Un collectif de plus d’un millier de soignants et autres personnels hospitaliers interpelle, dans une tribune au « Monde », le gouvernement sur la situation d’un système de santé « à bout de souffle après de nombreuses années de restrictions budgétaires ».
Quel système de santé souhaitons-nous ? Le service des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux limite actuellement son accès la nuit, mais ceci n’est que la face émergée de l’iceberg. Le cœur du système de soins que sont les services hospitaliers est également dans une impasse.
Ce qui apparaît comme la crise des urgences est à replacer au sein d’un système de santé à bout de souffle après de nombreuses années de restrictions budgétaires. La crise Covid n’a fait qu’aggraver la situation d’un bien commun exsangue : l’hôpital public.
L’ensemble du territoire connaît la même situation que Bordeaux, tant pour les CHU que pour les centres régionaux. Cette crise touche la médecine adulte comme la pédiatrie. Moins de lits, des patients plus complexes et la rentabilité avant tout. Nous alertons sur la diminution des lits à l’hôpital au profit de l’ambulatoire. Depuis 2000, 20 % des lits (soit près de sept cents lits d’hospitalisation) ont été supprimés au CHU de Bordeaux.
Parallèlement, le vieillissement de la population et l’augmentation du nombre d’habitants dans la métropole bordelaise provoquent une augmentation de la demande de soins non prise en compte par nos pouvoirs publics. Dans de nombreuses spécialités, des traitements plus efficaces mais plus complexes augmentent le recours à l’hôpital. De ce fait, hospitaliser un patient est devenu un parcours du combattant, que ce soit pour la médecine de ville ou pour les urgences.
Dysfonctionnements majeurs
Parallèlement, afin de répondre aux critères comptables qui nous sont imposés, un taux élevé d’environ 95 % d’occupation des lits est nécessaire, à l’origine d’un fonctionnement à flux tendu qui ne permet plus d’assurer une disponibilité de lits pour les patients nécessitant une hospitalisation rapide, « non programmée ». Ces patients consultant en médecine de ville ou arrivant aux urgences se trouvent fréquemment sans solution d’hospitalisation.
La situation est la même en chirurgie avec une limitation de l’accès au bloc opératoire, des délais allongés, voire des annulations d’actes chirurgicaux. Les services supports, moins visibles par le grand public (pharmacie, biologie, anatomopathologie, radiologie, etc.), souffrent aussi de cette gestion avec des répercussions sur leurs pratiques (notamment des délais d’examen plus longs).
Au total, ces dysfonctionnements majeurs se répercutent dramatiquement sur la prise en charge des patients. Outre le transfert des activités d’hospitalisation vers une activité ambulatoire, l’activité de soins a explosé sans augmentation en regard des personnels de soins. Cette gestion industrielle de la médecine reconnaît l’activité, le nombre d’actes, plutôt que la qualité des soins qui est in fine progressivement délaissée.
Nos équipes médico-soignantes ont pris de plein fouet ces transformations et ceci bien avant la crise Covid. Toutes et tous n’hésitent plus aujourd’hui à quitter en masse l’hôpital, augmentant ainsi les fermetures de lits (actuellement, au CHU de Bordeaux, environ de trois cents à quatre cents lits sont fermés administrativement tous les jours par manque de soignants).
Perte de sens du métier
Des mesures radicales sont urgemment nécessaires pour arrêter cette hémorragie et redonner aux personnels goût à leur travail en leur permettant de se recentrer sur le cœur de leur métier : soigner, c’est-à-dire prendre soin des autres. La médecine ne doit pas être seulement la multiplication sans fin d’actes techniques que voudraient imposer les volontés politiques et budgétaires actuelles.
Elle doit rester une activité bienveillante permettant de consacrer à chaque patient un temps qui ne peut être chiffré. C’est cette perte de sens du métier qui menace d’effondrement à court terme le système de santé, en particulier hospitalier. Des décisions courageuses et forcément coûteuses sont attendues. Les ratios de soignants dans chaque unité de soin doivent être évalués par rapport au nombre de lits ouverts permettant, face à la complexification et à la lourdeur des prises en charge, d’éviter l’épuisement des professionnels.
Les absences programmées ou inopinées de soignants doivent être systématiquement remplacées, ce qui ne peut s’effectuer qu’avec un plus grand nombre de soignants au sein des équipes. L’organisation interne de l’hôpital doit être décidée dans une gouvernance partagée, en accord avec les équipes de soins et en associant aux décisions tous les acteurs de l’hôpital ainsi que les usagers.
La continuité et la permanence des soins doivent être réorganisées en remettant en lien la médecine de ville, les hospitaliers et leurs patients. Les agences régionales de santé doivent être les garantes de cette coordination. Rétablir l’attractivité des professions médico-soignantes passe par une revalorisation des salaires, notamment dans le cadre des permanences de nuit et de week-end et de façon à rejoindre au moins la moyenne des pays voisins.
Un vrai métier, plus un sacerdoce
Elle passe aussi par une amélioration de la qualité de l’exercice professionnel : la fonction de soignant n’est plus un sacerdoce, mais un vrai métier qui doit être reconnu comme tel. Les conditions actuelles de travail sont un repoussoir ne permettant que rarement un épanouissement professionnel.
L’alternance jour-nuit, le retour au travail un week-end sur deux ne sont plus acceptés comme une participation tacite à l’effort collectif. Les temps changent, c’est ainsi. Les postes administratifs et techniques de proximité doivent être organisés en support des soignants et consolidés afin de permettre à ces derniers de se concentrer sur leur fonction de soin.
Un plan de sauvetage du système de santé français est la seule véritable urgence. Des décisions fortes et immédiates sont indispensables et possibles. En l’absence de telles mesures d’ici à l’été, les services de médecine, de chirurgie, d’urgences de nos hôpitaux adultes et pédiatriques vont fermer leurs portes avec une répercussion directe sur la santé de nos concitoyens.
L’alerte a été donnée il y a de nombreuses années. Le Ségur de la santé a manqué cruellement d’ambition et ne permettra pas en l’état, nul ne peut l’ignorer, de maintenir à flot notre système de soins. Nous demandons à nos dirigeantes et à nos dirigeants, et en particulier à la première ministre, Elisabeth Borne, et la ministre de la santé, Brigitte Bourguignon, de répondre à cette question : quel système de santé défendez-vous ? Si c’est un système lucratif qui abandonne l’humain, alors décidons-le rapidement et mourons dignement.
Premiers signataires : Pascal Barat, pédiatre ; Olivier Brissaud, pédiatre ; Amaury Daste, oncologue ; Isabelle Faure, urgentiste ; Catherine Fleureau, anesthésiste ; Emilie Gerard, dermatologue ; Olivier Guisset, réanimateur ; Olivier Millier, neurochirurgien ; Pascal Pillet, pédiatre ; Franck Zerbib, gastro-entérologue.
La liste complète des signataires est accessible en cliquant sur ce lien
Collectif