Ce 19 mars, suite aux accords d’Evian, le cessez-le-feu est proclamé. Le capitaine commandant la Compagnie veut solenniser la circonstance en organisant une prise d’armes dans la cour du bordj. Discours sur les valeurs de la France et tout ce qu’elle a apporté en Algérie depuis 1830, drapeau en berne, minute de silence… Ce cessez-le-feu qui prépare les algériens à leur indépendance est transformé en une défaite historique de la France. A travers les propos du capitaine, on sent bien son attachement à l’Algérie Française et sa tristesse de voir la fin programmée de cette glorieuse époque de colonisation.

Au bordj, rien ne change vraiment, la vie suit son cours. Cependant le vendredi 23 mars, et c’est le signe d’un prochain départ, le dépôt d’essence est partiellement liquidé. Les fûts vides sont chargés sur d’énormes camions Berliet et acheminés vers Colomb Béchar. Une importante réserve est cependant gardée pour alimenter les avions de passage et les véhicules du peloton motorisé.

Le dimanche 8 avril, comme le prévoyaient les accords d’Evian, un référendum appelle la population autochtone à voter pour ou contre l’Algérie indépendante. On a beaucoup dit sur ce référendum, en particulier sur la couleur, verte et rouge, des bulletins de vote, sachant que la couleur préférée des algériens est le vert…

Entrée du bordj

                             Surveillance de la piscine

Le dimanche 22 avril, jour de Pâques, le père Janssens arrive à la palmeraie aux commandes de son “Broussard”. Ce prêtre hollandais vit depuis plusieurs années dans l’ermitage du Père de Foucauld à Béni Abbès et visite régulièrement ses ouailles avec son petit coucou. Le matin, messe au réfectoire puis inauguration du nouveau “foyer du méhariste”. Chacun sait pourtant que la présence militaire dans le bordj est en sursis et qu’il nous faudra, un jour proche, déménager pour ne plus revenir.

Depuis plusieurs semaines la piscine du bordj a été remise en état. On y a pompé de l’eau saumâtre et le bain est désormais un passe-temps bien agréable qui permet aux hommes de troupe de ne pas “glander” sur leur lit dans les chambrées. Ce dimanche de Pâques, je me retrouve de surveillance à la piscine, sage précaution du commandement pour éviter les ennuis dus à l’excès d’apéritif offert en ce jour de Pâques.

                           L’absent noyé au fond de la piscine

Le vendredi 11 mai, en présence du général commandant les troupes au Sahara, les deux pelotons méharistes sont accueillis au bordj. Partis depuis plusieurs mois patrouiller dans l’erg Er Raoui jusqu’à la frontière marocaine, ils reviennent à leur base pour reconstituer bêtes et gens que trois mois de nomadisation ont quelque peu malmenés, mais aussi en raison du récent référendum où la population a voté pour l’indépendance. Prise d’armes puis fantasia des méharistes, spectacle fascinant de cette charge des méharis contre un ennemi fictif, fusil brandi et coups de feu en l’air… Pour l’occasion, le commandant a invité un peloton de légionnaires basé à Colomb Béchar. Après avoir participé à la prise d’armes et défilé devant le général, c’est le moment de la détente qui voit méharistes et légionnaires se ruer au foyer du méhariste pour y étancher une soif que la température torride a accentuée. La chaleur incite chacun à se baigner. Le soir le lieutenant commandant le peloton de légionnaires fait l’appel de ses hommes. L’un d’eux manque à l’appel. Tout le monde se met à sa recherche, y compris dans le village proche. Ce n’est qu’à la tombée de la nuit qu’on le retrouve, noyé, au fond la piscine… Ses camarades l’habillent, le juchent sur l’un des 4×4, le recouvrent d’une toile et reprennent la piste vers Béchar.

Partage du méchoui (photo PH)

                                               L’Aïd El kébir

Il semble que le commandant, à l’approche d’un départ proche de la compagnie, fasse tout pour affirmer de façon évidente la présence française sur cette terre, même s’il est persuadé que la souveraineté française sur cette portion d’Afrique est bel et bien révolue. Après le retour des méharistes, une nouvelle occasion s’offre à lui : la fête musulmane de l’Aïd El Kébir[1]. Toute la compagnie est là, pelotons montés et portés, musulmans et roumis (chrétiens), occasion unique et ultime de faire la fête et de célébrer d’une certaine façon le lien entre français et algériens. Un immense méchoui est préparé par les chambis et servi à la koubba [2]des sous-officiers. Chacun est assis sur des couvertures de méharistes tandis que l’on sert l’anisette aux non musulmans. Puis on se rassemble autour des chèvres rôties que l’on taille en morceaux. Suivent le couscous, le thé à la menthe. Sous une tente réguibat, les hommes vont danser jusqu’à une heure avancée.

Paul Huet

A suivre : le salaire de la peur


[1] Aid el Kébir : fête musulmane qui commémore le sacrifice d’Abraham

[2] Koubba : habitation carrée surmontée d’un dôme

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