- Geneviève Sagno
- BBC Afrique
3 février 2021
Babeth et Lindsay partagent, chacune à leur manière, leur expérience de maman d’enfants avec deux cultures et évoquent les questions qu’elles se sont posées en abordant le cheminement identitaire de leurs enfants.
L’enfant issu d’un couple mixte se construit dans un environnement multiple comprenant deux identités culturelles distinctes, et même plus dans certains cas.
Les divergences ne sont pas toujours physiques mais peuvent impliquer parfois des considérations d’ordre religieux, linguistique, politique ou sociétale.
Autrement dit, une vision du monde différente.
Avant même la naissance de leurs premiers enfants, Babeth et Lindsay se sont interrogées sur ce qu’elles pourraient transmettre à leurs filles, de quoi elles seront porteuses plus tard. Que va-t-on transmettre ? Comment va-t-on s’y prendre ? Quelles seront les problématiques à gérer ? (Différence physique, racisme, l’acceptation de soi, identification, regard des autres…).
L’expérience de Babeth : il faut éviter les termes ‘fourre-tout’ tels que ‘métis’
Babeth, infirmière libérale et bloggeuse et William, son mari, ont deux filles Ceryse, 12 ans, et Salomé, 7 ans.
Babeth et William sont tous deux Français. Née de parents Congolais en région parisienne, en France, Babeth est aussi une femme aux multiples cultures et aux multiples visages qui refuse d’être enfermée dans une case qui ne lui correspond pas ou qu’elle juge trop petite et limitante.
“Il faut se libérer du poids du regard de l’autre, du poids culturel. Il est important de se rebeller”, dit-elle.
A travers son blog NotJustMom – Etre Maman comme on l’entend et sa page Instagram NotJustMom, elle souhaite “contribuer au changement de l’image souvent erronée que beaucoup se font des femmes issues de la diversité”.
Depuis, Babeth organise régulièrement des cercles de sororité ‘Bonjour Madame’, des ateliers autour des freins personnels et professionnels pour accompagner les femmes qui veulent se lancer dans l’entrepreneuriat.
“Ce n’est pas parce que nous sommes des femmes noires que nous sommes toutes les mêmes. Nous avons des passions différentes, des ambitions différentes, peut-être des manières différentes de mener nos carrières professionnelles, d’élever nos enfants”.
Babeth considère que les bases d’une éducation saine doivent être posées rapidement et concrètement en évitant les termes ‘fourre-tout’ tels que ‘métis’.
“Pour moi, ce sont des petites filles noires”
“Déjà enceinte, j’avais commencé à réfléchir inconsciemment à ces questions-là.
C’est important qu’un parent accompagne le cheminement identitaire de son enfant d’autant plus quand il y a la mixité.
Pour moi le métissage est culturel avant tout. Je trouve que le terme ‘métis’ est impersonnel. Ça veut tout dire et rien dire. On a l’impression que c’est pour éviter le mot qui dérange : Noir. Donc du coup, moi je mets les deux pieds dans le plat et de toute manière, nous sommes les parents de nos enfants et on les élève comme on a envie de les élever et de les nommer. D’autant plus que mes filles se définissent comme tel, elles l’ont bien assimilé, elles le comprennent comme ça et elles en sont contentes.
Je n’avais pas envie qu’elles se sentent plus Blanches que Noires mais qu’elles s’acceptent telles qu’elles sont. Et le fait qu’elles s’identifient comme des petites filles de couleur noire d’origine franco-congolaise, c’est ultra-important.
“On est une force, que ce soit lui ou moi”
Mon mari et moi, on a pas mal discuté. Sur certains sujets, on n’était pas d’accord mais sur d’autres on l’était. Aujourd’hui, face aux enfants, on tient un discours commun qui fait que face aux enfants on est une force et que ce soit lui ou moi, nous tenons le même discours.
C’est en expliquant, en regardant des reportages ensemble, en lisant des bouquins ensemble qu’il a compris que je ne cherche aucunement à rejeter le côté blanc. C’est juste que dehors, les gens ne perçoivent pas nos enfants comme étant des enfants blancs mais plutôt comme des petites filles noires à la peau très claire.
“Nos filles sont armées”
Aujourd’hui, nos filles sont éduquées sur le sujet, on leur parle. Nos filles savent qui elles sont. Elles sont armées un minimum pour savoir répondre aux personnes qui un jour leur feront des réflexions concernant leur couleur de peau ou leurs cheveux.
Ce n’est pas parce que nous sommes des femmes noires que nous sommes toutes les mêmes. Nous avons des passions, des ambitions, des manières différentes d’élever nos enfants.
On leur met des bouquins dans les mains, c’est ultra important. Elles savent qu’elles peuvent parler avec leurs parents et que l’art leur permet d’avoir une ouverture d’autant plus grande par rapport à ça.
Il est important qu’elles considèrent leur couleur de peau comme un atout et pas comme une faiblesse.
