Deuxième auteur, deuxième récit de notre série littérature et colonialisme avec le roman de RENÉ MARAN : BATOUALA.
Paru en 1921, ce roman est un double coup de tonnerre : en raison de la personnalité de René Maran, son auteur, de son parcours scolaire et professionnel et en raison du prix Goncourt du premier roman qu’il obtient et qui laisse le petit monde littéraire stupéfait, comme l’opinion publique qui nageait dans l’approbation d’un colonialisme plus ou moins « bon enfant » marqué par quelques certitudes racistes du type qu’un noir ne pouvait être un personnage de fiction et qu’un noir ne pouvait pas écrire un roman couronné d’un prix si prestigieux que le Goncourt.
Alors justement qui est René Maran ?
C’est un martiniquais, né la fin du 19e s (1887) en pleine période coloniale, à Fort de France de parents guyanais qui font une carrière administrative au Gabon.
Quel est son lien avec Bordeaux ?
Les enfants dont les parents travaillaient dans les colonies faisaient traditionnellement leurs études à Bordeaux qui était l’Académie de référence. René Maran, logiquement est interne dès l’âge de 7 ans au lycée de Talence puis au lycée Montaigne. Il ne voyait ses parents que tous les 3 ans. Il comble cette solitude familiale notamment par un pratique sportive assidue: rugby, escrime .
Il suit une formation universitaire ? Toujours à Bordeaux ?
Oui mais c’est à Paris qu’il fait des études de droit, à la suite desquelles il entre dans l’administration préfectorale. Puis poussé par son père, il sera nommé administrateur des colonies en Oubangui (Centrafrique) dès 1912, c’est-à-dire à l’âge de 25 ans : cette expérience va se révéler fondatrice, ses convictions, son mode de vie et son travail d’écrivain en seront bouleversés. Il écrit alors un premier récit dont la publication sera posthume, DJOGONI, qui rend compte de cette expérience traumatisante d’un noir chargé d’imposer la loi coloniale à d’autres noirs. Mais c’est en 1921, que son roman Batouala, qui aborde également ces expériences personnelles, obtint le prix Goncourt du premier roman. Maran est également un poète : toute son œuvre en est empreint. Il continuera d’ailleurs une carrière d’écrivain en publiant beaucoup d’histoires animalières déjà présentes dans Batouala et autres biographies . Enfin cette double culture qu’il portera toute sa vie : celle du colonisé et celle du colonisateur sera le sujet d’un ultime roman Un homme pareil aux autres en 1947.
En quoi ce prix Goncourt sera une véritable bombe dans le monde littéraire et politique?
Pour plusieurs raisons : d’abord un Noir devient lauréat d’un prix littéraire prestigieux; le héros du roman; comme tous les personnages principaux d’ailleurs, est un Noir et le point de vue du récit est toujours celui du noir colonisé. Par ailleurs, Maran est inconnu des salons littéraires, enfin et surtout son œuvre dénonce les dégâts de la colonisation sur les peuples africains.
Quelles ont été les conséquences de ce prix pour R. Maran ?
Son roman sera interdit de vente en Afrique et Maran, menacé, sera poussé à la démission. Cependant L. Senghor et Aimé Césaire le considéreront et le désigneront d’ailleurs comme précurseur du mouvement littéraire de la « négritude » ce que Maran refusait d’ailleurs. Il meurt en 1960 dans l’indifférence;
Ce roman Batouala parait donc dans un contexte politique concernant le colonialisme bien précis.
En effet, on peut dire qu’en ce début du 20éme, le colonialisme règne en maitre : il est apparemment soutenu par la population qui le voit comme la preuve de la puissance de la République, et sans crainte de contradiction, on parle avec fierté de l’empire colonial français considéré comme le réservoir inépuisable du capitalisme. C’est aussi une période très violente pour les colonisés qui subissent notamment des représailles cruelles aux contestations et même aux manquements dans les objectifs de production des richesses. Le roman, remet toute cette idéologie en cause en mettant en avant la réalité du colonialisme pour les colonisés ce que la très grande majorité des politiques comme des citoyens refusent de considérer…
Même s’il s’agit d’un récit, Batouala s’apparente aussi à une sorte de long poème en prose, d’ode à l’Afrique, aux Africains et à l’amour, dans une langue toujours lyrique et souvent incantatoire.
Martine Descoubes et Bertrand Gilardeau
Batouala René Maran Albin Michel