Des tirailleurs sénégalais participant à un camp d’entraînement dans des colonies françaises en Afrique, en décembre 1939. (AFP)
Un collectif d’élus de Génération·s, de chercheurs et de militants appelle à créer une institution exclusivement dédiée à l’histoire coloniale de la France. Le Conseil de Paris a voté un vœu en ce sens ce mercredi.
Les débats qui ont émergé ces dernières semaines suite au rapport remis par l’historien Benjamin Stora au président de la République montrent la nécessité de faire connaître au plus grand nombre l’histoire de la colonisation qui a tant structuré l’histoire de France, en particulier celle de la République. Un musée national de l’histoire de la colonisation apparaît comme une urgence pour dépasser les polémiques stériles, l’histoire ne s’écrit pas avec une gomme !
Quatre-vingt-dix ans après l’exposition coloniale internationale, où des mises en scènes coloniales avaient été érigées en plein cœur de Paris et où, en même temps, l’un des derniers zoos humains avait lieu dans le Jardin d’acclimatation à l’autre bout de Paris avec une «troupe de Kanaks», l’histoire de cette période n’est toujours pas traitée comme il se doit. Pourtant, en 1931, cette exposition coloniale internationale avait rencontré un franc succès, plus de 8 millions de visiteurs – un record dans le siècle – grâce à une propagande sans précédent. Le Palais de la Porte dorée, construit pour l’exposition, allait devenir ensuite le Palais des colonies, lieu de propagande de l’Empire jusqu’aux années 60.
Aujourd’hui, nous avons plus de 12 000 musées sur notre territoire et pas un seul ne traite exclusivement de l’histoire de la colonisation, qui est pourtant essentielle car elle fait partie intégrante de l’histoire de France.
Histoire longue et complexe
Longue de plus de quatre siècles et demi, l’histoire de la colonisation française remonte à 1534, lorsqu’un navigateur de Saint-Malo, Jacques Cartier, débarque sur les rives du Saint-Laurent et revendique cette terre pour le roi de France. De très nombreux territoires sur tous les continents ont été par la suite conquis, colonisés et exploités.
Cette histoire est longue et complexe. Du fait des articulations et des connexions, elle a eu des effets profonds bien sûr pour les peuples colonisés mais aussi pour le peuple français. Elle est encore aujourd’hui un sujet sensible pour nombre de nos concitoyens. Cette partie de notre histoire reste en effet une plaie ouverte au cœur de notre République. Nous avons besoin de faire face à notre passé, de le connaître et de le comprendre, pour mieux construire l’avenir de notre nation avec toutes les Françaises et tous les Français. Non pas à coups de déclaration d’intention dans les médias, mais à travers des actes forts et concrets, à la mesure de l’enjeu qui se dresse devant nous. Le rapport remis par l’historien Benjamin Stora au président de la République le 20 janvier illustre parfaitement l’importance de cette question, il en est de même pour la série de 318 «portraits de France», proposée par un conseil scientifique présidé par Pascal Blanchard, mise en ligne le 12 Mars 2021, qui montre bien que cette question concerne tous les Français.
La création d’un musée national de l’histoire de la colonisation, ouvert à toutes et à tous, contribuerait à une meilleure connaissance et compréhension de notre passé. Il répondrait à l’appel de nombreuses voix qui se sont élevées ces dernières années pour demander un tel lieu de savoir et de culture. De nombreux historiens éminents ont ainsi déjà exprimé cette nécessité à de nombreuses reprises. Il permettrait de donner du sens à cette partie de notre histoire, aux Françaises et aux Français de toutes générations et de toutes origines. Il apporterait aussi la reconnaissance de ce passé commun pour de nombreux Français (appelés du contingent, descendants de colonisés issus de toutes les immigrations, harkis, pieds-noirs, ultramarins, etc.).
Ces lieux d’histoire existent déjà chez nos voisins, ex-puissances coloniales également. Deux musées ont vu le jour en Angleterre, à Liverpool (consacré à l’esclavage) et à Bristol. En Belgique le musée de Tervuren à Bruxelles a rouvert ses portes en 2018, en Allemagne à Berlin un musée traitant de la question coloniale dans une vision globale a ouvert ses portes.
Construire un lieu d’histoire
La nomination du chercheur Pap Ndiaye au poste de directeur général du Palais de la Porte dorée est essentielle quant au traitement de la question coloniale dans ce lieu. Cette histoire de la colonisation, s’il est essentiel de l’aborder par le prisme de l’immigration, est plus large que celui-ci. Un musée national de l’histoire de la colonisation répond d’ailleurs à une demande sociale majeure et serait ainsi complémentaire du Musée national de l’immigration. De nombreux signaux permettent d’envisager sérieusement ce nouveau musée. Dernier en date, un rapport parlementaire porté par Caroline Abadie (LREM) et Robin Reda (LR) propose un tel musée ; cependant, ce dernier doit s’ancrer dans un territoire pour raconter l’histoire. Cela prouve bien qu’aujourd’hui cette question traverse les partis politiques.
Il est urgent désormais de construire en France ce lieu d’histoire, de savoir, de pédagogie, de transmission, de culture et de débat. C’est de cette manière que nous pourrons combattre le racisme, les préjugés et l’ignorance. C’est une condition impérieuse pour que nous vivions ensemble de manière sereine et apaisée.
Premiers signataires : Benoît Hamon, ancien candidat à l’élection présidentielle, fondateur de Génération·s ; Tassadit Yacine, anthropologue, directrice d’études, EHESS ; Arié Alimi, avocat au barreau de Paris ; Carine Petit, maire du XIVe arrondissement de Paris, François Gemenne, directeur de l’Observatoire Hugo, université de Liège ; Naïma Yahi, historienne, migrations et sociétés, université de Nice ; Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’homme ; Nicolas Bancel, historien, spécialiste de l’histoire coloniale, université de Strasbourg ; Catherine Coquery-Vidrovitch, professeure émérite, université Paris-Diderot ; Salah Amokrane, membre du collectif national de Génération·s ; Yvan Gastaut, historien spécialiste de l’immigration, université de Nice ; Hayatte Maazouza, responsable plaidoyer et impact, Positive Planet France ; Michel Carassou, écrivain ; Joséphine Delpeyrat, porte-parole de Génération·s ; Hella Kribi-Romdhane, porte-parole de Génération·s ; Laura Slimani, adjointe déléguée à la lutte contre les discriminations de la ville de Rouen, membre du collectif national de Génération·s ; Amine Bouabbas, premier adjoint, mairie du XIVe arrondissement de Paris, membre du collectif national de Génération·s ; Zoubir Ghanem, adjoint, mairie du XIVe arrondissement de Paris ; Elliot de Faramond, adjoint, mairie du XIVe arrondissement de Paris, président du groupe Génération·s ; Julie Cabot, adjointe, mairie du XIVe arrondissement de Paris, Mélody Tonolli, adjointe, mairie du XIVe arrondissement de Paris, Nathalie Maquoi, présidente du groupe Génération·s au Conseil de Paris, élue du XXe arrondissement, Paris.