Seule maison centrale de détention de Nouvelle-Aquitaine, Saint-Martin-de-Ré s’avère plus accueillante pour les touristes que pour les parloirs. Cette semaine, nous vous proposons un séjour à L’Embellie, un accueil unique en son genre pour les visiteur·ses de cette prison insulaire. Arrivant du continent par le Pont sur un vélo de location, rares sont les touristes qui lèvent la tête avant d’entrer dans la forteresse de Saint-Martin par le pont-levis piéton à l’est des remparts. Jetez un œil la prochaine fois : vous verrez planer, au-dessus des bastides Vauban, la toile discrète des filets anti-évasion. Bienvenue à Saint-Martin, la Maison centrale de détention de Nouvelle-Aquitaine. Pas de visite de la prison pour cette newsletter ! Nous vous proposons d’aller dans un lieu qui permet aux proches des détenus de leur rendre visite malgré les tarifs hôteliers pratiqués sur l’île de Ré. Petit point vocabulaire : Maison centrale. Les maisons centrales sont une catégorie d’établissement pénitentiaire recevant les détenus considérés comme les plus dangereux ou ceux dont les peines sont les plus longues. Le régime d’incarcération s’y concentre sur la sécurité là où les autres établissements visent à favoriser la réinsertion. |
Le coup de loupe |
Une prison sur l’Île-de-Ré ? Vous pourrez chercher longtemps (nous, on a cherché) : aucun panneau de voirie n’indique l’emplacement des deux sites de la maison centrale de Saint-Martin. Seul indice, le restaurant Le Parloir, pas loin du parking. Mais, vu les tarifs à la carte, c’est plus un spot pour avocats que pour taulards. Pourtant, Saint-Martin et les barreaux, c’est un vieux roman d’amitié. Après la destruction d’une première citadelle par la flotte du Duc de Buckingham en 1627, Louis XIV demande en 1674 à Vauban de reconstruire une place pour abriter les troupes. La forteresse n’est pas achevée que, dès 1685, suite à la révocation de l’Édit de Nantes. Les murs se referment déjà sur des protestants arrêtés et emprisonnés par le régime. Alors, elle existe depuis longtemps ? Au XVII° siècle, débute la vocation de prison politique de Saint-Martin. Tour à tour, les différents régimes y enferment leurs opposant·es. Bonaparte y verrouille les républicains et monarchistes, 400 communards leur succèdent en 1871, puis les bagnards de Cayenne avant les résistants et « politiques » sous l’Occupation. Le livre d’Or est un livre d’histoire : Mirabeau, Louise Michelle, Dreyfus, Seznec… À côté de la boulangerie Do Ré Mi sur le Vieux-Port de Saint-Martin, une jolie fresque murale dépeint l’île en pastel dont on prétend qu’elle fut tracée de la main d’un bagnard. Peu de témoignage d’époque pour le confirmer : la tradition voulait qu’on ferme les volets au passage des fers par lesquels on les tirait vers l’île du Diable. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, les derniers logements militaires et la fabrique de poudre sont détruits pour laisser place aux bâtiments cellulaires. Saint-Martin devient maison centrale en 1970. Pendant un temps, elle recevra d’autres prisonniers politiques en la personne d’indépendantistes condamnés en Corse, en Bretagne et au Pays basque. Mais ce sont désormais surtout les longues peines qui l’occupent. C’est un souci une prison si vieille ? Ce riche héritage pèse lourd sur l’administration pénitentiaire. Le rapport d’activité 2022 n’est pas tendre avec cette « structure immobilière vieillissante, peu sécuritaire [dont certains locaux vétustes rendent] difficiles les conditions de travail des personnels comme les conditions de détention ». Malgré un taux d’occupation plutôt faible comparé à la moyenne (379 détenus, soit 82,64 % en 2022), la Maison centrale de Saint-Martin dispose de peu de marge pour s’améliorer. « Le bâti est ancien