensifier » les frappes. À l’heure actuelle, d’intenses combats au sol ont lieu dans le nord, ainsi qu’au centre de l’enclave, où les lignes de front se rapprochent dangereusement des hôpitaux, comme à Khan Younès, où les combats ont lieu à 600 mètres de l’entrée du centre de santé. Dans le sud, de nombreuses frappes ont eu lieu ces derniers jours, en vue de « préparer le terrain » pour une prochaine opération terrestre, selon l’armée israélienne.
Accès aux soins quasi impossible
« Les blessés qui arrivent aux urgences sont soignés par terre dans des mares de sang. » Guillemette Thomas tient à préciser qu’actuellement, il y a 10 soignants pour 500 patients dans les 9 hôpitaux encore ouverts de Gaza. « Lors d’afflux de blessés graves, comme après le bombardement d’Al-Maghazi, il est impossible de prendre en charge tout le monde », continue-t-elle.
Une grande partie des soignants de MSF sont partis se réfugier à Rafah, avec le million d’autres déplacés palestiniens. « Ceux qui restent ne dorment plus depuis deux mois et demi et doivent s’absenter régulièrement pour chercher de la nourriture et de l’eau pour leur famille, ça peut prendre une journée entière », explique encore la soignante.
Démembrements, brûlures étendues, mutilations, éclats d’obus dans tout le corps et plus récemment, blessures par balle : les patient·es qui arrivent dans les hôpitaux nécessiteraient cinq ou six médecins pour une opération « dans des conditions matérielles et stériles favorables », continue la coordinatrice. Impossible donc, de soigner tous les blessés quand ils arrivent par dizaines après un bombardement. En somme, un blessé grave à Gaza aujourd’hui n’a « quasi plus aucune chance de survivre », admet-elle.
Les équipes de MSF sont présentes dans sept structures de soin dans le centre et le sud de l’enclave. Toutes font état d’une situation chaotique dans les hôpitaux, où se massent des milliers de réfugié·es qui rendent difficile l’identification des blessé·es parmi la foule et où la promiscuité et le manque d’eau potable entraînent beaucoup d’infections.
Guillemette Thomas tient à préciser que les bilans du ministère de la santé palestinien (qui décomptent près de 21 000 personnes tuées depuis le 7 octobre) ne prennent pas en compte toutes les personnes qui peuplaient les hôpitaux avant le 7 octobre : « Aujourd’hui, on a des personnes qui meurent anonymement de maladies normalement curables comme le diabète parce qu’ils ne peuvent pas se rendre dans les hôpitaux, affirme-t-elle. Ceux-là passent sous les radars et nous n’avons aucune statistique. »
Dans le nord de la bande de Gaza, plus aucun centre de santé n’est fonctionnel. Le terrain, lieu des combats terrestres les plus acharnés, a été déserté par toutes les ONG et aucune aide humanitaire ne peut y pénétrer.
Les secours entravés
Début novembre, Khan Younès, une ville du sud de l’enclave qui comptait beaucoup de déplacé·es en provenance du nord, est devenu l’épicentre des bombardements. Pour Tamara Alrifai, directrice des relations extérieures de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), « l’armée israélienne a tout fait pour masser les personnes dans le sud en bombardant des zones considérées comme sûres comme Khan Younès et plus récemment Deir el-Balah ».
Le 26 décembre, le New York Times publiait une enquête vidéo démontrant que près de 200 bombes lourdes ont été lancées par Israël dans des zones déclarées « sûres » pour les civils, dont la majorité dans la commune de Khan Younès.
En plus des bombardements, les ONG font face à une difficulté majeure, utilisée par l’armée israélienne : le «black-out », autrement dit, les coupures généralisées de réseau, très fréquentes. Hier matin sur X, le Croissant-Rouge palestinien annonçait avoir perdu tout contact avec ses équipes médicales sur le terrain, dont le siège à Khan Younès avait par ailleurs été touché par des tirs d’artillerie, endommageant leur autre système de communication.
Même conséquence chez MSF, pour qui les coupures de réseau empêchent d’aller chercher les blessé·es, qui ne peuvent plus appeler d’ambulance. « Une arme de guerre comme une autre », dénonce Tamara Alrifai, qui insiste sur le fait que ces black-out rendent « très difficile » la réponse humanitaire, y compris dans les distributions de produits de première nécessité.
Une aide humanitaire prochaine ?
Vendredi dernier, et après une semaine de négociations, le Conseil de sécurité des Nations unies votait une résolution appelant à l’acheminement « à grande échelle » de camions d’aide humanitaire dans la bande de Gaza qui, à l’heure actuelle, sont coincés devant les points de passage égyptiens.
L’UNRWA indique à Mediapart vouloir recevoir « au moins 500 camions par jour », soit le niveau d’avant-guerre, par ailleurs déjà sous blocus. « C’est le nombre minimum qui pourrait nous permettre d’aider tous les déplacés »,continue Tamara Alrifai.
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En déplacement à Rafah la semaine dernière, la diplomate a constaté les conséquences du million de déplacés qui se massent près du poste-frontière égyptien. « Aujourd’hui, mes collègues de l’UNRWA ne peuvent plus distinguer les personnes qui sont dans nos abris, comme au début de la guerre, de celles qui ne le sont pas. »
Aujourd’hui, 400 000 Gazaoui·es sont réfugié·es dans les rues autour des abris de Rafah et le personnel humanitaire ne parvient plus à faire parvenir les produits à l’intérieur.
Guillemette Thomas, elle, estime que cette opération est un coup d’épée dans l’eau : « Même si l’aide arrive en quantité suffisante, tant qu’il n’y a pas de cessez-le-feu, il sera impossible de l’acheminer à ceux qui en ont besoin. » Un appel que l’UNRWA et une dizaine d’ONG comme Human Rights Watch ou Amnesty International ont réitéré le 18 décembre lors d’une conférence de presse à Paris. Pour elles, l’arrêt des combats est indispensable pour que l’aide humanitaire accède à l’entièreté de la bande de Gaza, notamment dans le nord.