Afghanistan toujours avec cette fois un regard critique de l’intérieur, en l’occurrence un diplomate américain
Depuis des semaines, les évènements tragiques qui frappent l’Afghanistan et sa population, en particulier les femmes afghanes viennent rappeler au monde l’inanité, la vanité et in fine la dangerosité pour l’équilibre du monde de la politique de la canonnière, l’histoire devrait pourtant nous apprendre que ce genre de mission « civilisatrice », cette volonté d’imposer un ordre occidental ou une pax americana, est voué à l’échec. L’Algérie, le Vietnam, les Philippines, la Syrie, l’Irak, j’en passe…
En l’occurrence, cette débandade afghane qui laisse le pays dans un chaos indescriptible « était un scénario prévisible en raison de l’impréparation du retrait des Etats-Unis » pour le diplomate américain James F. Jeffrey qui a répondu en début de semaine à une interview des journalistes du monde. Jeffrey est directeur du programme Moyen-Orient au Wilson Center, à Washington. Ancien ambassadeur en Turquie (2008-2010), puis en Irak (2010-2012), il fut aussi envoyé spécial des Etats-Unis pour la Syrie et auprès de la coalition internationale contre l’organisation Etat islamique (EI). Un spécialiste de la spécialité en quelques sortes. Et si le diplomate juge que la décision de retrait prise par Jo Biden était juste, « il a commis une erreur classique : il n’a pas voulu admettre la possibilité que ce retrait puisse se transformer en bordel total. Il lui aurait fallu évacuer ses troupes, son ambassade, ses compatriotes américains, les dizaines de milliers d’Afghans amis qui ont été associés à nos actions. Cela réclame du temps, de la logistique et de la planification. L’administration ne s’y est pas vraiment préparée. » Pourtant les services de renseignements us avaient fait leur boulot et clairement averti des risques. Le diplomate de rappeler au passage que ces derniers se voient octroyer un budget de 70 milliards de dollars par an et disposent de 100 000 employés ! « Cette communauté fait des estimations, à différents degrés de probabilité. Elle a constamment prédit que l’armée afghane s’effondrerait rapidement » ; rappelle Jeffrey mais ajoute-t-il encore : « Mais cette communauté a été chahutée par les militaires, qui considéraient qu’elle remettait ainsi en cause vingt années et 93 milliards de dollars d’efforts pour construire l’armée afghane. »
Puis le diplomate enfonce le clou « La vérité, c’est que l’armée américaine a fait un boulot catastrophique. La vérité, c’est qu’on fait toujours un boulot catastrophique, car on essaie de construire des armées qui nous ressemblent. Qui a combattu l’EI ? Les Forces démocratiques syriennes. On ne les a pas entraînées comme une armée régulière, on leur a juste donné des armes. Même chose [en Irak] pour les peshmergas [les combattants kurdes] et les milices chiites. Notre modèle de formation des armées ne marche pas. On ne sait pas créer des forces efficaces au combat dans le monde moins développé. On a eu quelques décennies pour le faire et on n’a pas réussi. L’armée ne veut pas reconnaître cet échec et fait porter la responsabilité sur le renseignement ». Fin de citation Ambiance !!
Et pour conclure avec quand même un certain cynisme, notre diplomate propos une solution assez radicale : rester chez soi. America first. C’est dit en ces termes : « Les inquiétudes légitimes sur des menaces terroristes précises ont conduit à l’envoi de missions quasi coloniales, dans de grandes parties du monde qui ne veulent pas de nous et, donc, réagissent mal. Au bout du compte, il faut couper le courant, tout arrêter. Cela signifie qu’on pense d’abord à ses intérêts, plutôt qu’aux pauvres de Jalalabad ou de Mossoul. « et d’ajouter « C’est ce que font les nations et ce que les citoyens attendent d’elles. » fin de citation et Tant pis pour les femmes afghanes…
Jean-François Meekel
(°) Premier de 3 articles inclus dans la revue de presse diffusée tous les premiers vendredis du mois sur la radio RIG (90.1) à 18H30