14/06/2021 (mis à jour à 19:24)
Par Camille Renard
Les restes de 215 enfants autochtones ont été retrouvés près d’un ancien pensionnat au Canada, réveillant les fantômes d’une sinistre histoire coloniale. Le dernier pensionnat réservé aux Indiens a fermé en 1996. Des survivants ont témoigné de ces traumatismes de l’enfance qui ont détruit leur vie.
Au Canada, à partir de la fin du XIXe siècle, un vaste programme colonial vise à acculturer les nations autochtones en “tuant l’Indien dans l’enfant”. 150 000 enfants ont été internés dans des pensionnats, loin de leur famille. Le dernier établissement de ce genre a fermé ses portes en 1996. En voulant supprimer l’Indien dans l’enfant, c’est l’enfant lui-même qui a souvent été supprimé, maltraité, ignoré, tué. En juin 2021, on découvrait, à l’aide d’un géoradar, des dépouilles de 215 enfants à proximité du pensionnat autochtone de Kamloops. En les isolant de leur culture, ces établissements avaient pour but de “civiliser” les autochtones en leur inculquant des valeurs européennes à travers une éducation religieuse et des travaux manuels. On les obligeait à ne plus parler leur langue maternelle, parfois à se laver la peau à l’eau de javel pour qu’elle blanchisse. Après huit ans d’enquête et de recueil de 7 000 témoignages de survivants, le rapport de la Commission de vérité et réconciliation a été publié en 2015, donnant à des excuses publiques du gouvernement pour ce “génocide culturel”, des compensations financières, des programmes de thérapie.
Voici quelques témoignages de ces anciens pensionnaires autochtones, diffusés sur France Culture et France Inter entre 2002 et 2018 :
Pendant des semaines, les pleurs des enfants
ROMÉO SAGANASH, Ancien pensionnaire à La Tuque, Indien Cri, dans “Appel d’air” en 2002 sur France Culture : “J’ai toujours toujours en mémoire toute la durée de ce voyage parce que nous sommes arrivés durant la nuit à La Tuque, on nous a amenés dans le pensionnat. Les enfants de 5, 6, 7 ans pleuraient. Et pendant les deux premières semaines, que nous étions au pensionnat, tous les soirs, j’entendais les enfants pleurer pendant toute la nuit. La seule langue que je parlais à l’époque, c’était ma langue maternelle, le cri. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Les deux premières années, j’ai carrément refusé de parler à qui que ce soit, parmi les gens qui travaillaient là. Les gens qui travaillaient dans ces pensionnats comprenaient très bien et très vite qu’ils étaient dans une situation de contrôle absolu de ces âmes perdues que nous étions. Des abus s’en sont suivis : sexuels, physiques, violences… parfois dans certains pensionnats, des meurtres. J’ai tout simplement compris qu’on m’a arraché à mes parents et de chez moi, qui était la forêt. Juste ça, je l’ai compris. Et c’est pour ça que j’étais en colère.”
RICHARD KISTABISH, Ancien pensionnaire d’Amos, Algonquin Abitibiwinni, en 2016 pour le Magazine de la rédaction, au micro de Sarah Maquet : “Moi, je suis resté 10 ans. Et on était divisés en groupes de grandeur, de grosseur. Moi j’avais 6 ans, donc j’étais placé dans les petits. On a été déshabillés complètement. On se faisait laver par de l’eau qui sortait des murs. Il fallait être tout nu. On a eu beaucoup de mal à comprendre l’eau du mur. Et aussi à un moment donné, on avait faim. Ça, ça a été épouvantable comme apprentissage. Il y en a plusieurs qui sont tombés malades à cause qu’ils avaient faim. On a vu nos familles une fois de temps en temps. Mais c’est fini par ne plus entrer en contact avec ta famille. Je parle plus. Parce que chaque fois que tu utilisais ta langue, c’était défendu, donc tu ne pouvais pas parler avec tes parents dans ta langue, il fallait que tu parles en français.”
Vivre avec des fantômes
JIMMY PAPATIE, Ancien pensionnaire d’Amos, Algonquin de Kitcisakik en 2016, pour le Magazine de la rédaction, au micro de Sarah Maquet : “Les agents du gouvernement, des ministères, les autres, puis les prêtres, ils disent : “Il faut déconnecter l’enfant avec leurs ancêtres, la langue, la culture, toute leur spiritualité. On doit déconnecter ça. La seule manière de le faire, c’est qu’il faut tuer l’Indien dans l’enfant. Et à partir de là, ils ont commencé à mettre sur pied des pensionnats. Je suis entré là en 1969. Il fallait adopter les coutumes des Européens. On priait peut-être en moyenne sept fois par jour. Si on ne prononçait pas les mots, là on était violentés physiquement, on se faisait taper les doigts. On se faisait frapper avec des ceintures ou avec des petites matraques. Il fallait avoir honte de ce que l’on était. Je pense que le trauma qui m’a le plus déstabilisé, c’est d’avoir connu un abus sexuel de la part d’un prêtre. J’avais juste 5 ans. Commencé à boire à 11-12 ans, commencé à prendre des drogues dures à 14-16 ans. Je vis avec des fantômes qui dérangent toute ma vie.”
Un ancien pensionnaire, au micro d’Anne Pastor pour France Inter, en 2018 : “Parfois, il y a des surveillants qui venaient nous réveiller pour aller à la messe. Il venait nous réveiller, et il mettait tout le temps sa main dans nos parties pour nous réveiller. Quasiment chaque matin.”
MADELEINE BASILE, Ancienne pensionnaire à Pointe Bleue, Algonquine Atikamekw, au micro d’Anne Pastor pour France Inter en 2018 : “Moi aussi, j’étais allée au pensionnat 10 ans. A 6 ans, j’étais allée au pensionnat. J’ai beaucoup voyagé dans le Canada. J’ai beaucoup entendu des témoignages des survivants des pensionnats. Il y a une grand-mère qui racontait : “Quand vous êtes partis au pensionnat, on entendait les mamas pleurer parce qu’il y avait plus d’enfants dans le village, plus d’enfants.” Quand elle m’a dit ça, je suis passée à pleurer. Je pensais à mes grands-parents. Ils devaient être tristes. Je pensais à ma mère. Ma mère, elle a 86 ans. On est toutes parties au pensionnat. Sept. Ma mère, elle s’est ramassée. Du jour au lendemain, plus d’enfant. Il y en a une qui est décédée ici. Ma mère a vécu ça. Encore là, la colère est très présente en moi. Il y a la honte aussi. Quand j’étais jeune, j’avais honte. Aujourd’hui, je tiens la plume d’aigle. La plume d’aigle, c’est ma force.”