“La beauté n’est pas définie par le cheveu”
Nos filles “sont armées un minimum pour savoir répondre aux personnes qui un jour leur feront des réflexions concernant leur couleur de peau ou leurs cheveux”.
J’ai décidé de porter mon afro quand j’ai eu ma première fille pour qu’elle puisse s’identifier à moi. C’est pour ça que je porte mon afro comme je le porte aujourd’hui.
Les gens avaient l’habitude de faire ces réflexions devant mes deux enfants et ma première a commencé à rejeter son cheveu.
La première a le cheveu type afro alors que ma deuxième a le cheveu caucasien et son métissage est plus doré. On nous disait presque qu’elle allait faire malheur parce qu’elle a les cheveux raides. Et cela avait le don de m’agacer parce que la beauté n’est pas définie par le cheveu, le cheveu caucasien n’est pas plus beau que le cheveu afro de mon autre fille.
Qu’il s’agisse de personnes blanches ou noires, ceux qui tiennent ce genre de discours n’ont jamais accepté leur cheveu et ont toujours un complexe par rapport à cela.
Je l’ai rééduquée à aimer son cheveu.
Je lui ai dit ‘regarde maman avec mon afro, tu penses que maman est moche ? Non, je te trouve super, m’a-t-elle dit. Alors les gens, ce qu’ils pensent, on s’en fiche. Et lorsque ma fille me disait ‘Mais tout le monde me regarde’, je lui répondais : ‘Les gens te regardent parce que tu es belle, parce qu’ils n’auraient pas eu l’audace, eux, de le faire’.
Et aujourd’hui, du haut de ses 12 ans, ses cheveux c’est sa couronne ! Elle est fière de ses cheveux. D’ailleurs chacune aime son cheveu, la petite aime beaucoup le cheveu afro de sa sœur !
Nous sommes celles que nous sommes pour les enfants que nous avons”.
L’expérience de Lindsay : il est important de mettre un mot sur le métissage
Consultante en stratégie digitale, Lindsay Essoumba Vitz élève ses deux petites filles, Scottie 3 ans et demi et Romy 1 an et demi, avec son mari Harold.
Harold est Franco-Belge, Lindsay est Camerounaise.
Cette jeune maman a plus d’une corde à son arc. Elle a créé La Famillerie, un concept store qui célèbre la vie de famille à travers la vente d’objets du quotidien. Ces objets sont fabriqués par des artisans engagés sur le plan social et environnemental.
Elle a aussi co-fondé JE CONSOMME NOIR, un référentiel de marques et professionnels de la communauté afro-descendantes.
Et surtout, en 2018, elle a écrit le livre “Les aventures de Scottie, je suis métisse” afin d’ouvrir le dialogue concernant les différences culturelles et la mixité. Elle a écrit ce livre en pensant à sa fille.
“C’est ma part d’héritage pour ma fille qui m’a fait réfléchir à mon rôle de parent“, précise-t-elle.
Lindsay a écrit le livre “Les aventures de Scottie, je suis métisse” en 2018 afin d’ouvrir le dialogue concernant les différences culturelles et la mixité
Dans cet ouvrage, elle aborde les différences physiques, le voyage et l’entraide dans une classe aux profils pluriels. “J’apprends aux enfants qu’ils peuvent aimer qui ils veulent, voyager“, explique-t-elle.
Pour elle, il est important de mettre un mot sur le métissage et d’ouvrir la voie et la parole des enfants.
“Les parents issus de la minorité sont tenus de se poser ces questions”
“Je vis en France depuis une quinzaine d’années. Quand on est un parent issu d’une minorité, c’est très important de ne pas considérer sa couleur de peau comme un tabou car les enfants en grandissant se posent inévitablement des questions auxquelles on doit répondre de façon naturelle.
Et c’est toujours les parents issus de la minorité qui doivent se poser ces questions parce que qu’ils seront confrontés à des commentaires qui ne seront pas toujours bienveillants.
Les questionnements sont venus à moi car ma mère ne m’avait pas appris que j’allais avoir des problèmes à l’école. Elle ne m’a pas appris qu’on allait traiter mes cheveux de serpillière, qu’on allait trouver que ça ressemblait a de la paille, qu’on allait déposer des crottes devant notre porte parce il y avait des gens qui n’étaient pas contents qu’on soit là.
Le regard que les autres peuvent porter sur vous ne définit pas qui on est et qui on va devenir. Par contre, grandir en étant informé développe la confiance en soi. Et c’est quelque chose qui s’apprend.
