Mardi 12 septembre a été inauguré le nouveau centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) de Bordeaux, le seul de Nouvelle-Aquitaine a être géré directement par une collectivité territoriale. Situé dans le quartier Bastide-Niel, le bâtiment ajoute 80 places aux près de 400 existantes. Mais la moitié des 3000 demandeurs d’asile domiciliés à Bordeaux restent en attente d’un logement.
Livré au mois de mai 2023, le nouveau Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) a été inauguré ce mardi dans un îlot du nouveau quartier Bastide Niel. Il portera le nom d’Alexandra David-Néel, en hommage à l’exploratrice et philosophe française de la fin du XIXe siècle.
Bordeaux Métropole Aménagement (BMA), qui pilote cette ZAC (zone d’aménagement concertée), a présenté une opération à 4,7 millions d’euros se voulant exemplaire : le bâtiment regroupe une résidence sociale étudiante (gérée par Domofrance), une résidence étudiante privée ainsi que le CADA.
Etienne Guyot, préfet de la Gironde, a ainsi salué l’emplacement de ce centre qui accueillera 80 demandeurs d’asile, répondant à une logique de « mixité » et « d’adaptation ».
La ville de Bordeaux compte quatre CADA disposant au total de 471 places. Le nouveau CADA situé dans le quartier de Bastide-Niel est géré par le CCAS de la Ville. La gestion des trois autres est assurée par des associations : le Centre d’accueil d’information et d’orientation (CAIO), le Diaconat de Bordeaux et SOS Solidarités.
La moitié des demandeurs d’asile de Bordeaux en attente
Avant de pouvoir être hébergées dans un CADA, les personnes souhaitant déposer une demande d’asile engagent leurs premières démarches (enregistrement auprès de la préfecture et domiciliation postale) au sein d’une structure de premier accueil pour demandeurs d’asile (SPADA).
Alors que les demandes d’asile ont augmenté de 27% entre 2021 et 2022, Elodie Heng, directrice de la SPADA – France Terre d’Asile de Bordeaux, déplore la mise au ban de nombreux demandeurs d’asile, qui ne sont toujours pas intégrés au processus prévu par le Dispositif National d’Accueil (DNA) :
« Aujourd’hui, plus de 3 000 demandeurs d’asile sont domiciliés sur la SPADA de Bordeaux. Ce sont des publics qui n’ont pas d’hébergement stable, qui dépendent du 115, ou de tiers pour les héberger. Plus de la moitié devrait bénéficier de l’accueil et ils sont en attente d’une orientation vers un CADA ou un HUDA [hébergement d’urgence des demandeurs d’asile, NDLR]. »
Beaucoup de migrants passent néanmoins par la case demande d’asile, au vu des restrictions fortes pesant sur les migrations dites économiques.
La définition du nombre de places d’accueil sur le territoire français reste une compétence de l’Etat. Dans le cas du CADA de Bastide-Niel par exemple, le CCAS intervient comme « prestataire » de l’Etat et est responsable de la mise en œuvre de l’opération d’accueil. Malgré tout, la ville de Bordeaux tente de jouer un rôle politique, comme l’explique Harmonie Lecerf Meunier, adjointe au maire chargée de l’accès aux droits, des solidarités et des seniors :
« Ce que l’on peut faire nous politiquement, c’est d’avoir un discours qui promeut l’augmentation de l’accueil des réfugiés. »
Un « cocon sécurisant »
Avant de s’installer dans cet immeuble neuf rue de la rotonde, les 80 demandeurs d’asile rattachés au CCAS, vivaient dans des « logements diffus ». Leurs appartements étaient répartis sur l’ensemble de la commune et les intervenant sociaux se déplaçaient chez eux pour les accompagner dans leurs démarches.
Aujourd’hui, leurs bureaux sont situés au rez-de-chaussée de la résidence. Les travailleurs sociaux s’efforcent tous les jours à créer une relation solide avec les bénéficiaires, dont un tiers sont des familles monoparentales :
« Les demandeurs d’asile constituent un public très fragile. Ce sont des personnes qui demandent une protection et qui ne doivent pas être exposées car il en va de leur sécurité. »
C’est dans cette logique qu’Alice Mandard, directrice du CADA, a prié les journalistes présents à l’inauguration, de respecter l’anonymat des habitants du centre.
