En appel, Soulaimane Raissouni prend la parole pour la première fois
© Kholoud Mokhtari

Le journaliste marocain Soulaimane Raissouni, condamné à cinq ans de prison pour « atteinte à la pudeur », a clamé son innocence, étalant au grand jour les « contradictions » et « le surréalisme » des déclarations du plaignant et des accusations, lors de sa première prise de parole dans le cadre de son procès, ce lundi 10 janvier 2022, devant la Cour d’appel de Casablanca.

Privé en première instance de son droit à la défense, principe fondamental du procès équitable, le journaliste Soulaimane Raissouni a enfin pris la parole dans le cadre de son procès.

Après plus d’un an et demi de détention –arrêté le 22 mai 2020–, ponctué par une condamnation « par contumace » à cinq ans de prison (le 9 juillet 2021) pour « agression sexuelle », lors d’une audience à laquelle il n’a pas pris part–grève de la faim et refus de la Cour de le faire comparaitre obligent–, Raissouni a enfin pu clamer son innocence et répondre aux accusations.

Au tout début de l’audience, et après une altercation entre le président de la Cour et le bâtonnier Abderrahmane Benameur –qui a reproché à la Cour de ne pas aviser la défense des dates des audiences–, le juge a interrogé Soulaimane Raissouni sur le post Facebook qui a été publié par le plaignant en mai 2020, soit quelques jours avant son arrestation.

Ce post publié, faut-il le rappeler, sur un compte anonyme au nom d’Adam Mohammad, n’a pas mentionné le nom du présumé agresseur. Lequel post, rédigé par le plaignant Adil Ait Charaa, un jeune homme de la communauté LGBT, qui ne proférait pas explicitement ses allégations d’atteinte à la pudeur pour des faits qui remontent à 2018, a servi de base pour une autosaisine du parquet suite à laquelle M. Raissouni a été arrêté le 22 mai 2020.

« C’est la Cour qui pose les questions »

Avant de répondre à une longue série de questions du juge, Soulaimane a exprimé sa volonté de se prononcer par rapport au déroulement du procès en première instance. Ce que le juge a refusé catégoriquement tonnant : « c’est la Cour qui pose des questions ».

Soulaimane demande au juge d’opter ou pour un échange questions-réponses ou pour une réponse à l’ensemble des questions.
Après des échanges houleux, le juge s’est adressé à Soulaimane : « tu veux accélérer le procès, on va l’accélérer ».

Et la séance se leva. Des échanges houleux entre les avocats de Soulaimane et le juge obligent.

À la reprise, après avoir relu le post Facebook, le juge Hatimi d’adresse à Soulaimane :  « C’est pour ce post que tu es devant moi », avant de lui poser une série de questions : Est-ce que tu connais Adil Ait Charaa ? Est-ce que tu l’as appelé et invité à venir chez toi ? Où est-ce que tu as vu le post ? Tu m’as dit que tu n’as aucune relation avec ce post…

-Soulaimane : Oui. Les éléments de la police judiciaire m’ont montré un document écrit…

-Le juge l’interrompant : Tu as dit que tu appris pour le post à travers le site barlamane.com qui a lié le contenu du post avec ta personne.

-Soulaimane : Premièrement, vous vous êtes prononcé longuement et vous m’avez posé plusieurs questions avant cette dernière. Posez-moi les questions une par une SVP.

Raissouni et son droit de parole

Raissouni commence à répondre. Le juge l’interrompt de nouveau.

« M. le juge vaut mieux opter pour un échange question-réponse, car mon dossier n’est pas celui d’un conducteur qui a heurté un piéton. Mon dossier contient beaucoup de détails et le diable se cache dans les détails. Laissez-moi m’expliquer d’autant plus que la Cour ne m’a pas donné ce droit en première instance », s’insurgea le journaliste.

Arrachant son droit à la parole, le journaliste et militant des droits de l’homme a déconstruit preuve à l’appui les accusations d’atteinte à la pudeur, de viol et de séquestration.

Dans ce sillage, il a mis en exergue les contradictions des déclarations du plaignant soulevant au passage plusieurs vices de forme pointés lors des précédentes audiences par sa défense.

« La partie civile a avancé trois versions différentes des faits M. le président », a souligné le journaliste précisant que « ce qui a été écrit par la partie civile dans son premier post Facebook, qui a servi de base aux poursuites, n’a rien à voir avec ces déclarations devant la police judiciaire et aussi avec la version qu’il a avancée chez le juge d’instruction et lors de la confrontation. À chaque fois, il avance une version différente ».

Pas de quartier, relaxe totale !

Niant catégoriquement « une quelconque relation » avec le plaignant et l’avoir « harcelé, séquestré et agressé », Soulaimane a souligné qu’il s’exprime par rapport au post Facebook partant du fait qu’il fait partie du dossier.

« Rien que pour cette considération, vous devez me laisser partir chez moi », clame Raissouni.

« Pourquoi tu n’as pas répondu à cette question chez la police judiciaire ? », demande le juge.

« J’ai demandé aux inspecteurs de la police judiciaire de me montrer le post Facebook, car ces derniers m’ont montré un texte sur une feuille et n’ont pas réussi à trouver le post Facebook », rétorque Soulaimane.

