L’Union européenne s’est dite « consternée » et la Maison Blanche « troublée » par l’usage de la force lors des funérailles vendredi, à Jérusalem, de la journaliste palestino-américaine, tuée lors d’un raid israélien en Cisjordanie occupée. La police israélienne a annoncé l’ouverture d’une enquête.
14 mai 2022 à 18h48
Des policiers casqués qui chargent, matraquent et frappent à coups de pied les hommes qui portent la dépouille de Shireen Abu Akleh, un cercueil secoué qui manque tomber au sol, sur fond de cris et de détonations : les images insoutenables tournées vendredi dans la cour de l’hôpital Saint-Joseph de Jérusalem ont fait le tour du monde, suscitant un tollé international.
Dès vendredi, l’Union européenne (UE) s’est indignée dans un tweet, par la voix de sa délégation auprès des Palestiniens : « Consternée par la violence dans l’enceinte de l’hôpital Saint-Joseph et par le niveau de force inutile exercée par la police israélienne tout au long du cortège funèbre. » « Un comportement aussi disproportionné ne fait qu’alimenter les tensions », a-t-elle ajouté.
D’après le Croissant-Rouge palestinien, 33 personnes ont été blessées lors des funérailles, et six ont dû être hospitalisées. La police israélienne a de son côté fait état de six arrestations.
Les forces israéliennes ont fait irruption dans l’enceinte de l’hôpital Saint-Joseph à Jérusalem-Est, secteur palestinien de la ville occupé et annexé par l’État hébreu, avant de disperser une foule brandissant des drapeaux palestiniens à la sortie du cercueil de la journaliste d’Al-Jazeera, tuée à l’âge de 51 ans.
L’ambassadeur de l’Union européenne auprès d’Israël, Dimiter Tzantchev, a en outre indiqué sur Twitter être « atterré par les scènes observées […] en marge des funérailles et l’usage disproportionné et irrespectueux [de la force] durant le cortège funèbre ».
De son côté, la Maison Blanche s’est dite « profondément troublée » par les images des obsèques de la journaliste palestino-américaine. « Nous déplorons l’intrusion dans ce qui aurait dû être une procession dans le calme », a déclaré sa porte-parole, Jen Psaki. Elle a rendu hommage à la « journaliste remarquable » tuée mercredi d’une balle dans la tête alors qu’elle couvrait une opération israélienne dans le camp de réfugiés palestiniens de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, territoire palestinien occupé. La reporter portait un casque et un gilet pare-balles siglé « Press ».
Au contraire de l’Union européenne, la porte-parole de l’exécutif américain s’est gardée de dénoncer l’usage d’une force disproportionnée par les forces israéliennes contre le cortège funèbre. « Quand nous disons qu’elles [ces images] sont troublantes, évidemment nous ne les justifions pas », s’est-elle bornée à dire.
Une scène rappelant « les funérailles de militants contre l’apartheid »
Dans un premier temps, Israël a affirmé que la journaliste avait « probablement » succombé à un tir palestinien. Mais l’État hébreu a ensuite dit ne pas écarter l’hypothèse que la balle ait été tirée par ses soldats. L’Autorité palestinienne, la chaîne qatarie Al-Jazeera et le gouvernement du Qatar accusent l’armée israélienne de l’avoir tuée.
« Les forces d’occupation ne se sont pas contentées de tuer Shireen […] mais elles ont terrorisé ceux qui l’ont accompagnée vers sa dernière demeure », a dénoncé le Qatar. Pour la Fondation Desmond Tutu, les scènes de l’intervention policière « font froid dans le dos, rappelant la brutalité infligée aux personnes endeuillées lors de funérailles de militants contre l’apartheid » en Afrique du Sud.
Intervention des forces de sécurité israéliennes lors des funérailles de la journaliste Shireen Abu Akleh, à Jérusalem, le 13 mai 2022. © Photo Ahmad Gharabli / AFP
Face au tollé, la police israélienne a annoncé samedi qu’elle allait ouvrir une enquête. « Le commissaire de la police israélienne, en coordination avec le ministre de la sécurité publique, a ordonné une enquête sur l’incident. Les conclusions de l’enquête seront présentées au commissaire dans les prochains jours », a-t-elle indiqué dans un communiqué.
Dans ce texte, la police affirme que ses « officiers avaient été exposés à la violence des émeutiers, ce qui les a poussés à avoir recours à la force ». Elle indique « soutenir ses officiers » mais vouloir « tirer les leçons de cet incident ».
Vendredi, le cercueil de Shireen Abu Akleh a finalement pu être transporté vers la Vieille Ville de Jérusalem, où une messe a été célébrée dans une église, avant l’inhumation dans un cimetière à proximité. Des milliers de Palestiniens ont participé à ses obsèques.
Déclaration unanime du Conseil de sécurité l’ONU
Dans une déclaration unanime adoptée vendredi après des négociation ardues, le Conseil de sécurité de l’ONU a quant à lui « fermement condamné le meurtre le 11 mai de la journaliste américano-palestinienne Shireen Abu Akleh et la blessure d’un autre journaliste dans la ville cisjordanienne de Jénine ».
Initiée par les États-Unis, cette très rare position unanime du Conseil de sécurité sur un sujet concernant Israël réclame aussi « une enquête immédiate, approfondie, transparente et impartiale » sur ce meurtre. Elle souligne « la nécessité de garantir une mise en responsabilité » de son ou ses auteurs.
Le décès de l’icône du journalisme palestinien, qui travaillait pour Al-Jazeera depuis 1997, a suscité une vague d’émotion dans les Territoires palestiniens, dans le monde arabe, où ses reportages ont été suivis pendant plus de deux décennies, en Europe et aux États-Unis.
Mercredi matin, elle couvrait un raid de l’armée israélienne dans le camp de réfugié·es de Jénine – sa mission quasi quotidienne depuis deux mois. « Dès qu’elle est sortie de la voiture, elle était clairement identifiée comme une journaliste »,a témoigné Mujahed al-Saadi, un caméraman palestinien qui était à ses côtés sur le terrain ce matin-là.
Dans une vidéo publiée quelques minutes après la mort de sa consœur, il raconte comment leur petit groupe – sept journalistes – est passé devant les soldats israéliens pour s’assurer qu’ils avaient remarqué leur présence.
« On a reçu une salve de tirs dans notre direction. Un collègue s’est fait tirer dessus, j’ai entendu Shireen crier pour nous prévenir qu’il était touché. Il y a eu un autre tir, j’ai tourné la tête, puis je l’ai vue elle, au sol. Elle a été touchée à la tête, sous l’oreille, par un tir extrêmement précis. C’était un endroit qui n’était pas couvert par son casque », a-t-il décrit.
Shireen Abu Akleh est décédée à l’hôpital des suites de ses blessures. Al-Jazeera a dénoncé un « crime odieux, en violation totale du droit international, qui a pour but d’empêcher les journalistes de faire leur travail », et tient pour responsables « les forces d’occupation israéliennes, qui ont assassiné de sang-froid » son journaliste.