Les démolitions des quartiers pauvres de Mayotte s’enchaînent les unes après les autres. Ce portofolio présentent les quelques familles encore sur place. Elles vivent au milieu des décombres des habitations démontées avant le grand chamboulement prévu le 5 novembre. Se montrant sans s’exposer, elles veulent ainsi exprimer l’effacement qu’elles subissent sans répit dans la société mahoraise.

  1. © daniel gros / Mramadoudou octobre 2021. Comment faire un portrait de femme, avec enfants, et  compagnon, sans les exposer ? Les habitantes du quartier condamné à la démolition prochaine ont souhaité se mettre en scène devant leur maison le visage dissimulé sous un kishali (châle traditionnel) et les hommes et enfants tournant le dos à l’appareil. Ainsi ressentent-elles, et ressentent-ils, leurs conditions  sur le territoire français où aucun droit ne leur est consenti. Où tous les abus et dénis de droit leur sont retournés. Menaces sur le trajet de l’école, du dispensaire, de la pharmacie, du travail, de la petite échoppe. La nationalité ne donne pas de privilège face au harcèlement policier des petites gens de Mayotte.
  2. © daniel gros / Mramadoudou octobre 2021. La lutte contre l’habitat illégal est une fumisterie. N’est illégale que la conduite de l’État. Pour preuve : la dame à l’enfant, debout dressée en madone, s’est installée sur le terrain Chamassi en 2016 après avoir été chassée par les milices villageoises des villages du Sud sous la protection vigilante des forces de police. Le propriétaire avait alors mis son terrain à disposition des familles sinistrées bravant la réprobation publique. Bien que le rapport de gendarmerie prétende que des particuliers « ont signé l’attestation demandant l’intervention des services de l’État pour démolir les constructions » installées « sur des parcelles occupées illégalement”, il est facile d’imaginer ce qu’il a fallu d’intimidations et de menaces pour obtenir ces signatures. Le fait d’occupation illégale est démenti par la mention de l’adresse du propriétaire sur certaines cartes de séjour. Bien sûr rien n’est jamais offert sans contrepartie.
  3. © daniel gros / Mramadoudou octobre 2021. Le terme de “décasage” employé ici et là confirme le lien entre les exactions villageoises contre les populations comoriennes de 2016 et les opérations actuelles sous couvert de la Loi ELAN. Il est employé dans la communication des élus et les titrages des journaux[1]. Le pouvoir, à travers des lois cousues de fil blanc et des consignes données à ses préfets, a décidé de prendre le relais de la xénophobie ambiante. A présent il assume seul l’œuvre de bassesse engagée par les activistes les plus extrémistes de la population. Malgré l’obligation de reloger, simple leurre pour laver les bonnes consciences hypocrites, seule prévaut la sommation : pas de pitié pour les gueux. [1]Voir par exemple, Yohann Deleu, « Intimidations des élus. Mansour Kamardine appelle à “faire bloc” et à intensifier les décasages », Le Journal de Mayotte, Le 19 octobre 2021. [2] Pour se faire une idée de cet aspect du néo-libéralisme, lire : Laurent Cordonnier, Pas de pitié pour les gueux, Raisons d’Agir, 2002
  4. © daniel gros / Mramadoudou octobre 2021. L’invitation du député Kamardine à intensifier les “décasages” trahit des obsessions qui débouchent toujours sur des politiques imbéciles. Ce monsieur Kamardine n’en est pas à son premier coup anti-républicain : en signe de solidarité, n’avait-il pas poussé l’audace à passer une nuit en compagnie des femmes qui ont assiégé le bureau des étrangers durant quatre mois sous protection policière[1] ! Actuellement il souffle sur les braises des incendies de mairie, de voitures d’élus désignant des pyromanes sans preuve : dans les temps obscurs où l’État manque à ses devoirs les plus élémentaires, l’histoire nous apprend que des groupuscules peuvent attenter à leurs propres intérêts pour désigner et châtier les populations qu’ils ont prises pour cibles. L’hypothèse de semblables machinations prend alors du crédit. [1] Geoffroy Vauthier,  «Mansour Kamardine | “Les Mahorais aident le gouvernement à tenir ses engagements” », Mayotte-hebdo, le 3 octobre 2018.