-Le juge : Quand tu l’as agressé…

-Soulaimane l’interrompt : c’est une excellente question.

-Le juge : c’est à moi de te dire « excellent ».

-Soulaimane : « Je vous remercie pour toute question qui m’aide à ôter le voile sur la vérité M. le président».

« Selon les dires de la partie civile dans le post Facebook, j’ai fermé la porte et commencé à défaire mes habits avant de me jeter sur lui. Il affirme aussi m’avoir poussé avec force et m’avoir échappé tout en me prévenant qu’il va crier si je continue.
Donc, il est fort au point de pouvoir me repousser. Alors, pourquoi a-t-il changé de version chez la police ? Dans ses déclarations contenues dans les PV de la police judiciaire, il a commencé à parler d’atteinte à la pudeur prétendant cette fois qu’il n’a pas pu me résister et qu’il n’a pas pu s’échapper ! », détaille le journaliste dans une éloquente plaidoirie.

« Dans les mêmes PV, il a prétendu que je lui ai proposé de l’argent et qu’il a de quoi prouver cela. Pourquoi a-t-il nié cela chez le juge d’instruction ? », s’est exclamé Raissouni.

« Rappelez-vous M. le président, quand il a présenté l’audio pendant l’étape de la confrontation chez le juge d’instruction, le juge d’instruction l’a interpellé : tu as déclaré devant la police judiciaire que l’accusé t’a proposé de l’argent, mais l’enregistrement que tu présentes ne contient pas de preuve sur cela ? Cette fois encore, la partie civile a changé de version en répondant : je n’ai dit qu’il m’a proposé de l’argent et il ne m’a pas proposé de l’argent », a ajouté Raissouni.

En d’aller plus loin en pointant une autre incohérence des différentes versions des faits. « Le plaignant a affirmé que j’ai fermé la porte, alors que la porte ne peut être fermée faute de clé ».

Raissouni pointe les contradictions

À propos de l’échange dans Messenger, considéré comme faisant partie des moyens de preuve, Raissouni a nié catégoriquement quelconque relation avec cette conversation tout comme il a nié quelconque relation avec l’enregistrement audio présenté plus tard par le plaignant devant le juge d’instruction.

Soulaimane a souligné que la conversation Messenger ne contient pas d’invitation de sa part adressée au plaignant. « C’est lui qui est venu de lui-même selon ses prétentions », met en avant Soulaimane.

« Il affirmé qu’il a remarqué des regards suspects de mon côté pendant la journée et le soir venu il envoie des messages avec « mon chéri » et « mon très cher Soulaimane » avec des émoticônes de cœurs et me dit : puis-je venir chez toi ! », s’est exclamé Soulaimane.

« Normalement, quand il n’a pas trouvé ma femme, il ne devait pas monter chez moi… le contenu de la conversation prouve que c’est bien lui qui m’a harcelé selon le droit pénal international et le Code pénal national ».

-Le juge : Est-ce qu’il est rentré chez toi ?

« J’ai lu dans les PV qu’il est entré et m’a trouvé en compagnie de la femme de ménage et je lui ai offert un vert d’eau avant de l’attirer dans la chambre à coucher. Puis, j’ai fermé la cuisine où se trouvait la femme de ménage alors que j’ai une cuisine américaine ouverte sur le salon et que la porte de la chambre n’a pas de clé et ne contient pas de clé ».

-Le juge : Tu es sorti pour le ramener à la maison ? tu as pris ta bicyclette et tu l’as suivi ?

– « Je l’ai suivi ! Il n’est pas Cléopâtre ! », ironise Soulaimane et toute la salle se met à rire y compris les éléments des forces de l’ordre et les rapporteurs des différents corps sécuritaires présents.

Pendant ce temps, l’avocat du plaignant se met à hurler : mon client a un nom. Il s’appelle Adil Ait Charaa. Et Me Sadquo, avocat de Raissouni, raille : « il s’appelle plutôt Adam Mohammad ».

Après des échanges houleux et des altercations entre les avocats des deux parties, le juge intervient fermement. Une fois le calme est de retour, il redonne la parole à l’accusé.

– « Je vais vous expliquer : selon ses déclarations dans le PV de la police judiciaire, il est venu lui-même. Cette version a été revue chez le juge d’instruction, il a dit, après coup, que je suis sorti pour lui indiquer la maison. Pourquoi a-t-il changé ses déclarations ?, s’interroge d’une manière rhétorique Soulaimane.

« Rien que pour cela, vous devez me laisser partir voir mon fils », répète une nouvelle fois Soulaimane.

La Cour a décidé de reporter l’audience au lundi 17 janvier 2022 à 14h.

La Cour d’appel de Casablanca qui juge Soulaimane Raissouni est désormais appelée à réformer le jugement prononcé contre l’ancien rédacteur en chef du quotidien arabophone Akhbar Al Yaoum et pour cause.

Le journaliste condamné en première instance à cinq ans de prison pour « agression sexuelle », une condamnation très lourde au vu des moult ambigüités et les innombrables vices de forme soulevés par sa défense, n’a pratiquement pas laissé le choix à la Cour que de rejuger son affaire.

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