Plus de 4 200 migrants sont entrés illégalement en Lituanie en 2021, une situation inédite pour ce petit pays balte de l’Union européenne. Arrivés depuis la Biélorussie voisine, au cours de l’été, ces migrants ont été envoyés dans des centres installés à la hâte par les autorités, où nombre d’entre eux sont toujours bloqués. Témoignage.
Depuis le début de l’année, plus de 4200 personnes sont entrées illégalement en Lituanie, depuis la Biélorussie, contre 74 en 2020. Parmi elles, une grande majorité d’Irakiens (2 797). Derrière eux, les deux pays les plus représentés sont le Congo-Brazzaville (200) et le Cameroun (131). Environ 8 000 personnes ont également été refoulées par les garde-frontières lituaniens cette année.
La plupart des Irakiens sont arrivés en Biélorussie par avion, depuis Bagdad, au cours de l’été, munis de visas touristiques, et ont ensuite traversé à pied la frontière avec la Lituanie. En revanche, la plupart des Africains vivaient déjà en Biélorussie depuis des mois, voire des années, souvent avec des visas étudiants, quand ils ont tenté de se rendre en Lituanie.
Dépassée par cet afflux migratoire sans précédent, la Lituanie – petit pays de l’Union européenne de 2,7 millions d’habitants – a commencé à construire une clôture à la frontière biélorusse cet été. De plus, elle a ouvert des centres pour placer les personnes arrêtées en situation illégale, notamment dans d’anciennes écoles, où nombre d’entre elles sont bloquées depuis des mois.
Originaire d’un pays d’Afrique francophone, Tshetshe (pseudonyme) est bloqué dans un centre situé dans le village de Medininkai, à deux kilomètres de la frontière biélorusse. Il a tenu à garder l’anonymat car les communications des migrants sont théoriquement restreintes, sauf s’ils veulent contacter les autorités locales, en vertu de l’état d’urgence en vigueur le long de la frontière biélorusse et dans les centres d’accueil des migrants.
“Nous dormons dans des containers, pouvant abriter quatre personnes chacun”
“Depuis 2018, j’étudiais dans une université en Biélorussie, et début juillet, j’ai décidé de traverser la frontière avec la Lituanie. J’ai alors été arrêté par des garde-frontières lituaniens, puis j’ai été envoyé au centre de Verebiejai, une ancienne école.
Ensuite, deux ou trois mois plus tard, j’ai été placé dans le centre de Medininkai, où je suis toujours détenu, comme un prisonnier.
Le centre est divisé en cinq parties, séparées par des clôtures recouvertes par des bâches : deux sont réservées aux hommes, et les trois autres aux femmes, aux familles et aux homosexuels. En tout, il y a environ 800 personnes, pour la plupart irakiennes. [Cette estimation correspond à des chiffres fournis par les garde-frontières en septembre, ndlr]
Nous dormons dans des containers pouvant abriter quatre personnes chacun. Juste à côté, il y a un bâtiment d’une école de formation des garde-frontières.
Ici, nous manquons de tout. En premier lieu, de savon. Le 22 décembre, la Croix-Rouge est venue en apporter, de même que du shampooing et des brosses à dents. Cela faisait des semaines qu’elle n’était pas venue.
Concernant l’eau, j’achète des bouteilles de 5 litres à un magasin mobile qui vient deux fois par semaine. D’autres boivent l’eau du robinet, mais je ne suis pas sûr qu’elle soit de qualité.
Il arrive aussi que l’eau reste froide dans les douches une journée entière. Pourtant, actuellement, il fait moins -10 °C environ.
“Nous avons tendance à rester éveillés toute la nuit car notre sommeil est perturbé”
Nous avons tendance à rester éveillés toute la nuit, puis à dormir de 6 h jusqu’à 15 h ou 16 h, car notre sommeil est perturbé. Par exemple, avant, j’avais souvent cours toute la journée, alors qu’ici, je n’ai presque aucune activité, donc j’ai du mal à m’endormir le soir.
La seule activité pour les adultes, c’est des cours d’anglais, mis en place il y a trois semaines : ils sont dispensés tous les jours par un Camerounais, également détenu ici. En dehors de cela, nous regardons des vidéos et nous lisons sur Internet, nous prions… Mais il n’y a pas de wifi dans le centre, donc nous devons nous débrouiller pour acheter de la data. Nous aimerions qu’il y ait des cours de lituanien, mais ils sont réservés aux enfants.
En dehors du fait qu’il n’y a rien à faire, l’incertitude est grande par rapport à ce qui nous attend. Cela nous inquiète beaucoup.
Par ailleurs, ici, les gens s’énervent facilement, car les garde-frontières ont tendance à nous manquer de respect, en disant que nous sommes des ‘criminels’ ou des ‘voyous’, sans aucune raison. Avant, je pensais que la Lituanie était avancée concernant les droits de l’Homme, mais je ne le pense plus.”
Comme nombre de migrants coincés en Lituanie, Tshetshe a fait une demande d’asile, qui lui a été refusée. Il assure qu’il a donc “envoyé un recours” pour contester la décision. Seules 54 demandes d’asile ont été acceptées par la Lituanie cette année, sur 3 272, soit moins de 2 %. Environ 610 personnes ont fait appel après avoir vu leur demande rejetée.
Le 23 décembre, le Parlement lituanien a approuvé des amendements à la loi sur le statut juridique des étrangers, autorisant à les maintenir en détention jusqu’à 12 mois, notamment lorsque le pays est en état d’urgence, comme c’est le cas actuellement. Alors que la loi interdisait déjà toute remise en liberté des migrants durant les six mois suivant leur arrivée, leur détention peut désormais être prolongée de six mois supplémentaires si leur demande d’asile est rejetée et s’ils ne sont pas expulsés au cours des six premiers mois.