  5. © daniel gros / Mramadoudou octobre 2021. Le Pouvoir a montré sa capacité à relayer des accusations sans fondement et à instiller la peur chez les habitants. Le rapport de gendarmerie annexé à l’arrêté de démolition des deux quartiers de Mramadoudou fait de ces lieux des repaires de délinquants et de voyous. « Le village de Mramadoudou serait selon la population locale une zone de repli de délinquants venus du nord de l’île, voire de Petite-Terre pour “se mettre au vert” »[1]. Sans en apporter la moindre preuve : on ne connait rien des actes commis, ni de leurs auteurs. Par contre tout le monde sait que le Pouvoir place systématiquement Mayotte en dehors de la loi commune pour tout ce qui se rapporte à l’administration des petites gens. Droits sociaux au rabais ; harcèlement policier constant ; ostracisation totale des populations d’origine étrangère ; destruction de l’habitat pauvre sans solution de remplacement ; etc. [1]Voir sur ce blog : “Chronique de la brutalité sous pandémie 8/ Loi  ELAN, au suivant !”
  6. © daniel gros / Mramadoudou octobre 2021. Sur la cinquantaine de familles résidant dans le quartier de Mramadoudou, une quinzaine seulement n’a ni décampé ni démonté sa maison. Aucune n’oppose de résistance au sort qui lui est promis. Loin de là. La plupart, sauf exception, sont des mères célibataires, ce qui signifie en langue locale que les pères refusent d’assumer leur responsabilité. Elles sont donc totalement prises au dépourvu par cette opération qui les saisit sur place. Faire face à cette urgence demande des ressources dont elles ne disposent pas : veiller sur les enfants, les nourrir, suivre leur scolarité, assurer quelques heures de ménage par jour pour disposer d’un minimum de liquidité monétaire, voilà qui remplit la journée. Sans reste.
  7. © daniel gros / Mramadoudou octobre 2021. Dans un état de précarité extrème, le moindre bouleversement atteint gravement les familles. Et l’État n’est pas avare en tracasseries : contrôles incessants, éloignement dans l’île voisine, harcèlement contre l’économie informelle la seule pourtant où l’ensemble de la population pauvre de Mayotte peut espérer gagner les quelques sous dont elle a besoin pour les dépenses contraintes, selon la formule consacrée : paiement de la première carte de séjour (425 €), de son renouvellement annuel (225€), les fournitures scolaires, la nourriture, le loyer de la maison, même insalubre. En revanche, l’État ne verse aucune prestation. Les femmes comoriennes pourvoient seules à l’éducation de leurs enfants les accompagnant souvent jusqu’aux études supérieures et leur poursuite en métropole après la licence. Premier succès familial dans un parcours migratoire de longue durée.
  8. © daniel gros / Mramadoudou octobre 2021. Il n’y a rien à voir sur ce quartier et personne ne se déplacera. Jeudi matin le 21 octobre, la Croix-Rouge de Mayotte organisait une petite fête pour l’inauguration de la borne fontaine monétique installée dans le quartier au mois d’août.  Aucun des bénévoles, ni la responsable qui les encadrait, n’avaient connaissance du destin administratif du quartier : sa liquidation ! Tous les habitants recevaient une carte magnétique moyennant 20 € ( contre 34 € dans les bureaux de la société de distribution d’eau (SMAE), et un seau de 10 litres avec couvercle. Car l’avenir des populations délogées n’est un sujet pour personne. La Croix-Rouge se veut rassurante : les familles pourront utiliser leur carte magnétique dans n’importe quelle borne fontaine de l’île.
  9. © daniel gros / Mramadoudou octobre 2021. La préfecture envoie ses agents effectuer des repérages, marquer les tôles des logements d’un numéro à la bombe fluo jaune. Sans adresser le moindre regard à la population figée dans sa détresse. Il vaut mieux pour eux détourner les yeux gênés et continuer l’indigne besogne. Des psychothérapeutes soigneront les blessures narcissiques le moment venu des cauchemars. Les préparatifs des démolitions n’incluent pas le sort des habitants : personne n’a encore reçu la moindre assurance d’un relogement prochain, un mois après l’affichage de l’arrêté préfectoral. Au contraire, les services sociaux de la mairie sollicités répondent invariablement aux mamans quémandeuses : l’hébergement d’urgence est envisageable pour une période de 21 jours maximum. Ensuite vous dégagez. Vous ne pouvez pas apporter vos affaires. Vous serez logées où il y a de la place dans l’île. De toute façon, que les étrangers en situation régulière munis d’un titre annuel ou pluriannuel cessent de rêver : ils n’ont tout bonnement aucun droit à une relogement durable.
