Quand « usine » n’est plus un « gros mot » : en France, la lente résurrection de l’industrie, titre le journal le Monde qui poursuit :“Ce qui était presque inaudible dans les années 2000, usine, industrie, est devenu le nouveau mantra hexagonal, scandé par les politiques, les élus locaux et les décideurs économiques avec une belle unanimité. Et ce, depuis le sommet de l’Etat jusqu’aux acteurs locaux. “
Que s’est-il passé? La crise due au Covid-19 aura peut-être eu au moins une vertu : celle de faire prendre conscience aux Français, grisés par le virage du numérique ou la prééminence des services, qu’ils n’étaient plus capables de fabriquer des produits aussi essentiels que des masques, du paracétamol ou des respirateurs. Ce petit miracle ne dépend pas seulement des pénuries et des constats amers consécutifs à la pandémie. Les avatars de la désindustrialisation que sont le chômage, la perte de compétitivité du pays, le délitement du lien social, la désertion des villages, ont aussi conduit les élus à prendre conscience du rôle structurant de l’industrie dans leurs territoires, en matière d’emplois et de développement local.
« La France est le pays en Europe qui a le plus pris au pied de la lettre le concept de société postindustrielle, rappelle François Bost, professeur de géographie économique et industrielle à l’université de Reims. Aujourd’hui, on ne tient plus ce discours-là, on sait qu’on a besoin de toutes les activités : l’industrie a une dimension profondément géopolitique, c’est un atout de la puissance. »
Sans compter que dans un grand nombre de territoires ruraux, l’industrie est désormais le premier employeur. Sur d’anciens sites industriels en « déprise », comme l’était celui de Carling, en Moselle, haut lieu de la pétrochimie, les nouveaux projets, outre le fait qu’ils recréent des emplois, ont aussi la vertu de réutiliser des installations quasi impossibles à démanteler.
Après une quinzaine d’années de destructions d’emplois industriels, le courant s’est inversé en 2017. Les ouvertures d’usines ont pris le pas sur les fermetures, et l’emploi a commencé à repartir à la hausse. L’Insee chiffre à 26 300 les créations nettes d’emplois dans l’industrie entre 2017 et 2019. Une lente résurrection brutalement interrompue par la crise de 2020, qui a détruit 57 500 emplois industriels.
La reprise a ramené un peu d’optimisme et pléthore de projets. Les chiffres attestent cette humeur industrieuse, nous dit l’article du Monde : La clé de ce sursaut ? « Le “made in France”, qui serait devenu un argument commercial majeur »,
Les investisseurs étrangers aussi sont de plus en plus nombreux à s’intéresser à l’Hexagone – à son maillage de communications serré et à ses écoles d’ingénieurs – pour y installer leurs sites de production. En retour, les collectivités locales leur ouvrent grands les bras.
L’usine attire désormais un nouveau regard de la société modernisée, robotisée, automatisée, elle est devenue plus présentable. « Les industriels se posent des questions sur leur impact environnemental » De sorte que riverains et citoyens sont plus prompts aujourd’hui à se mobiliser contre une éolienne qui leur barre le paysage que contre une manufacture installée à l’écart des habitations, dans une zone d’activité par exemple.
Reste une difficulté, et de taille : l’industrie manque cruellement de bras. Pour le professeur François Bost, c’est aujourd’hui le premier frein à la réindustrialisation. « On voit des entreprises qui sont prêtes à s’implanter, mais qui ne trouvent pas de main-d’œuvre », déplore-t-il. Au-delà des difficultés conjoncturelles liées au caractère mondial et massif de la reprise, une entreprise industrielle sur deux peine aujourd’hui à trouver des salariés, selon les enquêtes de la Banque de France. Pourtant, le sujet est parfois au cœur de la problématique des relocalisations, par exemple lorsque Toyota a fait le choix de s’implanter à Valenciennes pour, entre autres, s’appuyer sur l’écosystème de compétences.
Le déficit de main-d’œuvre a par ailleurs des effets pernicieux : il encourage la robotisation et l’automatisation des usines, ce qui peut rendre les projets industriels moins attractifs aux yeux de certains. « Beaucoup d’élus préfèrent une plate-forme logistique d’Amazon qui crée 1 000 emplois qu’une usine qui va en créer quelques dizaines », remarque Francois Bost. Aujourd’hui, comme s’acharne à le répéter Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’industrie, le secteur compte 70 000 offres d’emploi non pourvues. « Et seul un tiers des Français rêve d’y travailler », regrette Alexandre Saubot., de France Industrie. Pourtant, il en est persuadé : « Le seul indicateur qui compte pour parler de la réindustrialisation, c’est celui de l’emploi industriel. »
De ce point de vue, il y a encore un sacré chemin à faire, conclu le Monde.
Anny Soum-Pouyalet