Robert Guédiguian conte un épisode socialiste du Mali indépendant, dans les années 1960, à travers la jeunesse révolutionnaire et son sens de la fête.
OPÉRATION SPÉCIALE CAMPAGNE DE DONS : LE SITE POLITIS EN ACCÈS LIBRE.
Cet article vous est offert, ainsi que tous ceux publiés pendant notre campagne de sauvetage, du 17 novembre et le 31 décembre. Faites-le savoir autour de vous. C’est le moment ou jamais de faire connaître notre journal. Politis ne doit pas mourir !
Même si cette division est artificielle, on peut distinguer deux catégories de films dans l’œuvre de Robert Guédiguian. Ceux qui ont pour cadre Marseille, avec pour épicentre l’Estaque, le quartier où le cinéaste est né et a grandi ; et, depuis Le Promeneur du Champ-de-Mars (2005), une veine qu’on pourrait qualifier d’historico-lyrique, fabriquant des « légendes » à partir de faits vrais, pour reprendre le mot du réalisateur à propos de l’un de ses plus grands films, L’Armée du crime (2010), qui relatait l’aventure héroïque et juvénile du groupe Manouchian sous l’Occupation.
Cette veine touche autant à son monde intérieur, à sa fibre intime. Une histoire de fou (2015), sur l’épisode terroriste des Arméniens dans les années 1980, était directement lié à l’une de ses identités en même temps que le cinéaste y posait la question du recours à la violence aveugle en faveur d’une cause juste.
Mais où est Robert Guédiguian par rapport au sujet de Twist à Bamako ? D’abord dans sa volonté de renouvellement et son désir de faire découvrir. Aller tourner dans un pays africain (en l’occurrence le Sénégal, le Mali étant trop peu sûr) était l’occasion de bouger ses repères, même s’il a emmené sa fidèle équipe technique. Tournage d’autant plus chargé d’inconnues qu’il s’est interrompu pendant six mois au bout de quelques semaines pour cause de pandémie de covid. En outre, ayant le goût de la pédagogie, le cinéaste ne cache pas son plaisir de faire découvrir à un public européen qui en ignorait tout cette histoire située à l’orée des années 1960, aux premiers temps de l’indépendance du Mali où, sous la présidence de Modibo Keïta, un régime socialiste – ou un « moment communiste », comme le qualifie le cinéaste – a été instauré.
Passons vite sur les raisons qui ont abouti à son échec : les résistances des grands commerçants de Bamako, les pressions de -l’Occident, l’inclination autoritaire du régime face à son manque d’efficacité et de persuasion… Le film raconte parfaitement cet enchaînement fatal, qui transforme le rêve initial en une somme de trahisons et d’amertumes. En cela, Twist à Bamako rejoint nombre des œuvres du cinéaste où il n’enjolive rien de la réalité, mais, au contraire, insiste là où ça fait mal – de ce point de vue, Gloria Mundi (2019), son avant-dernier opus, se posait là.
Pourtant, Twist à Bamako est sans doute le film le plus chatoyant que Robert Guédiguian ait jamais fait. Chaque plan recèle une composition graphique ou explose de couleurs : qu’il s’agisse des tenues jaune et bleu ou orange de Lara (Alice Da Luz), l’amoureuse – mais déjà mariée dans son village selon la loi tribale – de l’intègre Samba (Stéphane Bak), de la boutique de tissus du père de Samba (Issaka Sawadogo) ou des murs rutilants de la discothèque où, presque tous les soirs, les jeunes de la ville se rendent. Militants du bien commun le jour, danseurs invétérés la nuit : le « twist » du titre ne rime pas avec individualiste mais avec marxiste. C’est la première fois que Robert Guédiguian affirme avec autant de force la nécessaire alliance de la révolution et de la sensualité, de l’élégance et de l’exaltation des corps. Œuvrer pour un monde meilleur ne s’accomplit pas dans le sang et les larmes, mais dans la joie et la séduction. Une certaine idée de son apparence ne s’oppose pas, bien au contraire, avec le souci du collectif.
Voilà ce qui se trouve au cœur de Twist à Bamako, qui, par ailleurs, interprète à sa façon la notion d’appropriation culturelle. En effet, les jeunes révolutionnaires maliens faisaient la fête sur des musiques occidentales, apportées par les colons : celles des yé-yé français et des premiers rockers (au sens large) états-uniens. La bande originale du film – cruciale, on l’aura compris – est ainsi truffée de Ray Charles et de Johnny Hallyday, de Beach Boys et de Chats sauvages. Mais on y entend aussi Boubacar Traoré et même… Frédéric Chopin. Il y a comme un air d’universalisme dans ce vingt-deuxième film de Robert Guédiguian, ce qui n’étonnera personne. Le communisme n’appartient-il pas à tout le monde ?
Twist à Bamako, Robert Guédiguian, 2 h 09, en salle le 5 janvier.