  10. © daniel gros / Mramadoudou octobre 2021. Sur le terrain Chamassi dans le village de Mramadoudou, les rapports avec le propriétaire variaient selon le statut de l’habitant. L’arrangement de départ faisait office de contrat d’installation et n’était pas négociable. Les plus anciens sur le terrain construisirent deux logements, un pour leur usage privé qu’ils occupaient librement, le second au bénéfice du propriétaire. Celui-ci tirait alors un loyer mensuel de 50 € sur la moitié des logements disponibles sans avoir investi le moindre sou dans l’affaire. Les habitants-bâtisseurs entretiennent avec le propriétaire du terrain des relations d’invité à titre gratuit, leur dette envers lui ayant été apurée par avance avec la construction du second logement. Les locataires de ces logements voient le propriétaire d’un autre œil puisque les relations se durcissent lors de l’exigence d’un loyer parfois difficile à régler. 
  11. © daniel gros / Mramadoudou octobre 2021. Ainsi les familles partent les unes après les autres. Certaines profitent d’une solution provisoire chez un membre de la famille. La mère et son enfant ont trouvé refuge chez la grand-mère ; la solution pourra durer plus longtemps que l’installation chez un oncle ou une tante disposant de peu de place. L’essentiel pour tous est de sauver les meubles, dans le sens large : entreposer ses affaires, ne pas s’éloigner de l’école ni du travail peu rémunérateur mais indispensable. Tous ont bien conscience que l’aide éventuelle proposée sans suite les privera durablement de toutes les ressources qu’ils ont mis tant de temps à construire : l’accès à l’école des enfants, le travail domestique chez une Mahoraise, le travail masculin sur les chantiers du bâtiment ou dans les champs.
  12. © daniel gros / Mramadoudou octobre 2021. Les destins parfois semblent s’acharner sur leur proie. Le jeune homme est né à Mayotte. A l’âge de ses 11 ans, la mère, à ses côtés sur la photo,  fut expulsée, le confiant à des voisins peu enclins à le recueillir. Le jeune garçon, placé par l’Aide Sociale à l’Enfance, ne supporta pas l’absence maternelle à tel point que la famille d’accueil l’a ramené en Grande-Comore. Il perdit ainsi son droit à la nationalité. La mère est revenue à Mayotte sans le ramener pour des raisons financières, la traversée en kwassa étant très onéreuse. Par un fils devenu français, elle obtient finalement une carte de séjour. Le jeune homme couve une colère rentrée devant l’exclusion dont il fait l’objet. Revenu à Mayotte à l’âge de 18 ans, il peut prétendre à une carte de séjour par son enfant, français par double droit du sol[1] . Il a trouvé une pièce dans une maison des environs dans laquelle il a posé ses tôles pour aménager un logement de trois chambres. Il paie un loyer de 200€. [1] Le double droit du sol : tout enfant, né en France de parent lui-même né en France, est déclaré français à sa naissance.
  13. © daniel gros / Mramadoudou octobre 2021.
    1. Même les familles bien intégrées économiquement peinent à se relever de ce désastre. Le père est titulaire d’une carte de résident (valable 10 ans) qui lui permet de percevoir les allocations familiales selon la composition de sa famille. Il aurait droit aux allocations logement s’il disposait d’un logement adapté. Sa situation démontre la pénurie du parc immobilier à Mayotte et la stupidité de la politique de démolition de l’habitat pauvre. Sa femme dispose d’une carte de séjour annuelle et chacun des enfants possède un document de circulation pour étranger mineur. L’aînée âgée de 14 ans vient d’être déclarée française. Le père occupe un emploi sur contrat CDI en tant que technicien dans une entreprise d’installation et d’entretien de climatisation. Sa femme déclare fièrement qu’il s’occupe de la climatisation de la préfecture.
  14. Puisqu’il le faut, tout le monde s’organise pour déguerpir et débarrasser le plancher. C’est le cas de le dire puisque toutes les maisons seront dépecées les unes après les autres, les tôles soigneusement déclouées des chevrons ou des bois qui les maintiennent, tous les meubles dignes de récupération emportés. Mais démontage de la maison n’implique pas un remontage ailleurs : “Ce n’est pas parce que les habitations ont été démontées que les gens ont trouvé un endroit où les reposer”. En fait la première démarche consiste à chercher un petit coin dans une cour pour y entreposer tout ce qui permettra de limiter les dégâts. Ensuite il faudra trouver où se poser avec sa famille en préservant l’essentiel. Une longue reconstruction dans un avenir incertain puisque le pouvoir détruit sans donner aux habitants la possibilité d’une vie meilleure.
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