Pour essayer de retrouver le chemin de la paix, il faut commencer par sortir de l’étau qui nous est imposé actuellement entre l’Islamisme intégriste et l’extrême droite galvanisée en train d’imposer ses termes du débat, ici comme là-bas. Plus que jamais la paix est un sport de combat !
Journaliste indépendant et conseiller régional écolo, écologiste libertaire, altermondialiste et animaliste à tendance gandhienne.
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220 otages et plus de 1400 morts côté israélien après les horribles attaques du Hamas le 7 octobre dernier. Depuis cette date, une population entière, coincée à Gaza, se fait bombarder sans relâche par Tsahal, et les montagnes de cadavres s’accumulent, en particulier des civils, dont un nombre effroyable d’enfants. Comme la presse internationale n’a pas accès à Gaza, on se livre à une bataille de chiffres, meilleur moyen de déshumaniser les victimes palestiniennes. Un décompte morbide n’étant pas sans rappeler les exilés qui ne cessent de mourir en Méditerranée. Face à toute cette violence et cette haine, on se sent effroyablement triste, atterré et impuissant. Que faire ?
Peut-être commencer par être lucide et accepter de regarder la réalité en face. Ce qui frappe en premier lieu lorsqu’on se force à lire les litanies de commentaires, c’est l’absence de recul historique sur ce conflit. Car la haine qui semble avoir envahi la région et nos écrans depuis le 7 octobre 2023 vient de loin, tout comme notre culpabilité hypocrite vis-à-vis d’Israël, finissant par tout amalgamer.
Oui le conflit ne date pas d’hier et existait bien avant le Hamas. Depuis le plan de partage de la Palestine en 1947 et surtout depuis la guerre des Six-Jours de juin 1967, un conflit de type territorial et colonial existe et tout un peuple, les Palestiniens, se voit priver du droit à l’existence et à la reconnaissance internationale, malgré les dizaines de résolutions prises par les Nations Unies[1] restées lettre morte. Bien évidemment qu’après la Shoah, pire crime contre l’humanité jamais perpétré sur le sol européen, le peuple juif, éternel bouc émissaire, avait besoin d’un foyer et d’un Etat pour enfin se sentir en sécurité. Comment ne pas comprendre le mouvement sioniste et le nationalisme israélien au regard de l’Histoire ? Mais comment ne pas comprendre également la détresse et le profond sentiment d’injustice de toutes les Palestiniennes et Palestiniens qui se sont retrouvés victimes collatérales de la folie meurtrière puis de la culpabilité aveugle de l’Occident ?
A qui profite le crime là-bas ?
Oui la haine vient de loin et le sentiment d’injustice est parfaitement partagé des deux côtés. Mais partant de ce constat, est-il franchement utile en 2023 d’avoir à choisir un camp, surtout si l’horizon commun que l’on se fixe est la paix et l’arrêt immédiat des massacres ? Et finalement à qui profitent les crimes ? La violence engendre la violence et la haine attire la haine, une règle vieille comme l’humanité.
Il semble donc parfaitement déraisonnable dans ce contexte de se fier aux principaux promoteurs de la haine et de la violence. Et qui sont-ils ? Et bien les groupes terroristes islamistes d’un côté, qui fantasment sur une « oumma » débarrassée de l’Occident en général et des Juifs en particulier, et les extrêmes droites de l’autre côté qui, partout sur la planète, tentent d’imposer leur grille de lecture mortifère d’une civilisation judéo-chrétienne ayant à affronter un Islam conquérant, quitte à essentialiser au passage l’ensemble des musulmans (soit 1,6 milliards de personnes, 1/5 de la population mondiale).
Au final, l’extrême droite et l’islamisme intégriste se retrouvent complices de facto, deux faces de la même médaille de la haine et du chaos engendrés par la théorie performative du « choc des civilisations ». Samuel Huntington n’en demandait pas tant.
C’est bien Netanyahou qui aurait déclaré devant son parti du Likoud en mars 2019[2] que : « quiconque est opposé à un Etat palestinien devrait être favorable au transfert des fonds vers Gaza, car le maintien d’une séparation entre l’Autorité palestinienne en Cisjordanie et le Hamas à Gaza contribue à empêcher la création d’un Etat palestinien. »
Lui qui se voyait devoir affronter ces derniers mois des manifestations de dizaines de milliers de citoyennes et citoyens israéliens contre sa politique illibérale et corrompue s’offre à nouveau un répit et une survie politique dans cette horrible séquence pour son peuple. Ce après avoir systématiquement tout fait pour accélérer la colonisation à Jérusalem Est et en Cisjordanie. Quant au Hamas, arrivé au pouvoir par la force en juin 2007 à Gaza après des affrontements meurtriers avec le Fatah[3], il est devenu de facto le seul « interlocuteur », rassemblant derrière son morbide étendard des milliers de Palestiniens écœurés, martyrisés et abandonnés par le monde entier.
