3ème ouvrage de notre série « colonialisme et littérature », un roman contemporain de Laurent Mauvignier des hommes, paru en 2009 aux éditions de Minuit, où il est question de la guerre d’Algérie, non pas en tant que « décor », mais comme événement essentiel du destin de cette génération qui avait autour de 20 ans dans les années soixante.
Par ailleurs ce récit redevient d’actualité immédiate en raison de l’adaptation qu’en a fait Lucas Delvaux pour le cinéma et qui devait sortir sur les écrans le 11 novembre.
Que sait-on de Laurent Mauvignier ?
On sait d’abord qu’il est en pleine actualité littéraire avec la parution de son dernier roman, histoires de la nuit qui connait d’ailleurs un très beau succès.
Il est né à Tours en 1967, il publie son premier roman Loin d’eux en 1999, à l’âge de 32 ans, déjà salué par la critique et par un prix littéraire, le prix Fénéon, et c’est en 2006 avec dans la foule, qui traite du drame du stade du Heysel qu’il obtient aussi un grand succès populaire car le récit reçoit le prix du roman FNAC. Enfin des hommes est couronné du prix des libraires en 2010. Laurent Mauvignier écrit aussi pour le théâtre.
Connait-on par ailleurs son rapport à l’écriture ?
En effet car il le précisera au cours d’entretiens, il a commencé très tôt à écrire, quand il était enfant et immobilisé dans un lit à l’hôpital, et qu’il voulait écrire la suite de un bon petit diable .Il dira également que William Faulkner et Thomas Bernhard sont deux auteurs qui le fascinent…
Enfin que peut-on dire de son écriture ?
On reprendra pour cela le commentaire de Marine Landrot, critique littéraire à Télérama qui parle de « son style déferlant, ses phrases longues et noueuses, son art de l’apnée vorace » pour traduire une écriture qui privilégie le style indirect et la transcription introspective des pensées des personnages…
Comment inscrit-il l’Algérie dans son roman ?
De la même façon que son écriture, le texte ne se présente pas comme un plaidoyer enflammé et lyrique contre la guerre d’Algérie et les méfaits de la colonisation. C’est à travers une histoire de personnes banales, à l’occasion d’un événement banal, que la place du drame colonial apparait de plus en plus explicitement au fil de la narration et montre de façon implacable, les conséquences de la guerre d’Algérie : à travers ces drames individuels mais aussi collectivement.
Comment le roman les traduit-il collectivement ?
Il montre comment il est difficile de parler de la guerre d’Algérie, comment les appelés se sont tus, comment les militaires ont poussé au bout un logique guerrière, comment les populations ont du s’adapter à des situations compliquées, comme la place à donner aux Harkis par exemple.
Cette chape de plomb sur cette guerre coloniale, on la retrouve dans l’histoire du pays : dans les actes de censures : le film avoir 20 ans dans les Aurès, le livre de Henri Alleg : la question, mais aussi dans la mansuétude laissée aux militaires « félons », et à ceux qui ont organisé, ordonné voire pratiqué la torture, ou encore également grâce à la viographie : ainsi au cours du travail de recherche dans le cadre du livre le guide du bordeaux colonial, on a pu constater que les villes dite de droite ne commémore pas le 22 mars 1962 au contraire des ville dites de gauche et enfin évidemment la répression :le métro Charonne par exemple…On sait aussi combien dans nos propres familles, ceux qui sont revenus d’Algérie sont quasi muets sur leurs souvenirs au contraire par exemple des anciens combattants de 14/18 ou 39/40…. il y’a une sorte de honte collective à raconter…Ce constat revient d’ailleurs dans le texte de Laurent Mauvignier quand il rapporte plusieurs fois le discours des anciens qui disent « c’est quand même pas Verdun »…
Des hommes s’inscrit donc dans cette espèce de non dits, de refus de raconter qui caractérise la guerre d’Algérie alors que cette guerre marque dramatiquement cette génération…
Martine Descoubes et Bertrand Gilardeau