Le cri d’alarme de Louise, professeure des écoles.

• 14 décembre 2022

Article paru
dans l’hebdo N° 1736 – 1738

Quand élèves et profs sont en danger
Un enfant, dans un école de Dresde (Allemagne) en 2016.
© ARNO BURGI / zb / dpa Picture-Alliance via AFP


Écrire ce texte n’a pas été une mince affaire pour Louise. Non pas tant pour trouver le mot juste. Plutôt pour choisir, parmi les nombreuses difficultés quotidiennes, laquelle décrire. Ce métier d’instit, auquel elle voue une passion immense, lui est devenu peu à peu impossible. Elle, l’optimiste combative de 28 ans, a fait un burn-out juste après sa troisième rentrée. Faute d’allouer des moyens suffisants, l’Éducation nationale lui semble coupable de maltraitance institutionnelle.


Fille d’instit’, j’ai choisi de devenir professeure des écoles par vocation. Même si je vais de désillusion en désillusion, je trouve toujours que c’est l’un des métiers les plus essentiels de la société. J’aime transmettre des savoirs, mais surtout accompagner les enfants à devenir des élèves et des camarades.

Je crois au rôle fondateur de l’école sur la santé des enfants, c’est-à-dire leur bien-être physique, mental et social. J’ai choisi d’enseigner en réseau d’éducation prioritaire (REP), car c’est là où je me sens la plus utile, où mon métier a le plus de sens.

Je découvre la réalité d’un système éducatif en ruine et des écoles en sous-effectif permanent.

Dès mes premières années en tant que remplaçante, j’ai eu le sentiment d’être un « pion » au service du rectorat, cette hiérarchie éloignée de nos réalités du terrain, souvent invisible. J’étais baladée d’école en école en fonction des besoins, sans que mes préférences personnelles (de niveau ou d’école) soient jamais prises en compte.

J’ai eu la chance d’avoir au bout du fil tous les matins un gestionnaire attentif et humain, qui avait toujours un mot pour me rassurer lorsque j’étais envoyée dans une école « difficile ». Aujourd’hui, les remplaçants reçoivent leur ordre de mission par courriel.

J’ai dû attendre quatre ans pour obtenir le graal : un poste fixe ! J’ai enfin ma classe et mes élèves, que je peux accompagner tout au long de l’année. Mais la joie de faire partie d’une équipe stable fait rapidement place au désenchantement. Je découvre la réalité d’un système éducatif en ruine et des écoles en sous-effectif permanent.

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La majorité du temps, les collègues absents ne sont pas remplacés et nous devons accueillir leurs élèves dans nos classes déjà bien chargées (jusqu’à vingt-cinq élèves en REP). Le Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased), indispensable en REP, s’amenuise à chaque rentrée.

Les collègues spécialisés qui nous aident avec les enfants les plus en difficulté sont surmenés et doivent s’occuper de plusieurs écoles. Dans ces conditions, nous devons faire un « tri » des urgences et aider uniquement les élèves les plus en difficulté dans les apprentissages, laissant de côté bien d’autres qui en auraient besoin.

Nous devons faire un « tri » des urgences et aider uniquement les élèves les plus en difficulté dans les apprentissages.

Dans l’école où je travaille, dans le quartier parisien de la Goutte d’or, de nombreux enfants vivent dans des conditions précaires (hôtels sociaux, mal-logement, etc.). Malgré cela, nous avons commencé l’année scolaire sans assistante sociale ni « maître G » – un enseignant spécialisé dans la rééducation, qui aide les enfants à devenir élèves.

L’an dernier, j’ai été contrainte de harceler ma hiérarchie pour demander la présence de l’accompagnant auquel mon élève trisomique avait droit, en vain. Pour justifier ces restrictions, le rectorat nous répond que nous devrions nous estimer heureux à Paris d’avoir le Rased le plus important de France. Le fameux argument de nivellement vers le bas du « c’est pire ailleurs » ! Grâce à la mobilisation et au combat syndical, nous avons notamment obtenu le maintien d’un poste de psychologue scolaire dans notre circonscription.

J’ai fait un burn-out en début d’année car je n’arrivais plus à aller travailler sous cette pression et dans cette angoisse constante d’un accident. Travailler en sous-effectif dans les écoles maternelles REP n’est pas seulement épuisant pour les profs, c’est aussi dangereux pour la sécurité des élèves.

Par exemple, avec des classes maternelles à l’étage, le risque de chute dans les escaliers est à son maximum lorsque l’agent territorial spécialisé des écoles maternelles, qui accompagne l’enseignant, est absent et non remplacé. Dans le courriel de SOS envoyé à mon inspecteur en début d’année, j’écrivais : « Je vous demande de l’aide, car ce métier que j’ai choisi par vocation il y a six ans est en train d’abîmer ma santé physique et mentale. »

J’aimerais dire à notre ministre que l’école publique est au bord de l’implosion et qu’il faut agir vite.

J’aimerais dire à notre ministre que l’école publique est au bord de l’implosion et qu’il faut agir vite. Le manque cruel de moyens accordés à l’éducation (notamment à l’éducation prioritaire) a des impacts concrets sur la santé des élèves et du personnel. En particulier, le système actuel de gestion du handicap est dramatique, et ce sont les élèves qui sont les premières victimes de cette maltraitance institutionnelle. 

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