Pour Noël, les sommets du Djurdjura sont blancs de neige… Le soir du 24 décembre, j’assiste à la messe de minuit à la paroisse d’El Biar, puis avec quelques copains, nous réveillonnons dans un des bureaux de la villa. Les explosions sont fréquentes, mais, sous la garde armée de quelques-uns, nos festivités se déroulent dans une relative sérénité.
“L’Algérie a donc connu, hélas ! un Noël sans paix. Tandis que le monde entier célébrait dans la joie la fête de la Nativité, le sang et les larmes ont continué de couler de l’autre côté de la Méditerranée. Et dans d’innombrables familles françaises l’absence de l’enfant qui est “là-bas” a été profondément ressentie. Non plus que la paix, la joie de Noël n’a pas été partout totale. Les rois mages, en route vers la crèche apporteront-ils l’espoir qu’il en sera autrement pour un prochain Noël “ ? (La Dépêche du Maine, Noël 1961)
Tenue de combat et casque lourd
L’année 1961 s’achève dans l’inquiétude et dans l’espoir d’une solution à ce conflit. Nous sommes chargés des “opérations de maintien de l’ordre”, mais ce pléonasme cache la réalité d’une guerre évidente où s’affrontent trois belligérants : l’OAS qui veut le maintien de l’Algérie Française, les Algériens qui, par FLN interposé, luttent pour leur indépendance, et entre les deux, l’armée française dont la position est de plus en plus délicate.
Le 5 janvier, on parle en ville d’une mobilisation des troupes de l’OAS. Intoxication ? A la radio, une émission pirate confirme cette rumeur. Dès le lendemain matin, un piquet d’alerte est constitué pour la défense du cantonnement. Chaque homme revêt la tenue de combat, coiffe le casque lourd et se voit attribuer un P.M chargé. Deux par deux, nous patrouillons dans les rues autour du camp. Le soir ce dispositif de sécurité et de défense est remis sur pied. Les hommes de troupes dorment habillés, l’arme à proximité.
Dans la nuit de jeudi, des affichettes ont été placardées dans la plupart des quartiers européens d’Alger. Bordées de tricolore et portant deux drapeaux croisés, elles s’intitulent “Avis de mobilisation générale” et sont signées Raoul Salan, commandant en chef. Un certain nombre de ces affiches ont été détruites avant l’aube, mais, dès les premières heures de la matinée, cette “mobilisation générale” faisait l’objet de toutes les conversations dans la ville. Beaucoup rapprochent l’éclosion de ces affiches de certains “messages personnels” diffusés dans l’émission pirate de la veille.
Réalité quotidienne des attentats
Il y a bien longtemps que l’on parle de mobilisation à Alger. Avant le 1er janvier, disait un tract déjà ancien, 100 000 hommes devaient être mobilisés. Cet affichage est en tout cas un acte spectaculaire qui ancrera davantage le plus grand nombre dans le sentiment que le pouvoir de R. Salan est non seulement le pouvoir de fait, mais le seul pouvoir légal. Dans les conversations, évidemment, on envisage l’éventualité d’un prochain putsch ; les ménagères se passent la consigne : faites des provisions pour six jours. Pourquoi six jours ? Mystère ! Mais il est de bon ton de paraître renseigné.
Les autorités ne paraissent pas être très émues de cet avis de mobilisation et le service d’ordre ne semble pas particulièrement renforcé. Il est vrai que, depuis quelques jours, il est très important. Malgré cela, malgré aussi les annonces d’un proche cessez-le-feu, la ville n’est pas plus fiévreuse que de coutume. On voit même dans ces chaudes journées les jeunes gens et jeunes filles se baigner et se dorer au soleil. Mais sur le boulevard proche on entend quand même les hurlements des ambulances qui rappellent la triste réalité quotidienne des attentats.” (Journal “La Croix” 06-01-1962)
Ma fonction au Service Général est d’organiser le logement des officiers et sous-officiers qui transitent par Alger avant de rejoindre leur poste au Sahara. Pour cela, quelques chambres leur sont proposées, dans l’enceinte de la villa. Nettoyage et aménagement de ces chambres font partie de mes attributions. Il m’arrive également d’effectuer le convoyage de ces officiers entre l’aéroport de Maison-Blanche et le CIS. Un soir de janvier, la jeep qui m’emmenait chercher un officier à Maison-Blanche tomba en panne en plein Bab el Oued, le quartier arabe. Par bonheur, une patrouille de zouaves nous protégea pendant la réparation.
Les jours s’écoulent, occupés à des activités militaires diverses : gardes au poste d’entrée, piquet d’intervention, exercices d’alerte, tir au P.M à Béni Messous… Nous prenons cependant le temps de descendre en ville vers des lieux reposants : le balcon Saint Raphaël d’où la vue sur Alger est magnifique, le Jardin d’essai, la basilique Notre-Dame d’Afrique, vénérée également par les musulmans : il n’est pas rare d’y croiser des femmes voilées qui prient Myriam…
Paul Huet
A suivre : Le Sahara