Le 15 août je participe à une sortie en piste pour aller ravitailler le peloton méhariste qui nomadise aux Oglats Béraber. La piste est connue, c’est celle que nous avions empruntée pour nous rendre à Zegdou. Les kheimats sont dressées sur la hammada et les chameaux sont baraqués ou paissent à proximité des tentes, à la recherche des moindres brins d’herbe séchée qui poussent entre les cailloux. Nous passons la nuit à la belle étoile, enveloppés dans le sac de couchage en épais drap militaire. Le ciel est splendide mais la nuit est froide. Au matin, sentant une curieuse présence contre ma cuisse, je sors doucement de mon sac et le secoue. Une vipère à corne s’en échappe, venue sans doute se réfugier dans la chaleur de mon sac…
Les formalités de mon départ s’accélèrent : un ordre de libération arrive à la compagnie le 11 septembre, signifiant mon embarquement le 24 à Mers El Kébir. Visite médicale, remise du paquetage, arrosage de la “quille” avec les copains et le samedi 15, je prenais l’avion pour Colomb Béchar, quittant Tabelbala pour la dernière fois. Dernière vision, à travers les hublots de l’appareil : le village aligné autour de sa mosquée, l’oasis et les lignes visibles des foggaras, le vieux ksar, le Kahal Tabelbala, l’erg El Atchane, et puis, curieusement, dans une légère dépression de terrain, l’amoncellement gigantesque des canettes de bière et de Perrier entassées depuis des années, dérisoires déchets d’une armée d’occupation définitivement congédiée…
Le Ville d’Alger via Marseille
Le district de transit de Colomb Béchar accueillait dans ses hangars les militaires en partance vers Oran. Il me faudra patienter jusqu’au vendredi 21 septembre pour prendre le train (“l’Inox”) vers Oran : une journée de voyage dans des wagons de 3ème classe au confort incertain. Aux arrêts dans les gares plus importantes, le train est gardé et surveillé étroitement par des gamins de 12/13 ans, vêtus de gandouras crasseuses mais armés de kalachnikovs neuves, chargeur engagé. Le District de transit d’Oran est la dernière étape avant de retrouver le sol de la France. D’immenses hangars avec des lits à trois niveaux, une nourriture qu’il faut gagner en jouant des coudes tant le commandement est désorganisé face au nombre des arrivants. Interdiction de sortir. D’ailleurs nous avons l’oreille rivée sur les haut-parleurs qui égrènent le nom et l’unité d’origine des rapatriés et leur bateau d’embarquement. Il était impératif de ne pas manquer l’information, sinon le temps de présence dans cet enfer s’allongeait. Mon nom fut enfin appelé le lundi 24 et j’embarquai dans les camions de transport vers le port de Mers El Kébir en traversant la ville d’Oran sous les huées des jeunes oranais qui assistaient avec joie au spectacle.
Le “Ville d’Alger” quitte le port le lundi 24 à 21 heures. Au large des Baléares il essuie une forte tempête. Beaucoup sont malades. Je délaisse le fond de cale où s’entasse la troupe nauséeuse et passe la nuit au grand air, sur le pont, exempt de nausées. Ce n’est que le mercredi 26 à 6 heures du matin que nous accostons à Marseille. En cette fin d’été marseillais, le temps est magnifique et ce qui frappe, après des mois de sécheresse et de chaleur, c’est la fraîcheur des couleurs, la douceur de l’air et puis un je-ne-sais-quoi qui me fait penser “je suis enfin rentré à la maison !” La fatigue et la tension des derniers jours, depuis le départ de Tabelbala, ne seront évacuées que plus tard, quand je retrouverai la ferme natale. Pour l’instant, il me faut trouver où habitent Guy et Odile avec lesquels j’ai entretenu pendant tout ce temps une correspondance bienfaisante. Un taxi m’amène chez eux. Heureuses retrouvailles ! Un bain me permet d’évacuer la crasse accumulée depuis des jours. L’après-midi de ce mercredi, nous partons à Grasse voir l’oncle et la tante Dubuisson et nous revenons à Marseille le vendredi pour que je puisse prendre le train de nuit vers Paris. Je débarque au Mans le samedi 29 à 10 h 30 et me rend à pied au 111 boulevard E. Zola, domicile de l’oncle et de la tante Micault, où m’attendent maman et Joseph qui me ramènent en voiture à Chérancé.
Paul HUET (2020 )
a suivre, l’intégrale