Réseaux sociaux, télévision, médias alternatifs. Ce jeune Girondin était invité vendredi 17 mars sur le plateau de Cyril Hanouna pour parler des retraites. À 18 ans, Ritchy Thibault met à profit chaque tribune qui lui est offerte, quitte à bousculer l’ordre établi, pour faire avancer ses idéaux de justice sociale.
C’est avec une petite voix que l’entretien commence : une voix malmenée par les slogans scandés, et les soirées passées dehors. Car le jeune homme sort d’une folle semaine : dans la rue, depuis l’utilisation de l’article 49.3 de la constitution, vendredi 17 mars, par la Première ministre Élisabeth Borne ; et à la télévision sur la chaîne C8, dans l’émission Touche Pas à Mon Poste, présentée par Cyril Hanouna. Un passage très remarqué, face à une députée Renaissance et au président du Rassemblement National Jordan Bardella.
“J’ai beaucoup hésité à y aller. Mais je me suis dit que si j’y allais pas, l’extrême droite prendrait ma place”, explique le tout jeune majeur.
J’y suis allé pour défendre mes idées, ils m’ont dit de faire le buzz, avec beaucoup de condescendance, rien de surprenant. J’y ai dit mes quatre vérités, mais je suis pas près d’y remettre les pieds !Ritchy Thibault
à rédaction web France 3 Aquitaine
Voilà le jeune homme sur le devant de la scène médiatique, avec tous ses côtés négatifs. Car le jeune homme et son exposition sont loin de faire l’unanimité : menaces, moqueries, – sur les réseaux sociaux, on le qualifie de “révolutionnaire biactol“-, intimidation de la part de policiers en manifestation, l’identifiant comme “un meneur”. “Ce n’est pas ça qui va m’arrêter, au contraire” répond-il, remonté comme jamais.
Au cœur de la lutte
Cela fait deux mois déjà qu’il se mobilise, dès qu’il le peut, contre la réforme des retraites. Ritchy Thibault est étudiant en première année d’Histoire à Paris, et ne raterait les évènements en cours à la capitale pour rien au monde.
La locomotive du progrès social à travers l’Histoire, c’est la rue. Ritchy Thibault, étudiant
à rédaction web France 3 Aquitaine
Observateur, mais aussi acteur, il se revendique héritier de l’esprit des Communards de Paris : ” Une somme d’individus qui [en 1871] s’autonomisent politiquement, et deviennent maîtres de leur destin”. Pour lui, la mobilisation contre la réforme des retraites est en train de se parer d’enjeux nouveaux :
La réforme des retraites, c’est l’arbre qui cache la forêt. L’enjeu est bien plus important : c’est celui du système social, celui des inégalités, celui du monde que nous voulons pour demain. Est-ce qu’on veut que l’argent et l’égoïsme prennent le pas sur la solidarité, que les forêts brûlent et que l’air devienne irrespirable ? Car tout est lié.Ritchy Thibault
à rédaction web France 3 Aquitaine
Le jeune homme de 18 ans met toute son énergie au service de sa cause. Très actif sur les réseaux sociaux, il anime deux médias militants de gauche : La Luciole-Media et Le Peuple Révolté. Avec des amis, ils filment et documentent les manifestations et mobilisations. Une passion dévorante pour la lutte sociale qui ne lui laisse, en ce moment, aucun répit.
Gilets Jaunes, discriminations : “en ébullition totale”
Si Ritchy Thibault en fait autant, c’est peut-être pour rattraper un retard, après une prise de conscience il y a quatre ans. Le 17 novembre 2018, il se retrouve sur le rond-point de Pineuilh en Gironde, avec 500 personnes vêtues de gilets jaunes. Un peu par hasard, beaucoup par curiosité :
J’avais 14 ans, j’étais en échec scolaire. Je n’avais aucune conscience politique. Je discute avec une première personne que je ne connais pas, j’apprends son histoire. Puis une autre, et une autre, etc. Des histoires de gens qui se débattent pour pouvoir vivre dignement, et malgré tout galèrent. L’histoire de mes parents.Ritchy Thibault, étudiant
à rédaction web France 3 Aquitaine
Ses parents, issus de la communauté des gens du voyage, ont abandonné un mode de vie semi-nomade, non sans regret, pour pouvoir scolariser leurs trois fils. Ritchy ne s’est approprié son héritage culturel qu’en apprenant son histoire, tardivement : dans sa famille, on ne parle pas de politique. On ne parle pas non plus des camps d’internement où avaient séjourné ses grands-parents pendant la Seconde Guerre mondiale, ni de la discrimination subie par ces communautés, qu’il préfère appeler Tsiganes. C’est pourtant de ces discriminations qu’il trace le parallèle : “Je fais partie d’un peuple qui a toujours été condamné à ne pas faire de politique. Tout comme les Gilets Jaunes en réalité”, constate-t-il.
