Déjà condamné à quatre reprises, le royaume est poursuivi par quatre militants sahraouis.
Le 4 décembre 2010, Hassan Dah, un militant sahraoui des droits humains, sirote un café au Las Dunas d’El-Ayoun, la grande ville du Sahara occidental annexé par le Maroc en 1975, quand une dizaine d’hommes encagoulés font irruption dans l’établissement et l’embarquent. Dans la voiture qui l’emmène vers la préfecture de police, yeux bandés et menotté, il est violemment battu avec un objet contendant, jusqu’à en perdre connaissance. Il est ensuite torturé pendant quatre jours au siège de la gendarmerie où il a été transféré. Puis dans un avion militaire qui l’emmène à Rabat, la capitale marocaine. Et, enfin, dans l’enceinte de la prison de Salé.
Les gendarmes le brûlent avec des cigarettes, le suspendent par les genoux et les poignets dans la position dite « du poulet rôti », lui introduisent un torchon inhibé d’urine et de matière fécale dans la bouche des heures durant, lui plongent la tête dans un baril d’eau sale…
Présenté trois mois plus tard, défiguré, devant un juge d’instruction, Hassan Dah dénonce les tortures et informe le magistrat qu’il n’avait signé le procès-verbal qu’on lui avait soumis que sous la contrainte, sans même avoir pris connaissance de son contenu. Le 16 février 2013, il est condamné à trente ans de prison par un tribunal militaire pour « violences volontaires ayant entraîné la mort de fonctionnaires publics ».
« A chaque fois, le même scénario »
Le 9 juin 2022, Hassan Dah a déposé une plainte devant le Comité contre la torture de l’Organisation des Nations unies (CAT) – dont Rabat est membre – avec Abdelmoula El-Hafidi, Mohamed Bani et Mohamed Lamine Hadi. Les quatre Sahraouis sont soutenus par l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT France), l’International Service for Human Rights (ISHR), les avocats Joseph Breham et Laurence Greig et la Ligue pour la protection des prisonniers politiques sahraouis dans les prisons marocaines (LPPS) .
« Nous avons décidé de présenter simultanément quatre dossiers devant le comité, ce qui est sans précédent. Cela fait suite à quatre décisions qui ont déjà reconnu la responsabilité du Maroc dans quatre cas similaires. Et d’autres procédures vont suivre. C’est malheureusement à chaque fois le même scénario qui vise des activistes pacifiques sahraouis, poursuivis pour des “crimes” après des aveux qui sont extorqués sous la torture »,décrit Vincent Ploton, de l’ISHR, qui soutient la plainte d’Abdelmoula El-Hafidi, un étudiant condamné, en juillet 2017, à dix ans d’emprisonnement.
Hassan Dah, Mohamed Bani et Mohamed Lamine Hadi font, eux, partie des vingt-cinq Sahraouis arrêtés après le démantèlement du camp de Gdeim Izik, en 2010, et condamnés, en 2013 et 2017, à des peines allant de trente ans de prison à la perpétuité.
Le 8 novembre 2010, les forces de l’ordre marocaines étaient violemment intervenues pour démanteler un camp de manifestants sahraoui, à Gdeim Izik. Ce camp, qui a compté jusqu’à 20 000 personnes, avait été édifié dans le désert pour protester contre des discriminations sociales et économiques. Neuf membres des forces de l’ordre avaient été tués lors des affrontements, selon les autorités, qui ne procédèrent à aucun recensement des victimes sahraouies.
Lors de leur procès en appel, en juillet 2017, la défense avait exigé que les procès-verbaux des accusés soient écartés, au motif qu’ils ont été obtenus sous la torture. A l’appui de leur requête, la condamnation du Maroc par le Comité de l’ONU contre la torture à la mi-décembre 2016, après une plainte déposée au nom de Naâma Asfari.
Figure du droit à l’autodétermination des Sahraouis, ce militant était lui aussi présent au camp de Gdeim Izik. Il purge une peine de trente ans de prison. Claude Mangin, son épouse, est privée de visite, car interdite de séjour sur le territoire marocain. Son téléphone et celui de l’avocat Joseph Breham ont été ciblés par le logiciel espion israélien Pegasus en 2019 et 2012 dans des attaques attribuées au Maroc.
« Culture de l’aveu »
En ce qui concerne Mohamed Lamine Hadi, « ses avocats n’ont plus le droit de lui rendre visite depuis le procès en appel en 2017 », rappelle l’ACAT. Motif ? Pas de procès en cours. Comme les autres prisonniers, il est incarcéré au Maroc, loin du territoire sahraoui. « Même s’ils ne sont pas privés de droit de visite, ils sont détenus à des centaines de kilomètres de leur famille. Si ce n’est pas une interdiction de droit, c’est une interdiction de fait », déplore Joseph Breham.
Dans sa décision de 2016, le Comité de l’ONU contre la torture invitait « instamment » le Maroc à, entre autres, indemniser Naâma Asfari, s’abstenir de représailles à son encontre, permettre à sa famille de lui rendre visite et lancer une enquête impartiale sur les événements. Rabat, qui était tenu d’informer dans un délai de cent quatre-vingts jours l’instance onusienne des mesures prises conformément aux constatations, n’a pas donné suite.
Les 19 et 24 novembre 2021, le CAT a de nouveau condamné le royaume pour « torture en détention » à l’encontre, cette fois, de « M.B. », Omar N’Dour et Sidi Abdallah Abbahah, tous trois également arrêtés après les événements du camp de Gdeim Izik et contraints de signer des procès-verbaux sans pouvoir les lire.
« Le Maroc, qui se présente en défenseur de la convention contre la torture, s’en moque, estime Joseph Breham. Il a été condamné à plusieurs reprises mais n’a jamais exécuté la moindre décision. Or, tout le monde sait que c’est le seul moyen d’éradiquer la torture. Parce que, derrière, l’Etat tape sur l’administration, qui tape sur la personne qui a torturé qui, la fois suivante, ne torturera pas… C’est aussi bête que cela. »
La torture dépasse les seuls cas des militants des droits humains, note l’avocat. « Un système tortionnaire existe parce qu’il y a d’abord la culture de l’aveu. Et l’aveu s’obtient en frappant des gens. C’est cette première philosophie qui existe au Maroc et dont sont victimes les prisonniers de droit commun usuels. Ensuite, on utilise la torture pour terroriser. Au Sahara occidental, les Sahraouis se retrouvent à la conjonction des deux. Ils font face aux violences classiques. Et il y a cette culture politique policière qui consiste à terroriser les habitants du territoire. »
Madjid Zerrouky