“On peut être Noir et métissé, Blanc et métissé”
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“Les enfants comprennent très rapidement, il faut juste leur donner des éléments de réponses”, souligne l’auteure
A l’arrivée de ma fille, j’ai écrit un livre qui s’appelle ‘Je suis métisse’ pour expliquer à ma fille ses origines. Je pense que c’est important de grandir avec sa culture, son histoire. Et dedans je raconte la rencontre avec son papa. C’est l’histoire de sa maman Camerounaise qui rencontre son papa qui est Franco-Belge. C’est important de le dire car il porte aussi un héritage. Et je dis dans le livre que le métissage est quelque chose qui se voit ou qui ne se voit pas. On peut être Noir et métissé, Blanc et métissé… C’est aussi un mélange de culture. J’ai essayé, sans tomber dans la caricature, d’ajouter une Indienne, un Asiatique, une Africaine, un enfant en situation d’handicap, un autre en surpoids et une maîtresse avec le vitiligo.
Dans le livre j’apprends aux enfants que le métissage nait aussi du voyage. Qu’un voyage ou changement de pays peut changer une vie et faire en sorte que des personnes se rencontrent et tombent amoureux.
Et qu’un jour, des enfants vont lui poser la question par rapport à ses cheveux.
Je voulais qu’elle puisse mettre un terme dessus. Les enfants comprennent très rapidement, il faut juste leur donner des éléments de réponses.
J’ai réfléchi à la manière dont j’aurais pu me passer du mot. Au départ, c’était ‘Je suis n’importe qui’. Mais avant tout je pense que c’est important de mettre un mot sur le métissage. C’est-à-dire ‘des personnes issues de l’union de deux personnes d’origines ethniques différentes’. C’est cela qui m’a plu dans le mot.
Quand on regarde dans le dictionnaire, les définitions comme hybride ou les synonymes comme mulâtre n’ont pas une connotation très positive. On pourrait choisir d’utiliser n’importe quel mot mais quand on a besoin d’une direction et que l’on fait des recherches sur Internet, on trouve ‘métis’ et je trouvais ce terme plus impactant. Pas négatif. Neutre.
“On ne peut pas toujours être d’accord mais on trouve toujours un consensus”
On imagine, quand on est issu d’une minorité, que les gens sont au courant de nos souffrances, nos problématiques et nos questionnements. Mais en fait, on s’éduque tous. Tout le monde doit s’éduquer à la différence et c’est ce qu’on fait, on s’éduque à notre différence culturelle.
De mon côté, mon mari m’apprend à comprendre que tout le monde n’est pas pareil et qu’il faut se concentrer sur nous parce que c’est le plus important. Et tant qu’il y a de l’amour et du respect sur les différentes cultures, c’est tout ce qui importe.
Je pense que chacun se complète. On ne peut pas toujours être d’accord mais on trouve toujours un consensus.
“La différence c’est la normalité”
Conscientiser un enfant c’est apporter des bases. A 3 ans, je ne pense pas que ma fille comprendra l’origine du mot métis. Aujourd’hui on propose et c’est l’enfant qui dispose, il s’identifiera lui-même. Il faut laisser l’enfant grandir.
Chaque parent fait comme il l’entend pour donner des pistes à ses enfants. Le livre existe pour instruire et pas pour mettre les gens dans des cases. Je veux qu’elle apprenne la différence, même de manière imagée. Qu’il ne faut pas avoir peur de l’autre. Que la différence c’est la normalité et c’est le monde dans lequel on vit. Le handicap en fait partie.
L’avis de chaque maman est à prendre en compte parce que chacune d’entre nous a des histoires différentes. Personne n’est pareil. Il faut accepter qu’être parent c’est complexe. Et le parent doit se faire confiance et savoir ce qui est juste pour son enfant”.
D’où vient le terme Métis ?
‘Métis’ signifie mêlé ou mélangé en latin (mixtius ou mixtus).
Comme l’a souligné l’historienne et sociologue Emmanuelle Saada dans ‘Les enfants de la Colonie – Les métis de l’Empire français entre sujétion et citoyenneté’, les termes pour rendre compte du métissage, élaborés dès le XVIIème siècle, sont directement repris au lexique des croisements entre espèces animales.
En effet, pour le Dictionnaire Larousse, par exemple, le terme métis désigne une personne “issue de l’union de deux personnes d’origine ethnique différente” mais aussi “un hybride obtenu à partir de deux variétés différentes de la même espèce”.
Le Petit Robert parle de personnes “dont les parents sont de couleur de peau différente” et d’animaux “issus du croisement de races différentes”.
Le Littré pour sa part évoque des espèces différentes.
Alors qu’en est-il réellement ? Pour un parent, il semble bien difficile de faire le tri.
Rien d’étonnant à ce que de nombreuses personnes s’interrogent sur la validité du terme.
Lorsque l’on s’adresse aux parents, on constate une multiplicité de réponses, d’attitudes, de regards et de désaccords sur la question. Cela est fortement lié au caractère ambivalent des multiples identités d’un enfant né au sein d’un couple mixte et au regard que la société porte sur la couleur de la peau.
Chaque famille multiculturelle est unique.
Il n’existe pas de ‘norme’ à respecter et chacun poursuit son cheminement en fonction de sa propre histoire.
Comme on a pu le voir avec Babeth et Lindsay, chaque décision est le fruit de nombreux échanges et de multiples réflexions.