A qui profite le crime ici ?
Pendant ce temps, on se livre ici des batailles sémantiques indécentes sur les montagnes de cadavres là-bas. Si on y ajoute le terrible meurtre d’un enseignant à Arras, Dominique Bernard, tout juste trois ans après Samuel Paty, par un terroriste islamiste radicalisé, tous les ingrédients sont réunis pour valider la théorie morbide du « choc des civilisations » et la victoire des « identités meurtrières »[4] si bien décrites par notre nouveau Secrétaire perpétuel de l’Académie française Amin Maalouf.
Le Hamas est-il un groupe terroriste ou n-a-t-il pas perpétré des crimes de guerre le 7 octobre ? « Les deux mon général ! ». Mais par une propagande hypocrite et éhontée de la droite et de l’extrême droite reprise en boucle par les médias, on voit émerger des bouquets de doigts accusateurs et vengeurs accusant presque la Nupes en général et la France Insoumise en particulier d’être les complices plus ou moins tacites du Hamas. Et la gauche et les écologistes de tomber dans le panneau pourtant grossier en annonçant pour un certain nombre d’entre eux la « mort » de la Nupes[5].
Mais par quelle improbable inversion des valeurs, par quel procédé rhétorique infernal celles et ceux qui défendent depuis toujours l’égalité de toutes et tous, la défense des droits humains et le respect du droit international se retrouvent sur le banc des accusés tandis que l’extrême droite jubile, poursuivie par la Macronie sur un terrain de plus en plus glissant ?! Qui avant le 7 octobre se préoccupait du conflit israélo-palestinien, et en particulier du sort de la population de Gaza, plus de deux millions personnes survivant dans une prison à ciel ouvert ? Et on vient en plus interdire sur notre territoire des manifestations de soutien au peuple palestinien ?
Y’en a marre des procureurs des travaux finis, des donneurs de leçons et indignés de salon à géométrie variable qui ne se préoccupent des droits humains, dont la liberté des femmes et la liberté d’expression, que quand ceux-ci viennent valider leur biais cognitif islamophobe. Et depuis quand le parti de la famille Le Pen, héritier du Pétainisme, de la Collaboration et des franges les plus racistes et antisémites de la politique française serait un ami d’Israël et du côté de la sauvegarde des valeurs républicaines ? Encore une fois, demandons-nous à qui profite le crime.
Et tandis que le gouvernement israélien de Netanyahou perpétue des crimes de guerre à Gaza au nom de son droit à la « sécurité », au nom de cette même « sécurité », nous validons collectivement les thèses racistes de l’extrême droite en liant terrorisme, immigration et insécurité et en regardant de plus en plus les musulmans de France comme des « ennemis de l’intérieur ». Ou comment le refoulé colonial israélien heurte de plein fouet notre propre refoulé colonial français, meilleur carburant de l’entreprise Le Pen depuis un demi-siècle. Notre inconscient collectif est en train de nous déborder et nous serions bien avisés de relire à la fois Jung et Tolstoï.
Retrouver le chemin de la paix et de l’universalité
N’en déplaisent à nos actuels gouvernants, le chemin de la paix passe par l’universalité et donc par la fin de l’indignation à géométrie variable. Les plus de 200 civils palestiniens tués en Cisjordanie par l’armée et des colons israéliens tout autant radicalisés que les sbires du Hamas depuis le début de l’année auraient dû nous indigner bien avant ce 7 octobre[6]. Les enfants palestiniens innocents qui meurent sous les bombes à Gaza méritent autant notre compassion que les enfants israéliens victimes de la folie meurtrière du Hamas. Tous les enfants du monde méritent d’être protégés de la folie de la guerre et du drame de la misère, y compris ceux qui meurent en Méditerranée par notre faute directe.
