Le ministre de l’Intérieur s’est rendu en Nouvelle-Calédonie fin 2022. Le positionnement de l’archipel dans l’espace indopacifique, entre Chine et Etats-Unis, en fait un atout stratégique pour la France, au cœur des réflexions sur son avenir, son rayonnement régional et sa relation à la métropole.
Avec
- Christian Lechervy Ambassadeur de France en Birmanie, conseiller auprès du Programme Océanie du Centre Asie de l’Ifri, il a été conseiller du président de la République pour l’Asie-Pacifique (2012-2014) et secrétaire permanent pour le Pacifique (2014-2018)
- Marcello Putorti Doctorant en relations internationales
- Caroline Gravelat Maîtresse de conférences associée en droit public à l’Université de Nouvelle-Calédonie, membre du Laboratoire d’Etudes Juridique et Economique (LARJE)
Pour cette quatrième émission du temps du débat sur les outre-mers, nous nous arrêtons ce soir sur un concept flou et à géométrie variable qui inclut, à son maximum la Réunion et Mayotte, la Polynésie française, Wallis et Futuna, et la Nouvelle-Calédonie.
Au cœur de cette espace, la Nouvelle-Calédonie qui possède sa propre politique diplomatique qui ne coïncide pas toujours avec celle de la France. Une France qui prône une troisième voie pour cette immense région, destinée à sortir de la confrontation frontale entre Chine et Etats-Unis.
Pour en débattre, Emmanuel Laurentin reçoit Christian Lechervy, ambassadeur de France en Birmanie, conseiller auprès du Programme Océanie du Centre Asie de l’Ifri, conseiller du président de la République pour l’Asie-Pacifique (2012-2014) et secrétaire permanent pour le Pacifique (2014-2018) ; Marcello Putorti, doctorant en relations internationales, prépare une thèse sous la direction de Renaud Meltz et de Géraldine Giraudeau : “La Nouvelle Calédonie à la croisée des enjeux identitaires et stratégiques de la France indopacifique” ; Caroline Gravelat, maîtresse de conférences associée en droit public à l’Université de Nouvelle-Calédonie, membre du Laboratoire d’Etudes Juridique et Economique (LARJE).
La naissance de la stratégie indopacifique française
Christian Lechervy revient sur le développement de cette vision stratégique : « depuis 20 ans, la France cherche à insérer ses territoires du Pacifique dans leur environnement et de s’affirmer comme puissance dans la région au titre de ces collectivités ». Conceptualiser l’action française dans cet espace permet à la fois l’intégration régionale de Nouméa et le traitement « des enjeux stratégiques, politico-militaires, liés à la montée en puissance chinoise ». Il définit cette stratégie comme le « développement des partenariats de souveraineté avec les pays de la région et les organisations régionales ». « En 2018, le gouvernement néo-calédonien de Philippe Germain avait affirmé au Japon que la Nouvelle-Calédonie embrassait une stratégie indopacifique libre et ouverte » ajoute Marcello Purtoti, « il faut donc distinguer la Nouvelle-Calédonie comme prolongement de la France et la Nouvelle-Calédonie comme un acteur au titre de ses compétences propres ».
Coordonner les actions française et néo-calédonienne
« L’accord de Nouméa pose la notion de souveraineté partagée, et les relations extérieures font partie des compétences partagées à ce titre » explique Caroline Gravelat, « la Nouvelle-Calédonie peut adhérer à des organisations régionales, nommer des délégués auprès d’Etats et signer des accords internationaux ». Par exemple, la Nouvelle-Calédonie est membre du Forum des îles du Pacifique, à l’instar de la Polynésie française, sans que la France n’y participe. Dès lors, « le maître-mot, c’est la coordination » analyse Christian Lechervy, « il ne peut pas y avoir deux points de vue français, il en va de la cohérence et de la compréhension de notre politique par nos partenaires ». Pour gérer les potentielles dissensions, il appelle au développement d’une « pensée calédonienne » sur l’indopacifique, que « l’Etat doit associer quand c’est nécessaire ».
En filigrane, les rapports entre Paris et Nouméa
L’enjeu de la stratégie indopacifique française, c’est aussi celui de la relation entre la métropole et l’archipel néo-calédonien : « la présence du ministre de l’Intérieur en Nouvelle-Calédonie en décembre 2022 est importante dans cette période où il faut relancer le dialogue avec les indépendantistes sur la question statutaire » estime Caroline Gravelat. Des groupes de réflexion sur l’avenir de la collectivité ont été mis en place après la victoire du « non » au 3e référendum sur l’indépendance. Le nickel fait partie des dossiers qui pèsent lourd dans ces débats : « dès le début des discussions sur l’espace indopacifique, la question des approvisionnements stratégiques a été posée » observe Marcello Putorti, « le nickel est considéré comme un élément essentiel pour l’industrie de demain, mais dont on peut craindre les ruptures d’approvisionnement ». Pour lui, il faut inclure les collectivités d’Outre-mer et leurs provinces, qui disposent de capitaux stratégiques, dans ces réflexions. Il est inquiet : « tout cela est suspendu aux négociations entre les parties, pas assurées à ce jour ».
À réécouter : La Nouvelle-Calédonie fait-elle un nouveau pas vers l’indépendance ?