et protégé au titre des monuments historiques, très limité dans les extensions : tout ce qui est aux abords est classé », énumère Virginie Sauvecane, directrice pénitentiaire d’insertion et de probation pour Saint-Martin. Le problème se pose pour les détenus mais aussi pour leurs familles en visite. Dans d’autres établissements pour longue peine, une pièce est parfois mise à disposition d’associations (Secours catholique, Croix Rouge, etc.) pour accueillir d’un café chaud, un bloc sanitaire et quelques chaises en plastique celles et ceux qui ont fait parfois de longs voyages pour un rendez-vous avec un détenu. Dans les constructions plus récentes, comme au centre pénitentiaire Pémégnan à Mont-de-Marsan, de petits locaux sont même construits à cette fin. Rien de tel à Saint-Martin. Prendre une chambre à l’hôtel ? On vous laisse vérifier sur Booking : en plein hiver, rien à moins de 80 euros par nuit pour une chambre simple. Jusqu’à pousser certaines familles à passer la nuit dehors. Un soir de février 1984, c’est une femme de prisonnier et son enfant de deux ans qui en furent réduits à dormir dans une cabine téléphonique. D’autres les avaient peut-être précédés. Mais, ce soir-là, une assistante sociale intervenant à la Centrale les a remarqués. Et c’est ainsi que commence l’histoire de l’Embellie. |
« Une petite maison qui s’appelle L’Embellie » « Au début, je l’ai pas trouvé sur le GPS ! ». C’est vrai, il faut chercher un peu. Vous longez les platanes sur la place de la République, à gauche après la mairie en venant du Pont, et vous trouverez le panneau : « L’Embellie ». Une Renault d’un vert rouillé se gare sur les pavés écartelés par les pieds de roses trémières. Il n’est pas midi, les parloirs du matin ne sont pas finis, la petite maison blanche est vide. Il y a des cartes postales punaisées sur un tableau en liège dans le couloir de l’entrée, le bureau du secrétariat où poser son chèque à droite, une chambre au fond avec un lit simple et des superposés, un lavabo et une maquette de bateau. Si vous tournez avant l’escalier, vous rentrez dans la première cuisine sous l’œil de « mademoiselle Laprairie ». La mission de la fondatrice du lieu, assistante sociale à « la taule » dans les années 1980, apparaît comme figée dans son regard sur un fond bleu virginal. L’Embellie est une association qui assure l’accueil des familles et conjoint·es de détenus à moindre coût. C’est également le nom du lieu, qui peut proposer ces tarifs grâce à des subventions des collectivités territoriales et du Spip (Service pénitentiaire d’insertion et de probation) de Saint-Martin. 2000 kilomètres dans le salon Le jardin baigne dans la lumière de l’Atlantique et l’odeur d’un grand buisson de menthe. Il y a du chèvrefeuille, un solanum qui monte à la gouttière et les murs blancs bourdonnent. Une poussette roule dans la cuisine. Une femme (*) décharge ses courses pour le week-end sous l’œil de son petit de 13 mois : du jambon, des œufs, des chocolatines en sachet… Elle lance à qui l’entendra : « j’ai mon parloir à 15 h 40 ! ». Elle avait laissé un carton à son nom sous l’évier, ça fait un an qu’elle vient. Elle arrive de Lorraine. Deux autres s’installent : Luxembourg et Pays de la Loire. Puis des visiteurs et visiteuses de Bretagne, suivi·es d’une famille du Sud… ce sont 2000 kilomètres de route qui se reposent dans le salon. « Lorsqu’on arrive à la Centrale, on est paumés… », confesse un vieux monsieur qui accompagne sa petite fille avec son épouse. « Nous faisons 630 kilomètres, si nous devions ajouter une chambre, on pourrait pas. L’Embellie, ça permet à la petite de voir son frère. » « Je suis la seule qui vient au parloir » Deux femmes parlent du prix de l’huile qui augmente en préparant le café. « Avant, j’étais à Marseille : chaque aller-retour, c’était 350 euros sans logement ni nourriture. » Trois demandes de transfert, trois demandes refusées. « J’ai déménagé pour me rapprocher. » C’est elle qui vient des Pays de la Loire. L’autre fait 9 heures de route, une semaine sur deux. Elle se justifie un peu quand on lui demande : « on sacrifie le temps, les week-ends… je suis la seule qui vient au parloir. » L’Embellie n’est pas un secret bien gardé : certaines l’ont connu par le Spip, d’autres par la personne à qui elles rendent visite, parfois juste par Internet. Deux femmes se sont même passé le mot en se rencontrant au parloir. « Je dis même pas que je suis mariée » Une famille sort une salade, « c’est de saison » et mange dans un silence serein. « On est entre nous, on ne se juge pas, on n’est pas jugés. » C’est une des règles : on ne parle pas des raisons qui ont amené là les gens qu’on vient voir. Et puis, parfois, ça pète au petit déjeuner dans un mélange de chagrin, de café et de colère : « il faut que je vous dise Christine ! » Christine, qui aujourd’hui a quitté l’association, est la permanente du lieu, et elle ne voulait pas qu’on lui dise, mais elle écoute quand même : l’affaire, le procès, les détails qu’on ne veut pas savoir par-dessus les tartines. Les histoires, elles doivent parfois en raconter dehors. La plus ancienne, qui vient depuis dix ans, utilise ses congés pour que ça ne se voie pas. « Je dis même pas à mon patron que je suis mariée», précise-t-elle. C’est encore très mal vu. » Juste une glace à la vanille À l’Observatoire international des prisons, la responsable du Pôle enquête, Odile Macchi, le sait bien : « La maison centrale, ce sont des longues peines. Et avec le temps viennent les problèmes de l’âge : les épouses vieillissent, il y a des soucis de santé… ce sont des publics fragiles. » D’ailleurs, la doyenne du groupe a ralenti le rythme : elle a ses parents malades, elle ne vient plus autant qu’avant. Elle arrive, reste un peu dans sa voiture, va à L’Embellie, en parloir et reprend la route. « Quand il sortira, nous ne reviendrons plus jamais à Ré. » La veille, le vieux monsieur à la canne a traîné sur la plage avec la petite et sa grand-mère. Les trois sont passé·es prendre une glace à La Martinière, le glacier emblématique du Vieux-Port qui déroule plus de 40 parfums, jusqu’aux spécialités à l’huître et à la patate locale… il coupe court à la liste : « Non, juste une glace à la vanille. Pas le cœur à la fantaisie. » « On part en vacances ensemble » Le repas est terminé, le café est chaud et le petit monsieur se fait passer la télécommande pour monter le son de la télé. Ça ressemble à un dimanche après-midi dans une maison de vacances. La différence c’est que c’est maintenant qu’on sort les jolies tenues pour aller en visite. Deux copines sortent d’un vanity gros comme un tiroir-caisse un peu de blush et une paire de rouges à lèvres. « Nous nous sommes rencontrées à la Centrale, j’y comprenais rien. » L’accueil c’est pas toujours ça : il y a des personnes sympas et d’autres non. « J’ai amené des gâteaux au parloir familial une fois et on me les a refusés, on s’est foutu de ma gueule. » L’alcool est interdit à L’Embellie alors elles vont boire un verre sur le port après. Parfois, « on a besoin d’évacuer. » Au fil des mois, elles ont fini par se voir dehors, partir en vacances ensemble. Des copines, quoi. L’autre jour, elles ont même testé le camping de Rivedoux, à l’entrée de l’île. Christine les avait charriés : « Vous allez finir par vous installer à Ré. — J’ai regardé : c’est trop cher ! » * Nous n’avons nommé ni attribué un lieu de résidence précis à aucune des personnes rencontrées à L’Embellie par respect pour leur intimité. |
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