Irène Tolleret, eurodéputée (Renew Europe), souligne dans une tribune au « Monde » que le président russe, Vladimir Poutine, a décidé d’utiliser la famine pour renforcer le chaos créé par la guerre qu’il a lancée contre l’Ukraine. L’aide alimentaire pour aider l’Ukraine, mais aussi l’Afrique et le Moyen-Orient, est nécessaire. De même faut-il en Europe éviter les égoïsmes nationaux.

Tribune. Après les images de Boutcha qui marquent le retour de l’horreur la plus totale en Europe ; après la destruction des stocks de blé, le minage des ports ukrainiens et la mise à mal de toutes les infrastructures logistiques d’expédition, Vladimir Poutine ordonne le bombardement des fermes laitières pendant que son ancien premier ministre, et ancien président, Dmitri Medvedev déclare vouloir limiter les exportations de blé russe uniquement vers « les pays amis », ceux qui n’ont pas dénoncé l’agression russe en Ukraine.

Giuliano da Empoli, écrivain et journaliste italien, disait récemment au micro de France Inter : « Quand vous n’êtes pas assez fort pour imposer votre ordre, vous n’avez pas d’autre choix que d’avoir recours au chaos. » Vladimir Poutine a décidé d’utiliser la famine pour semer chaos, émeutes et violence dans le monde et notamment chez les plus fragiles, très dépendants des céréales russes et ukrainiennes. Nous, européens, nous devons l’empêcher. Comment ?

Premièrement, nous devons être au rendez-vous de l’aide alimentaire pour les Ukrainiens afin de leur permettre de résister. Puis, à court terme, nous devons éviter la crise alimentaire qui menace, à échéance de quelques mois, certaines parties d’Afrique et du Moyen-Orient, en limitant les tensions sur le marché, en gardant les frontières ouvertes, en continuant à exporter, en évitant le surstockage, en étant transparents sur les stocks, en quelques mots : en empêchant les égoïsmes nationaux de prévaloir.

Entendre les préoccupations de nos éleveurs

C’est l’objectif de l’initiative de la Food and Agriculture Resilience Mission, mission de résilience agricole et alimentaire (FARM) lancée par le président de la République, Emmanuel Macron, dans le cadre de la présidence française de l’UE et en partenariat avec les pays du G7.

Ensuite, nous devons nous préparer à une gestion de crise. Comme nous l’avons fait avec Covax sur les vaccins contre le Covid-19, nous devons mettre en place un mécanisme qui nous permette de répondre avec solidarité à la crise éventuelle à travers une réallocation de denrées alimentaires dans les pays les plus vulnérables

Si l’Union européenne n’est pas concernée par le risque de famine grâce à la politique agricole commune (PAC), qui a su lui garantir la sécurité alimentaire, la réponse doit néanmoins être européenne. Il nous faut entendre les préoccupations de nos éleveurs, qui craignent de ne pas réussir à alimenter leur bétail, ainsi que les inquiétudes des ménages qui subissent l’inflation sur les biens de première nécessité.

Une prise en compte de l’Union européenne

C’est pourquoi l’Union européenne (UE) a adopté un fonds de crise, qui pourra atteindre 1 500 millions d’euros, ainsi qu’un cadre temporaire de crise en matière d’aides d’Etat permettant aux Etats membres de soutenir les agriculteurs face aux augmentations des coûts de production. L’Union européenne a également décidé, de manière exceptionnelle et limitée dans le temps (un an), d’autoriser une augmentation de la production sur son sol, à travers la mise en culture des jachères (terres cultivables qui sont laissées au repos dans le but de favoriser la biodiversité).

L’Union européenne a encore une fois fait preuve de réactivité et de flexibilité face à une situation exceptionnelle, mais cela ne signifie pas la remise en cause à plus long terme de la stratégie « Farm to Fork » ([de la ferme à la fourchette] pendant agricole du Pacte vert européen [la feuille de route environnementale de la Commission européenne]). Ce n’est ni la position de la France, ni la position de la Commission, ni la position majoritaire au sein du Parlement européen.

Le changement climatique reste une réalité et d’ailleurs nos agriculteurs en sont les premières victimes. Cependant, l’Union européenne doit impérativement tirer les leçons de la crise provoquée par la guerre de Poutine en Ukraine, pour elle-même et vis-à-vis des pays voisins les plus affaiblis.

Le développement du plan protéines végétales

Comme pour sa politique énergétique, l’Union européenne doit renforcer son indépendance alimentaire. Verdir et décarboner notre agriculture ne doit pas signifier délocalisation de la production et affaiblissement de notre souveraineté alimentaire, ni alimentation à deux vitesses – l’une de qualité pour qui a les moyens, l’autre de moindre qualité pour qui ne peut pas mettre le prix.

Pour les 27 textes législatifs qui composeront la stratégie « Farm to Fork », une évaluation approfondie de l’impact sur notre souveraineté alimentaire est nécessaire : c’est ce que le Parlement européen a demandé à la Commission. De plus, il est grand temps d’accélérer le développement du plan protéines végétales européen. »

Car nous sommes très dépendants notamment du soja. Accroître la production de protéines végétales dans l’UE peut engendrer non seulement des bénéfices économiques pour les agriculteurs, mais aussi de nombreux avantages environnementaux et climatiques, puisque le soja importé est souvent issu de déforestation et parce que les légumineuses contribuent à la fixation de l’azote de l’atmosphère dans le sol.

Pour le maintien de la paix dans le monde

Le développement d’une filière de production d’engrais et notamment d’engrais décarbonés sur le sol européen doit être lancé de toute urgence, comme cela a été fait pour la production de vaccins ou pour les batteries électriques. Lire aussi :

Enfin, l’Union européenne doit être force motrice pour la mise en place d’un grand plan d’investissement pour le renforcement des capacités de production en Afrique et au Moyen-Orient. Nous devons aider les pays trop dépendants des importations de céréales et oléagineux (huile de tournesol notamment) à augmenter leur production nationale et à la diversifier. Manger à sa faim est un facteur-clé pour le maintien de la paix dans le monde, ne laissons pas à Vladimir Poutine le pouvoir d’imposer son chaos.

Irène Tolleret(eurodéputée (Renew Europe))

Images liées:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.