Le chemin de la paix passe également par l’arrêt de notre diplomatie hypocrite et mortifère d’exportations d’armes tous azimuts qui vient partout alimenter concrètement les conflits. La France a exporté en 2022 pour 27 milliards d’euros d’armements, et le Proche et le Moyen-Orient représentaient 64 % du total des commandes[7]. La soi-disant « Patrie des droits de l’homme » et devenu le numéro deux mondial des ventes d’armes, alimentant là-bas ce qu’elle dit vouloir ne pas importer ici. Rappelons à cet égard que dans un autre conflit en cours, celui entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie[8], Israël a été le principal fournisseur d’armes à la dictature Aliev au pouvoir à Bakou contre notre allié arménien[9]. Tel Aviv comme Paris devraient donc s’interroger sérieusement sur la compatibilité entre les valeurs démocratiques qu’ils sont censés incarner et défendre et leur politique internationale souvent pour le moins schizophrénique.
Le chemin de la paix passe enfin par le retour à une diplomatie française non alignée sur les Etats-Unis et un soi-disant « camp occidental ». Une diplomatie qui nous faisait dire avec Dominique de Villepin que la guerre américaine de 2003 en Irak était une énorme erreur et qui depuis De Gaulle savait prendre ses distances avec l’Etat israélien lorsque celui-ci ne respectait pas le droit international. En arriver à regretter Chirac en dit long sur l’état de déliquescence de notre actuelle politique française. Emmanuel Macron est en ce moment à Tel Aviv et on aimerait bien le voir, une fois exprimée sa solidarité nécessaire avec les familles des victimes et des otages du Hamas, dont des ressortissants français, demander à son homologue israélien pourquoi Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, est interdite d’entrée sur le territoire israélien[10]. Le Président français ferait mieux de porter une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU (pour sortir du blocage du droit de véto russe sur l’Ukraine comme américain sur le Proche-Orient par exemple), plutôt que d’essayer de lancer une alliance internationale improbable contre le Hamas qui vient là encore renforcer le « campisme »[11] et le « choc des civilisations » au détriment de la résolution du conflit et de la recherche d’une paix juste et durable dans la région.
Quant à la situation dans notre propre pays, il semble urgent de sortir de la sidération pour ne pas laisser l’extrême droite imposer sans cesse les termes du débat autour d’une islamophobie aujourd’hui totalement décomplexée qui contamine tous les esprits. Pour mener le combat historique de la gauche et des écologistes pour l’universalité des droits humains, qui doit être menée de front avec la défense du vivant. Et bien évidemment avec la non-violence comme instrument et horizon, ce qui exclut d’emblée de pouvoir cautionner tant les actes barbares du Hamas et des groupes terroristes islamistes que les actes et les idées nauséabondes de l’extrême droite en « croisade » contre les étrangers en général et l’Islam en particulier.
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » Article Premier de la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948.
Plus que jamais la paix est un sport de combat !
Benjamin Joyeux
Journaliste indépendant et conseiller régional écolo, écologiste libertaire, altermondialiste et animaliste à tendance gandhienne.
[1] Voir https://www.ritimo.org/L-ONU-et-la-question-palestinienne
[2] Lire https://www.liberation.fr/checknews/netanyahou-a-t-il-dit-que-transferer-de-largent-au-hamas-etait-la-bonne-strategie-pour-contrecarrer-la-creation-dun-etat-palestinien-20231011_F5AKUAMMNVENDLJ6WBXLFPJETE/
[3] Lire https://assawra.blogspot.com/2023/10/francesca-albanese-rapporteuse-speciale.html
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Identit%C3%A9s_meurtri%C3%A8res
[5] Lire https://www.francetvinfo.fr/politique/nupes/la-nupes-est-morte-selon-beaucoup-de-deputes-c-est-comme-dans-un-couple-quand-on-fait-une-pause-c-est-que-c-est-fini_6129279.html
[6] Lire par exemple : https://www.hrw.org/fr/news/2023/08/28/cisjordanie-hausse-du-nombre-denfants-palestiniens-tues-par-les-forces-israeliennes
[7] Lire par exemple https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/les-exportations-darmes-francaises-atteignent-un-record-1965619
[8] Mon intervention sur le sujet au conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes vendredi dernier ici : https://ecologieaura.fr/ap202310-soutiensyunik-armenie/
[9] Lire https://www.humanite.fr/monde/azerbaidjan/haut-karabakh-laide-militaire-determinante-de-tel-aviv-a-bakou
[10] Lire par exemple son interview ici : https://assawra.blogspot.com/2023/10/francesca-albanese-rapporteuse-speciale.html
[11] Lire https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/160818/le-campisme-une-vision-binaire-et-ideologique-des-questions-internationales