Par Olivier Delhoumeau – o.delhoumeau@sudouest.fr
Publié le 19/03/2023 à 11h47
Mis à jour le 19/03/2023 à 19h29
Des élèves de trois lycées professionnels de l’agglomération bordelaise travaillent depuis deux ans à la fabrication d’une table d’orientation qui permettra au grand public de ne pas oublier ce site où 8 730 personnes furent internées durant la Seconde Guerre mondiale
Dans une salle de classe du lycée Charles-Péguy d’Eysines, Maxime, Clément et Taïeb, élèves de terminale Étude et définition de produits industriels (EDPI) sont penchés sur trois plaques en plastique. Ajustées les unes aux autres à la manière d’un puzzle, ces pièces reproduisent la configuration du camp d’internement de Mérignac durant la Seconde Guerre mondiale.
Créé sur demande des autorités allemandes du 25 octobre 1940 et par arrêté préfectoral du 11 novembre 1940, ce site a vu le jour au lieu-dit Beaudésert. Il a d’abord servi à réunir tous les nomades du département de la Gironde. Puis les autorités de l’État français l’ont utilisé pour interner les indésirables étrangers (notamment espagnols), les communistes (ou opposants politiques au sens large) et les Juifs. Avant que ceux-ci ne soient transférés à Drancy et envoyés dans les centres d’extermination nazis.
« En 1949, le cabinet du préfet a estimé le nombre approximatif d’internés à Mérignac pendant l’Occupation à 8 730 personnes », souligne Thibaud Fleury, professeur de lettres et d’histoire-géographie au lycée Charles-Péguy. Sur la maquette de ses élèves, des éléments en relief matérialisent les baraquements sommaires dans lesquels vivaient les internés. Leur positionnement spatial se veut (le plus) fidèle à la réalité de l’époque. Et pour cause, il s’agit du prototype d’une future table d’orientation à l’échelle 1/1 000 millième.
Sur le même sujet
« J’ai vu mon père pour la dernière fois au camp d’internement de Mérignac », confie Boris Cyrulnik
Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik a longtemps considéré Bordeaux, où il est né, comme la « ville du malheur » d’un point de vue personnel. Il évoque sa dernière rencontre avec son père durant la Seconde Guerre mondiale
Aucune trace physique
Mais comment garantir l’exactitude géographique, dès lors que toute trace physique du camp a disparu ? « En se référant au plan de masse original et à ceux du livre de Florent Leruste, auteur de ‘‘Juifs internés à Bordeaux (1940-1944) : le camp de Mérignac-Beaudésert’’ », répond Thibaud Fleury.
Ce projet mémoriel implique depuis deux ans des sections professionnelles de trois lycées professionnels de l’agglomération bordelaise qui croisent leurs compétences. Ainsi, les étudiants de BTS Métiers du géomètre-topographe et de la modélisation numérique de Léonard-de-Vinci (Blanquefort) ont d’abord été chargés de resituer le périmètre du camp sur le cadastre actuel. À l’évidence, la zone d’enfermement s’étendait sur un vaste espace. Qui correspond 80 ans plus tard à l’emprise du magasin Castorama, une partie de l’ancien bâtiment Airborne (en extra-rocade) et un bout du siège régional de Groupama. Tout cela entre les sorties 10 et 11a de la rocade.
À partir d’anciennes photos
« À partir des calculs des topographes, on a modélisé le plan en 3D », enchaîne Maxime. « Au départ, on travaillait individuellement sur la totalité du camp, poursuit Clément. La méthode n’était pas bonne. Taïeb a proposé une division en trois parties. Cela nous a permis d’avancer plus efficacement. » « On s’est appuyé sur d’anciennes photos pour évaluer les bonnes distances entre les baraquements, la localisation du potager, des miradors et des clôtures », complète Taïeb.
Sur le même sujet
Mérignac : exposition en préparation sur le camp d’internement de la Seconde Guerre mondiale
Une exposition sur le camp d’internement de Mérignac durant la Seconde Guerre mondiale se tiendra du 29 avril au 24 juin à la médiathèque Michel-Sainte-Marie
Une fois la représentation numérique stabilisée, les techniciens d’usinage du lycée Marcel-Dassault (Mérignac) ont fabriqué une première maquette en plastique, puis une deuxième en aluminium. Sachant que l’objet final sera réalisé en laiton. En forme de poing levé, le support de la table d’orientation sera façonné par les élèves de la section Métiers et arts de la pierre (MAP) de Léonard-de-Vinci (Blanquefort). L’étape suivante pour l’équipe de Charles-Péguy va consister à rédiger la légende de la table d’orientation.
À terme, l’ensemble sera installé dans l’espace urbain, idéalement au plus près de l’entrée supposée du camp, vers Castorama. Un QR Code permettra d’accéder à des informations complémentaires sur l’histoire du site. L’année prochaine, d’autres élèves de Charles-Péguy plancheront sur un site Internet dédié, avec un contenu enrichi d’images et de témoignages. Il sera ouvert aux contributions extérieures. Sont également prévus des pavés de mémoire, disséminés à des endroits stratégiques comme des cheminements piétonniers. Grâce à ce projet au long cours, les élèves touchent à la grande histoire de la Seconde Guerre mondiale. La trace qu’ils laisseront s’ajoutera à la stèle érigée dans le secteur en hommage aux victimes du camp.
Le projet a été récompensé du prix Corrin
La future table d’orientation représente la réalisation du chef-d’œuvre pour nombre de ces élèves en bac pro. Ce projet (ainsi que celui d’une école de Poitiers) a été primé du prix Corrin pour l’enseignement de l’histoire de la Shoah. Les lycéens ont reçu leur récompense le 2 février au lycée Louis-Le-Grand, à Paris, en présence de Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale et Boris Cyrulnik, président du jury.