Par Stéphanie Claude, Odile Faure et Ronan Chérel
Publié le 24/02/2023 à 7h20
Mis à jour le 24/02/2023 à 7h20

La guerre bouleverse des destins ou accélère le cours d’autres trajectoires. Au printemps 2022, au lendemain du déclenchement de l’invasion russe en Ukraine, certains avaient choisi de quitter leur pays et trouvé refuge en Dordogne, en Charente-Maritime ou dans les Landes. Aujourd’hui, repartis ou toujours en France, ils racontent

Dès le début de la guerre, en février 2022, Olga (2e en partant de la gauche, avec sa fille Alissa sur ses genoux) avait trouvé refuge chez Claude et Liudmyla Guélé, à La Roche-Chalais, en Dordogne. © Crédit photo : archives Stéphanie Claude / « Sud Ouest »

« Mon mari et moi allons travailler, ma fille Alissa va à l’école. Nous essayons d’avoir une vie normale », assure Olga par messagerie depuis Kiev. Il y a bientôt un an, juste après l’offensive de la Russie contre son pays, l’Ukraine, elle débarquait à La Roche-Chalais, en Dordogne, avec une amie, leurs trois fillettes et sa mère. Les six femmes, rejointes un peu plus tard par la grand-mère d’Olga (1), ont d’abord trouvé refuge chez Liudmyla, sa tante, et son mari Claude Guélé, avant d’être logées par la commune. Le petit groupe est reparti fin septembre 2022.

Olga avec sa fille Alissa et son mari Matviy, qui travaille à l’état-major.
Olga avec sa fille Alissa et son mari Matviy, qui travaille à l’état-major.
DR

La peur, les sirènes, les explosions ? Olga s’y est habituée : « Nous ne paniquons plus comme au début de notre retour. Quand l’alerte sonne pour des avions biélorusses, on sait que ce n’est généralement pas dangereux […] Quand ils décollent de Russie, nous allons sur Telegram, où on nous indique s’il y a eu des missiles lancés et l’heure approximative de leur frappe. Et seulement après cela, nous allons nous réfugier à l’abri. »

« Je ne veux pas fuir le pays encore une fois, même si Poutine lance une nouvelle offensive »

C’est avec pudeur qu’elle témoigne du quotidien de sa famille et de son pays en guerre. « Nous n’avons pas eu de panne de courant depuis plus d’une semaine, relativise-t-elle. Quand cela arrive, nous avons appris à nous y adapter. Si on a deux heures de lumière, la nuit, après un bombardement, je me lève pour préparer à manger et lancer la machine à laver. Tout fonctionne à l’électricité chez moi. Quant aux courses, on trouve tous les produits, même si le choix est réduit et que les prix ont augmenté de manière significative. »

Lors d’une alerte, le 18 février. Olga a installé le lit de sa fille Alissa dans la salle de bains pour la protéger des roquettes.
ors d’une alerte, le 18 février. Olga a installé le lit de sa fille Alissa dans la salle de bains pour la protéger des roquettes.
DR

La jeune femme, qui n’oublie pas « l’accueil formidable » reçu en Périgord, n’envisage pas de reprendre la route de l’exil : « Je ne veux pas fuir le pays encore une fois, même si Poutine lance une nouvelle offensive. J’essaye d’être utile, j’envoie de l’argent au profit de l’armée ukrainienne, je donne ce que je peux. »

Une danseuse étoile à Mimizan

Nous avions rencontré pour la première fois Svitlana Kalashnikova et son mari Lorenzo Stanizzo le 4 juin 2022. Avec deux jeunes enfants et les parents de la jeune femme, la famille essayait de se reconstruire à Mimizan, dans les Landes. Trois mois avant, elle avait fui les bombes et le sous-sol de l’immeuble dans lequel elle s’était réfugiée.

Svitlana Kalashnikova a repris la danse et donne des cours.
Svitlana Kalashnikova a repris la danse et donne des cours.
Philippe Salvat / « SUD OUEST »

Adieu la vie à Kharkiv, les amis et l’Opéra. « Il y a un avant et un après la guerre », remarque Svitlana Kalashnikova, qui a « ukrainisé » son prénom Svetlana. Aujourd’hui, la danseuse étoile et son mari français se sentent « en sécurité ». Elle a parfois des bouffées de nostalgie pour sa ville de naissance, mais admet que « la vie d’avant est terminée ».