« L’espace ici c’est vraiment leur lieu de vie et leur cocon. C’est une bulle qui se fabrique ici. Ils vont à l’extérieur pour des activités, mais à l’intérieur on essaie de fabriquer un espace sécurisant. Mais pas cloîtré. »
« On est surtout stressés pour les papiers »
Le bâtiment comprend des appartements sur trois étages. Au rez-de-chaussée : un bureau d’accueil, un bureau de direction relié par une « tisanerie » à l’open-space des salariés, ainsi que trois petites salles de réunion destinées à mener des rendez-vous de manière confidentielle.
Une femme originaire d’Afrique du nord y vit depuis trois mois avec son fils. Elle décrit un bâtiment « très beau et très calme » et apprécie la « gentillesse » de l’équipe du CCAS qui y travaille. Scolarisé dans un collège du centre-ville, son fils raconte avec entrain son nouveau quotidien :
« Ici, on joue avec tous nos amis et on est bien. On fait du vélo, on joue au foot, j’ai plein de copains ! »
La qualité des conditions d’hébergement permet à cette mère de famille d’atténuer l’anxiété générée par l’attente de la réponse de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), chargé d’instruire une demande. Si elle est positive, la décision rendue par l’Etat français lui permettrait de bénéficier du statut de réfugiée, ou bien d’être placée sous protection subsidiaire. La durée d’instruction dure en moyenne 18 mois mais dans son cas, la demande a été déposée il y a déjà deux ans :
« C’est stressant mais on est bien dans la maison, on s’y sent bien. On est surtout stressé pour les papiers. »
Le déboutement en question
Si la ville n’a pas de réelle marge de manœuvre pour orienter les demandeurs d’asile, la priorité est donnée à l’accompagnement des publics en grande difficulté, notamment les personnes dont la demande d’asile a été refusée. Harmonie Lecerf Meunier rappelle notamment que la mairie avait mis son patrimoine à disposition pour mettre à l’abri des personnes à la rue :
« Les personnes ayant le statut de demandeurs d’asile sont en transition. Mais, si leur asile est refusé et qu’elles sont déboutées, elles n’ont pas de possibilité d’être régularisées à court terme. Elles se retrouvent donc sans-papier. C’est là que nous avons un rôle à jouer en finançant des maraudes ou des solutions d’hébergement d’urgence par exemple. »
L’année dernière, selon Alice Mandard, 25% des demandeurs d’asile ont reçu une reconnaissance juridique de leur statut et donc, une protection de la France. Le reste, soit 75%, ont été déboutés de leur demande d’asile. Ces chiffres sont représentatifs des données nationales : en 2022, 29% des demandes émises auprès de l’OFPRA ont obtenu une réponse positive.
Tradition d’accueil et aide au retour
Lorsqu’une demande d’asile est refusée, le demandeur dispose d’un mois pour quitter son centre d’hébergement. Alice Mandard rappelle que chaque mois, des demandeurs quittent le CADA pour cette raison. En outre, les personnes déboutées disposent de peu de voies de recours pour contester un refus. Il est possible de réfuter la décision de l’OFPRA auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), puis de saisir le conseil d’Etat en cas de nouveau refus. Mais cela est très rare selon elle.
Certes, d’autres perspectives de régularisation existent, mais selon la directrice du CADA, ce sont des procédures très contraignantes. Elles demandent beaucoup de persévérance aux demandeurs d’asiles déboutés, qui souvent les réalisent dans des conditions difficiles, sans hébergement, notamment.
Mardi soir, Etienne Guyot a partagé son souhait de voir la France à la « hauteur des rendez-vous » et à honorer sa longue « tradition d’accueil ». Avant de clore son discours en soulignant le rôle que devait jouer l’Etat dans « l’aide au retour » des personnes déboutées. Selon l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII), en France, 4 979 étrangers « ont bénéficié de l’aide au retour volontaire » en 2022.
Myriam Roques-Massarin