Par Emmanuelle Fère – e.fere@sudouest.fr
Publié le 11/02/2023 à 8h47
Mis à jour le 11/02/2023 à 15h20
Journaliste reporter d’image à TF1, l’Urrugnar Bixente Hacala a été envoyé au sud-est de la Turquie, à Kahramanmaras et à Antioche, suite aux séismes. Il témoigne du chaos, des secours et de l’humanité
« Sud Ouest ». Comment êtes-vous parvenus à Kahramanmaras, ville d’un million d’habitants ?
Bixente Hacala. Nous sommes partis à trois : une rédactrice, un monteur et moi, lundi matin. À l’aéroport d’Istanbul, impossible d’avoir un avion. Nous avons attendu et finalement atteint Kahramanmaras après 20 heures de voyage. L’aéroport était écroulé. Nous avons rencontré Teyfik, 63 ans, qui travaille comme chauffeur de minibus depuis vingt ans. Il a accepté de nous faire faire le tour de la ville. Et pendant plusieurs jours, nous avons dormi dans son bus. Il ne parlait pas anglais, mais nous nous sommes compris par les gestes, les yeux. Nous avons passé des moments extraordinaires avec lui. Il me disait appelle-moi baba, ce qui veut dire père. Jeudi, je l’ai trouvé en train de pleurer. Il était allé voir sa maison pour récupérer ses affaires, mais elle était tombée. Sa femme et sa fille sont à Istanbul, son fils est dans l’armée.
Quel est l’état de la ville de Kahramanmaras et de sa population ?
La moitié de la ville est anéantie. Tout est cassé. Il n’y a plus d’électricité. 5 000 morts ont été recensés. Il reste encore énormément de corps à découvrir. Les secours cherchent les victimes qui sont aux abords des immeubles, mais les tractopelles ne vont pas au milieu. Ensuite, ils recouvrent tout. Les gens dorment dehors, par -8 degrés. C’est très dangereux de dormir chez soi. Nous sommes encore dans un schéma de réplique. N’importe quel immeuble peut s’effondrer. Imaginez un million de personnes qui dorment dehors, dans leur voiture, autour de la ville. Ils font du feu, ils vont chercher un peu d’eau. Il reste de la nourriture. Certains dorment dans leur voiture, et d’autres devant leur maison effondrée. J’ai vu un homme assis devant sa maison en ruines. Il était comme hébété, comme s’il attendait un miracle.
Avez-vous assisté à une opération de secours ?
Oui, c’était extraordinaire. Cela s’est passé dans la nuit de mercredi à jeudi, dans le quartier de Kultur Park, j’ai entendu des secours qui appelaient une ambulance, je me suis approché. Une petite fille de sept ans et une femme étaient sous les décombres depuis quatre jours. Une liaison radio a été établie avec la femme. Pendant le sauvetage, un oiseau est venu se poser sur ma tête. On m’a dit, c’est un signe d’Allah. Cela veut dire qu’on va la sauver. Tu peux filmer et rester avec nous. Les gens sont très gentils, il y a beaucoup de solidarité. Certains nous proposent une bouteille d’eau alors qu’ils ont tout perdu. Les secours sont insuffisants au vu de l’ampleur de la catastrophe. Ils ne peuvent pas être partout. J’ai vu beaucoup de housses noires contenant des corps qui ne sont pas identifiés, donc pas recensés.
Vous avez ensuite rejoint la ville d’Antioche. Qu’y avez-vous constaté ?
Nous avons quitté Kahramanmaras et dormi à Adana, avant de rejoindre Antioche vendredi. Ici, les gens te disent « Bienvenue en enfer ». C’est une belle ville, avec des montagnes enneigées, mais les bâtiments sont tordus, abattus. La ville est détruite à 75 % et elle compte 200 000 habitants. Quand nous sommes arrivés, un homme nous a dit : « Cela fait quatre jours que j’entends une femme crier sous les décombres, mais personne n’est venu. » C’est le chaos, la désolation. La demande de secours est colossale. Il n’y a pas de médicaments. Les hôpitaux sont détruits, les blessés doivent être acheminés à 200 km. C’est vraiment le bout du monde. L’accès est compliqué. Il faut 6 heures pour faire 200 km. Il n’y a pas ou peu d’essence. Ceux qui peuvent fuir ont fui. À Antioche, les gens viennent chercher leur famille en enfer.
Les convois d’aide humanitaire arrivent-ils à Antioche ?
Les convois d’aide humanitaire commencent à arriver à Antioche, et à acheminer de la nourriture. Il y a beaucoup de réfugiés et de personnes dans une grande précarité. Il n’y a pas d’abri, et une petite tente, où tous les jours, on fait la soupe, pour distribuer 20 000 repas. C’est le chaos total, la désolation. On assiste à des pillages, à des tensions, des bagarres. Et cela ne fait que cinq jours. Dans un mois, que va-t-il se passer ? La crise humanitaire risque d’être plus violente que le tremblement de terre, avec des millions de personnes à reloger dans tout le pays. Vendredi après-midi, nous avons rencontré une jeune femme qui a organisé un « crowdfunding » pour faire venir des bus et faire sortir des gens d’Antioche. Elle avait réussi à faire venir trois bus, mais deux ont été réquisitionnés par le gouvernement.