Par Leslie Carretero Publié le : 30/06/2021
Malgré une importante présence policière à la frontière franco-espagnole, les migrants tentent toujours d’entrer dans l’Hexagone depuis la ville d’Irun. Pour tromper la vigilance des policiers, ils prennent de plus en plus de risques pour traverser cette frontière, que les autorités françaises veulent rendre hermétique. Reportage.
“Ici il y a plus de policiers que de voyageurs”. Ce passant croisé à la frontière franco-espagnole n’en revient pas. Sur le pont Saint-Jacques, qui sépare la ville espagnole d’Irun à la française Hendaye, les policiers veillent. “La zone est très surveillée, les personnes étrangères ont beaucoup de mal à passer”, observe ce Français d’une soixantaine d’années, venu faire ses provisions du côté espagnol.
Depuis le début de l’année, entre 1 200 et 1 600 agents (gendarmes, policiers, CRS et douaniers) sont déployés à la frontière chaque semaine, indique la préfecture des Pyrénées-Atlantiques à InfoMigrants, avec une moyenne de 163 personnes par jour.
“Ils cherchent les Noirs et les Arabes, les Blancs ne sont jamais contrôlés”, affirme Ion Aranguren de l’association espagnole Irungo Harrera Sarea. Ce jour de juin, nous ne serons en effet jamais inquiétés par les forces de l’ordre, pourtant en nombre sur le pont.
Ismaël en a fait les frais. Assis sur un banc à quelques mètres de la frontière, cet Ivoirien de 28 ans guette l’occasion pour passer côté français. Dans la région depuis deux semaines, le jeune homme a déjà fait sept tentatives. “J’ai essayé de traverser la frontière à pied mais je me suis fait arrêter par les forces de l’ordre. J’ai aussi pris le train qui va d’Irun à Hendaye mais les policiers m’ont interpellé dans le wagon et m’ont fait prendre le train dans le sens inverse”, raconte-t-il.
Des risques inconsidérés
Ismaël détaille ses mésaventures un sourire au coin des lèvres. Parti de son pays natal sept ans plus tôt, il en a vu d’autres. La présence de la PAF (Police aux frontières) ne le décourage pas, lui qui a déjà franchi plusieurs frontières sur la route de l’exil. Pour tromper la vigilance des policiers et entrer sur le sol français, il réfléchit à d’autres moyens, plus risqués.
“La prochaine fois, je vais essayer en marchant sur les voies de chemin de fer. J’ai calculé : le train passe toutes les demi-heures, ça me laisse le temps d’atteindre Hendaye à pied”, pense le jeune homme.
Comme lui, ils sont de plus en plus nombreux à prendre des risques inconsidérés pour éviter les autorités. Certains tentent même de rallier les deux rives en nageant dans la rivière Bidassoa. Quelques-uns réussissent cette traversée périlleuse – malgré les apparences, les courants sont forts – mais d’autres ont moins de chance. Fin mai, le corps d’un migrant a été retrouvé dans la rivière.
Pour éviter ces drames, l’association Irungo Harrera Sarea fait de la prévention, et dissuade les exilés de tenter leur chance à la nage, en leur indiquant des voies plus sûres. Chaque jour, plusieurs bénévoles s’installent sur la place de la mairie d’Irun.
Ce lundi matin, une dizaine de migrants originaires d’Afrique subsaharienne, arrivés pour la plupart dans la ville la veille, sont venus chercher des informations auprès des humanitaires. Tous espèrent passer la frontière dans la journée.
Les visages sont fermés. Les exilés, concentrés sur la suite de leur voyage, se montrent peu bavards. Ils le savent, la dernière frontière à franchir ne sera pas la plus facile. “Ils vont devoir marcher entre trois et quatre heures et se cacher pour esquiver les contrôles de police”, explique Ion Aranguren. La première tentative est rarement la bonne, la majorité arrive à passer en France après deux ou trois essais, à pied, en bus, en train ou à la nage.
Des migrants “traqués” par la police
Mais franchir la frontière franco-espagnole, longue de 700 km, n’est pas forcément synonyme de réussite. Les refoulements de migrants, y compris de mineurs, sont légions dans le département. Les exilés sont “traqués par la police” française dans toute la région, dénoncent les associations basques.
Un accord signé entre Madrid et Paris permet aux autorités françaises d’expulser un migrant arrivé au maximum quatre heures plus tôt dans l’Hexagone. Mais “comment sait-on précisément à quel moment un exilé a rejoint la France ?”, s’interroge Ion Aranguren.
Plusieurs personnes, en France depuis quelques jours, ont ainsi été interpellées loin de la frontière, à Bayonne mais aussi à Dax ou Bordeaux et ont été renvoyées manu militari côté espagnol, au mépris de la Convention de Genève, constatent les associations françaises et espagnoles. Dans le TGV entre Bordeaux et Hendaye, il n’est pas rare de croiser la PAF. Les agents circulent tout au long du trajet dans les wagons à la recherche d’éventuels sans-papiers.
Reste que pour les humanitaires, cette politique de refoulement est vaine. Et pour cause, les migrants réussissent à un moment ou un autre à échapper à la vigilance des forces de l’ordre. “Toutes les personnes passées par Irun parviennent à traverser la frontière sans revenir dans le secteur”, signale Ion Aranguren. Depuis trois ans, environ 30 000 migrants ont atteint la France depuis Irun, sans revenir sur leur pas, selon les chiffres de l’association Irungo Harrera Sarea.
Leslie Carretero, envoyée spéciale au Pays basque.