Dès son départ d’Ukraine, le 5 mars 2022, la famille a eu « de la chance de A à Z », nous avait soufflé Lorenzo l’an dernier. C’est par une amie de sa sœur qu’ils ont débarqué à Mimizan. Un premier point de chute dans une maison de vacances, puis un logement de fonction mis à disposition par la commune. Ils vivent désormais dans une maison du parc privé. La petite Victoria, 2 ans et demi, va bien, ainsi que son frère de 7 ans qui est à l’école de Mimizan.

Mariée civilement à Kharkiv avec Lorenzo, Svitlana, de religion orthodoxe, a accepté une union religieuse à l’église catholique de Mimizan, où Victoria vient d’être baptisée. À la maison, on parle français et ukrainien.

Svitlana continue de danser, pour elle et pour le public mimizanais. Le 24 février, un deuxième spectacle sera donné à la salle du Parnasse. Elle le doit beaucoup à Corinne Cellier, une Mimizanaise au grand cœur devenue son agent. Svitlana donne également des cours de danse à une quinzaine d’élèves. Lorenzo, musicien et ingénieur du son, procure des leçons de piano. Il a aussi été engagé en CDI au sein du groupe Gascogne, à Escource.

Svitlana et Lorenzo retrouvent près de l’océan le calme qu’ils ont quitté en Ukraine avant le 24 février, de beaux paysages et « un accueil incroyable » des Landais. La vie d’après…

L’Europe plus tôt que prévu

« J’avais cette envie, déjà, avant la guerre, de venir travailler en Europe, mais je ne savais pas quand… » Le 24 février 2022, pour Iryna, l’invasion de l’Ukraine par son voisin russe a changé l’envie en quasi-nécessité.

« Les bombardements, les sirènes d’alerte… C’est très stressant. Mes parents, ma sœur le vivent encore, là-bas »

Diplômée en médecine générale en 2015, Iryna Chyzh se voyait exercer son métier quelques années encore à l’hôpital de Dnipro, sa ville natale, dans le sud-est de l’Ukraine. « À 200 kilomètres de la frontière russe… » Trop près des premières lignes de front. « Les bombardements, les sirènes d’alerte… C’est très stressant. Mes parents, ma sœur le vivent encore, là-bas. » Iryna, elle, a choisi de s’éloigner du bruit des roquettes et des missiles. « Pour pouvoir continuer à exercer mon métier. »

Iryna Chyzh construit une nouvelle vie à Royan, sur les bords de l’estuaire de la Gironde.
Iryna Chyzh construit une nouvelle vie à Royan, sur les bords de l’estuaire de la Gironde.
Iryna Chyzh/DR

Les parents et la sœur d’Iryna Chyzh ont compris, mais ne l’ont pas suivie, le 17 mars 2022, lorsque la médecin de 32 ans a entrepris un voyage de deux jours en train et en bus. Son terminus : la Charente-Maritime, où vit une amie de sa mère. Iryna découvre l’élan de générosité qu’a déclenché « en Europe » l’agression de l’Ukraine par la Russie. Elle est d’abord hébergée à Saint-Genis-de-Saintonge, entre vignes et estuaire, pendant six mois, puis à Saint-Georges-de-Didonne, où elle a effectué un stage à la polyclinique.

Son français fluide, acquis en moins d’un an, vocabulaire médical compris, lui a ouvert les portes des urgences de la polyclinique Saint-Georges en octobre, puis de l’unité post-urgences de centre hospitalier de Royan, où Iryna exerce pleinement depuis quelques semaines. La jeune femme multiplie les remerciements, à tous ses bienfaiteurs, aux professionnels qui lui ont accordé sa confiance. Sans doute eux-mêmes soulagés du renfort de leur consœur ukrainienne.

Ne manquent à cette vie « européenne » que ses proches. Iryna adresse un énième « merci », cette fois à l’application par laquelle elle reste en contact « trois ou quatre fois par jour » avec ses parents et sa sœur. Et « espère qu’ils pourront bientôt venir me voir ici et prendre quelques semaines de vacances loin le stress des sirènes d’alerte ».

(1) Un mois après son retour à Berdytchiv, à 200 km de Kiev, Katarina a subi deux graves AVC. Elle doit bénéficier de soins constants à son domicile.

Images liées:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.