La baisse des précipitations et l’élévation des températures menace gravement les réserves d’eau de la capitale du pays.
Face à l’urgence, Claudio Orrego, le gouverneur de l’agglomération de Santiago, a annoncé, lundi 11 avril, un plan de rationnement de l’eau inédit. « Cela fait déjà douze ans que nous sommes en sécheresse, il existe donc de grandes possibilités que l’on en arrive là », a-t-il déclaré, en référence au système graduel de restrictions envisagé. La plus élevée, l’alerte rouge, prévoit des coupures intermittentes pouvant durer jusqu’à vingt-quatre heures. « Une ville ne peut pas vivre sans eau. Nous sommes face à une situation sans précédent, en quatre cent quatre-vingt-onze ans d’histoire de Santiago. Il faut que nous nous préparions au fait qu’il n’y ait pas suffisamment d’eau pour tous ceux vivant ici », a poursuivi le gouverneur de centre gauche.
« On ne peut pas écarter d’éventuels rationnements d’eau, étant donné le degré de la crise », avait déjà averti le président, Gabriel Boric (gauche), dès le 14 mars, trois jours après sa prise de fonction. Le rationnement concernerait environ 1,7 million des 8 millions d’habitants de Santiago et sa région, en premier lieu dans les quartiers cossus, les plus gourmands en eau, ceux qui s’approvisionnent auprès des fleuves Maipo et Mapocho, toujours moins abondants.
Parfois appelée « méga-sécheresse », la période est marquée par un déficit historique des précipitations, de l’ordre de 30 % entre 2010 et 2019, selon un rapport du Centre de recherche pour le climat et la résilience – (CR) 2 – chilien. Cette décennie est également la plus chaude des cent dernières années.
Si le centre du pays est davantage affecté, les trois quarts du territoire sont concernés, d’après les calculs de Sud Austral Consulting, un cabinet de conseil chilien spécialisé dans les questions environnementales. La tendance ne s’inverse pas : 2021 a été la quatrième année la plus sèche depuis l’existence des relevés, selon la direction météorologique du Chili. Cet événement « n’a pas non plus d’antécédents ces mille dernières années, selon les reconstructions climatiques », précise (CR) 2.
« La région centrale surtout est caractérisée par des sécheresses successives, interrompues par des périodes de pluie », contextualise Hugo Romero, géographe à l’université du Chili. Cependant, « le changement climatique, avec l’augmentation des gaz à effet de serre, et la déforestation expliquent la baisse des précipitations », complète sa collègue Maria Christina Fragkou.
« Un bien marchand »
Plus de la moitié des communes du pays, où vivent près de la moitié des 19 millions de Chiliens, sont ainsi en situation de « pénurie hydrique », un décret qui permet aux autorités publiques d’intervenir notamment en matière d’extraction d’eau. A certains endroits, cela signifie que les robinets ne laissent plus couler une goutte et que les habitants ont pour obligation de s’approvisionner auprès de camions de distribution, tandis que les réserves s’amoindrissent, tant en quantité qu’en qualité.
« Le problème du pays est qu’il consacre l’eau comme un bien privé, dans sa Constitution. Au Chili, l’eau est un bien marchand », dénonce Estefania Gonzalez, coordinatrice des campagnes de Greenpeace Chili. « Les droits d’exploitation de l’eau sont très morcelés, entre des entreprises agricoles, bancaires ou encore d’investissements, c’est un frein à l’élaboration d’une politique générale de gestion de l’eau », remarque Maria Christina Fragkou. Une nouvelle loi fondamentale considérant l’eau comme un « bien commun » est en train d’être rédigée. Le texte final doit être approuvé par référendum, en septembre, afin de remplacer la version actuelle, héritée de la dictature (1973-1990). La nationalisation de l’eau est l’une des grandes demandes des organisations environnementales, qui a trouvé un fort écho lors du mouvement contre les inégalités de 2019.
« Il est étonnant que le plan de rationnement de l’eau de Santiago repose sur la consommation des habitants et qu’il n’intègre pas tous les secteurs. Ce n’est pas en baissant la consommation des personnes que la crise hydrique va se résoudre », estime Estefania Gonzalez. La consommation d’eau pour un usage non productif ne représente qu’entre 2 % et 6 % de la consommation totale, selon différents groupes d’experts, alors que le secteur agricole pèse pour près de 40 %. L’industrie minière, implantée dans le nord du pays, désertique, est également pointée du doigt en raison de ses besoins hydriques.
Selon les projections du ministère de l’environnement, l’horizon est sombre : dans le meilleur des cas, les précipitations devraient diminuer de 20 % dans le nord et le sud du Chili d’ici à 2050 et les températures augmenter sur l’ensemble du territoire, de 0,5 °C à 1,5 °C, d’ici à 2030.
Flora Genoux(Buenos Aires, correspondante)