Native de Meaux et étudiante à Sciences Po, la jeune femme de 22 ans a pris la tête d’un collectif qui se bat pour autoriser le port de signes religieux lors des compétitions officielles de football, alors qu’est débattue la possibilité d’élargir l’interdiction à tous les sports.
Founé Diawara ne se souvient pas très bien de ce match de 2015. Où était-ce ? Contre qui ? Elle a tout oublié. Sauf cet arbitre qui lui a demandé d’enlever son voile car, contrairement aux règles de la FIFA, l’article 1 des statuts de la Fédération française de football (FFF) interdit tout port de signe religieux lors des compétitions officielles. Exclue pour avoir refusé d’enlever son foulard, Founé Diawara a suivi le jeu depuis le banc avec « rage ». Son équipe a perdu. La footballeuse ne se rappelle plus le score non plus.
« 3-2 contre Villepinte en Coupe de France », lâche Erwan Gicquel, le coach d’alors. Lui se souvient de tout. Du vent, de la pluie et de cette adolescente qui « n’a pas lâché le morceau », alors qu’il avait besoin d’elle sur le terrain. Sept ans plus tard, l’entraîneur continue de raconter cette histoire à son entourage. Founé Diawara aussi la répète dans les médias, mais désormais en tant que présidente des Hijabeuses. Le collectif a été créé en mai 2020 sous l’égide d’Alliance citoyenne, une association qui mobilise des citoyens contre des règles et situations qu’elle estime injustes.
Pieuse, elle se défend de tout prosélytisme
Après avoir déposé, en novembre 2021, un recours auprès du Conseil d’Etat contre la FFF, les Hijabeuses multiplient les actions face à la proposition de loi Démocratiser le sport en France. Le 26 janvier, elles tapaient dans le ballon devant le Sénat pour protester contre un amendement des élus Républicains interdisant le voile lors des compétitions officielles. Les députés ont retoqué l’amendement le 8 février, puis les sénateurs ont rejeté l’ensemble du texte en nouvelle lecture le 16 février.
La lecture définitive à l’Assemblée nationale devait avoir lieu le 24 février. Pendant ce temps, le gouvernement se divise sur la question. Elisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes, soutient le droit à jouer au football avec un voile, tandis que Marlène Schiappa, ministre déléguée à la citoyenneté, se prononce contre le « prosélytisme dans les compétitions sportives »
« Je ne pensais pas que cela irait si loin, confesse Founé Diawara, 22 ans, dans un café de Romainville, le 19 février. On veut juste jouer au foot. La compétition est la consécration de toute une semaine d’entraînement et la FFF nous en prive », explique-t-elle. Dans sa voix, ni colère ni rage. Elle reste si calme que l’on se demande si tout ça l’affecte vraiment. « Founé est très forte. Elle est capable d’encaisser beaucoup de choses. Ce n’est pas pour rien qu’elle est présidente », commente Anna Agueb-Porterie, organisatrice de communauté chez Alliance citoyenne.
« Si on voulait la charia, on n’inciterait pas ces femmes à jouer au foot. » Anna Agueb-Porterie, membre d’Alliance citoyenne
Si Founé Diawara est le visage des Hijabeuses, Anna Agueb-Porterie en est la tête pensante. Créée en 2012, Alliance citoyenne milite par exemple contre les logements insalubres ou, comme en 2019, pour le port du burkini dans les piscines municipales de Grenoble. A ceux qui reprochent à l’association de « chercher les problèmes là où il n’y en a pas » ou de promouvoir des valeurs compatibles avec la charia, Anna Agueb-Porterie rétorque que l’association aide « des musulmanes qui, face aux pressions, n’osent plus se défendre ». Elle lance : « Si on voulait la charia, on n’inciterait pas ces femmes à jouer au foot. »
Alliance citoyenne a contacté Founé Diawara au printemps 2020 sur Instagram. La jeune sportive accepte alors de partager son vécu de footballeuse voilée, publie sur son fil des photos de sa famille et de son mari et en story des paroles du prophète Mahomet. L’étudiante se dit pieuse, mais se défend de tout prosélytisme. Puis Alliance citoyenne forme Founé Diawara à la prise de parole médiatique.
Milieu gauche rapide
Née à Meaux de parents d’origine malienne, Founé Diawara excelle aussi bien à l’école que dans le sport. Au collège, elle assure au 200 mètres. Elle multiplie les disciplines, car « elle veut tout essayer ». Au club sportif de Meaux, où elle s’inscrit après la Coupe du monde féminine de football de 2015, elle devient une milieu gauche rapide. « Elle aurait pu aller beaucoup plus loin si elle avait voulu travailler », commente Erwan Gicquel. La jeune athlète préfère s’investir dans les études pour « rendre fière sa famille », un beau-père marbrier dans les hôtels et une mère femme au foyer.
Après un lycée classé en ZEP, Founé Diawara intègre une licence à Sciences Po. Elle y découvre la vie associative, s’engage pour ce qu’elle appelle « les convictions de [s]a génération » : elle milite pour Black Lives Matter, manifeste pour Adama Traoré, mort en 2016 après une interpellation de la police, fait du bénévolat pour une association féministe. Inspirée par le parcours de Rokhaya Diallo, Founé Diawara effectue un stage d’assistante auprès de la journaliste, qui se souvient d’une jeune femme « réservée, travailleuse et très sérieuse ». La présidente des Hijabeuses vient de créer une nouvelle association « pour défendre les droits des femmes en Afrique » et se demande si elle ne ferait pas carrière dans la responsabilité sociale d’entreprise.
Depuis ce match contre Villepinte, ce foulard qu’elle porte « par choix » ne lui a pas posé de problème. Elle est capitaine de l’équipe de foot de Sciences Po et n’a jamais songé à arrêter le sport. « Ce n’est pas ce que vivent la majorité des filles », rétorque la chercheuse en sociologie Haïfa Tlili à ceux qui voudraient réduire cette lutte à un épiphénomène. Pour Founé Diawara, l’invisibilisation de sportives voilées empêche surtout des vocations. Elle sait qu’elle peut-être « fichée à vie » à cause de ses positions mais l’assume. Au pire, si le combat la dépasse, chez Alliance citoyenne on l’assure qu’on sera « là pour l’épauler ».
Sevin Rey-Sahin