On nous dit à tous : restez sur le côté, bande de moins que rien, bande de “sans dents”. Mais je me suis rendu compte que les agoras populaires des ronds-points avaient bien plus de valeur que les débats de l’assemblée. On s’est alors réapproprié la politique.Ritchy Thibault, étudiant
à rédaction web France 3 Aquitaine
À partir de là, le jeune garçon est en ” ébullition totale“. Lui qui n’avait jamais ouvert de livre, se met à dévorer un ouvrage par semaine, écoutant les recommandations de ses camarades plus âgés : ” Cela m’a permis d’acquérir les outils pour être un haut-parleur des injustices sociales, et les mettre en lumière dès que possible.“
Un engagement tous azimuts
C’est là que commence son engagement citoyen. Au sein du collectif École pour Tous, ou de l’association Cœur de Bastide à Sainte Foy-la-Grande : “Il fait l’unanimité au niveau des rapports humains, se souvient Patricia Juthiaud, membre de l’association. Très chaleureux et toujours présent quand on a besoin de lui. Il porte des valeurs rares, avec enthousiasme”. Des qualités qui ont convaincu cette dame de se présenter aux côtés de Ritchy aux dernières élections législatives, en tant que suppléante. Pour le protéger aussi.
Car même si la candidature citoyenne de Ritchy Thibault a fini par être retirée avant le scrutin, faute de perspectives, son envol s’amorçait à peine. Avide d’échanges intellectuels, il passe l’été 2022 de festivals en mobilisations, de rencontres en expériences : 5 000 km, à pied et en stop à travers la France, et se créé un carnet de contacts imposant dans les mondes militants. Il atterrit alors à Paris, avec si ce n’est l’ambition de ” changer le monde“, au moins celle ” d’agiter les consciences“.
Il y a toujours de la fierté quand on voit quelqu’un prendre sa vie en main, et décider de porter des valeurs fortes.Patricie Juthiaud, militante associative, amie de Ritchy Thibault
à rédaction web France 3 Aquitaine
Mais son amie de Sainte-Foy-la-Grande prévient aussi : ” Il faut qu’il fasse attention à ne pas devenir trop “bankable” pour la presse, même celle de gauche. C’est la crédibilité des valeurs qu’il porte qui est en jeu. Il est charismatique, il sait les défendre, mais il doit aussi apprendre à se protéger“.
“L’utopie d’aujourd’hui est la réalité de demain”
Se protéger, c’est ce à quoi veille Enzo, le meilleur ami de Ritchy. Ils se connaissent depuis l’époque des ronds-points, et sont montés ensemble à Paris en fac d’Histoire. Complémentaires dans leurs combats : Ritchy prend la lumière pendant que dans l’ombre, Enzo organise et planifie.
J’essaie de l’aider à garder la tête sur les épaules, même s’il n’en a pas vraiment besoin. J’ai confiance en lui. Mais il faut qu’on fasse attention à ne pas tomber entre de mauvaises mains. On ne peut pas faire confiance à n’importe qui.Enzo
Meilleur ami de Ritchy
Car déjà, les tentatives pour étiqueter cet ovni médiatique issu des Gilets jaunes commencent : à la fin de son intervention sur C8, Cyril Hanouna le questionne sur son appartenance à La France insoumise. Ritchy dément dans la foulée.
Je ne vais pas m’en cacher, je suis proche de toutes les mouvances de la gauche militante. Mais j’ai beaucoup de désaccords avec LFI, et tous les autres. Les Gilets jaunes m’ont appris à ne pas faire confiance aux partis traditionnels.Ritchy Thibault, étudiant
à rédaction web France 3 Aquitaine
De façon générale, Ritchy dit refuser les étiquettes qu’il compare à des instruments de différenciation, et par extension de discriminations, la cause de tous les maux. Il préfère s’identifier à l’Abbé Pierre pour son combat contre les injustices, à Raymond Gurême, militant de la cause nomade, ou encore à sa grand-mère, qu’il tient en grande estime pour sa capacité à ne jamais baisser les bras malgré l’adversité.
Cette semaine, peut-être même, Ritchy Thibault retournera manifester contre la réforme des retraites avec l’objectif, pense-t-il, de faire naître un monde meilleur. Et à ceux qui le prennent pour un utopiste, il leur cite Victor Hugo :
L’utopie d’aujourd’hui est la réalité de demain.Victor Hugo
cité par Ritchy Thibault