Quand les talibans ont pris le contrôle de la capitale afghane le 15 août, les femmes ont su tout de suite qu’elles seraient les premières à subir les changements. La photographe Oriane Zerah, qui vit à Kaboul, les a interrogées sur la manière dont elles ont vécu ces événements, « la peur » au ventre.
- © Oriane Zerah Kaboul, le 14 septembre 2021. Asma et Amina sont deux sœurs de 30 et 32 ans. Elles travaillaient dans un salon de beauté qu’elles avaient ouvert en 2018. Le 15 août, Asma était à la banque quand elle a entendu des coups de feu. Elle a eu très peur ce jour-là. Elle n’avait jamais vu de taliban de sa vie. Avec sa sœur, elles ont fermé leur boutique et se sont enfermées chez elles. Elles n’en sont pas sorties pendant quatre jours. Puis elles sont allées vivre dans un autre quartier de la ville où elles partagent une chambre. Elles n’ont pas retravaillé depuis. Ne pas être mariées à leur âge est très mal vu. « Pour les hommes ce sera facile, ils n’ont qu’à se laisser pousser la barbe, mais pour nous, ça va être l’horreur. »
- © Oriane Zerah Kaboul, le 17 septembre 2021. À 37 ans, Zholia Parsi est mère de cinq enfants. Elle est originaire de Takhar. Elle était manager au Peace Council Office. Le jour où les talibans sont entrés dans Kaboul, elle s’est dit que sa vie était terminée. Au début, elle n’y a pas cru. « Même dans mes rêves, j’avais peur des talibans, alors quand j’en ai aperçus dans un pick-up, j’ai été terrifiée et je suis restée deux jours enfermée chez moi. Quand je suis finalement sortie, je n’ai pas retrouvé mon Kaboul, tout ce que j’ai aimé appartient désormais au passé. Très vite nous avons organisé des manifestations. Je n’ai pas peur car quand on a tout perdu, on n’a peur de rien. Je n’ai quasiment plus d’espoir mais je me battrai tant que je peux. Ma vie est devenue morne, je ne sors plus avec mes amies au restaurant, je ne m’habille plus comme je le souhaite. J’étais le soutien financier de ma famille. Maintenant je suis moi aussi sans travail. J’ai dit à mes amies : “Si je suis tuée, jetez mon corps et continuez le combat !” »
- © Oriane Zerah Kaboul, le 3 septembre 2021. Sur le marché de Kote Sangi, de nombreuses femmes ont opté pour des tenues beaucoup plus couvrantes, comme l’abaya, que celles qu’elles portaient avant la prise de pouvoir par les talibans.
- © Oriane Zerah Kaboul, le 20 septembre 2021. Hamidi a 18 ans. Elle est originaire de Ghazni et a cinq frères et cinq sœurs. Elle est étudiante en classe 11. Avant l’arrivée des talibans, elle étudiait à l’école de musique. Sa passion : la guitare qu’elle apprend depuis 8 ans, et le kashkarsha, un instrument afghan. « Le jour où les talibans sont entrés dans Kaboul, j’étais à l’école, en train de jouer de la musique. On est venu nous dire qu’il fallait partir, que notre école n’était pas un lieu sûr car les talibans n’aiment pas la musique. Je suis partie en catastrophe, j’ai laissé mes instruments, puis je suis venue à l’orphelinat. Je pensais que le monde s’écroulait, je ne pensais qu’à sauver ma vie. » Hamidi s’est enfermée pendant trois semaines car elle avait peur. Puis elle a commencé à ressortir petit à petit.
- © Oriane Zerah Kaboul, le 20 septembre 2021. Basira Sherzai a 24 ans. Elle est sportive de haut niveau. Cela fait quatorze ans qu’elle fait de la course à pied. C’est son père qui l’a encouragée à devenir athlète. Elle a sept sœurs et deux frères et faisait partie de l’équipe nationale d’Afghanistan.
« J’étais libre comme un oiseau, maintenant je suis comme en prison. Je couvre mon visage pour ne pas être reconnue. J’ai reçu des menaces. Les talibans nous connaissent car l’un d’entre eux siègent maintenant à la fédération olympique. Il a eu accès à nos noms et à nos photos. Mes collègues m’ont conseillée de porter des lunettes noires et un masque. Chaque fois que je sors, j’ai peur d’être reconnue. Quand on a entendu que les talibans étaient rentrés dans Kaboul, j’ai été prise de peur car mes vêtements étaient trop courts, et je ne trouvais pas de voiture pour rentrer chez moi. J’ai dû marcher pendant des heures. Quand je suis arrivée à la maison, j’étais épuisée. Je n’avais jamais vu de talibans avant qu’ils ne rentrent à Kaboul. Je suis restée enfermée pendant trois jours, puis je me suis forcée à sortir. Là j’ai vu des talibans pour la première fois, et j’ai eu tellement peur. Je ne suis pas retournée au stade, car si les talibans n’autorisent pas les filles à aller à l’école, comment les autoriseraient-ils à faire du sport ? » Basira ne sort quasiment plus. Elle a perdu tout espoir. Son rêve de représenter l’Afghanistan aux jeux olympiques s’est brisé le 15 août. « Pourquoi suis-je née femme ? C’est une malédiction. » - © Oriane Zerah Kaboul, le 20 septembre 2021. Dans les rues de Kaboul, les femmes ont fait peu à peu leur réapparition depuis le 15 août, mais elles restent moins nombreuses qu’avant la prise de la ville par les talibans. De plus en plus d’entre elles ont été obligées d’adopter l’abaya, la longue tunique noire et couvrante. Certaines portent la burqa, d’autres se font un point d’honneur à porter des tenues colorées.
- © Oriane Zerah Kaboul, le 22 septembre 2021. Soumaya Nussrati a 24 ans, elle travaille à la réception d’un complexe éducatif pour femmes. « Quand j’ai entendu que les talibans étaient à Kaboul, j’ai eu très peur car tout ce que je savais des talibans, c’était ce qu’ils avaient fait durant leur ancien règne. Frapper les femmes, les tuer… J’étais terrifiée, d’autant plus que je portais des vêtements courts à mi-cuisse. Pendant deux semaines, je n’ai pensé qu’à fuir. Puis je suis sortie et j’ai réalisé que la vie était relativement normale. Il est temps d’affronter les talibans pour leur apprendre que nous avons raison. En tant que femmes, il nous faut reprendre la vie que nous avons laissée avant leur arrivée pour leur prouver que nous sommes dans notre bon droit. J’ai quand même changé ma façon de m’habiller et je porte cette longue tunique noire, mais c’est pour rassurer ma mère qui est inquiète pour moi. »
- © Oriane Zerah Kaboul, le 30 septembre 2021. Un groupe de femmes se retrouve pour un pique-nique dans le jardin de Tshelsetoun, après avoir protesté en faveur de l’éducation des filles et de l’inclusion des femmes dans la société afghane. La majorité d’entre elles ne travaillent plus depuis la prise de pouvoir de Kaboul par les talibans. Elle sont extrêmement inquiètes pour leur avenir, mais ont décidé de continuer à se battre.
- © Oriane Zerah Kaboul, le 26 septembre 2021. Sadat a 31 ans. Elle a grandi en Iran, puis après s’être mariée, elle est venue s’installer à Kaboul où elle a ouvert un salon de beauté. Le 15 août, elle était en train de préparer une mariée pour la cérémonie du soir. « À onze heures du matin, nous avons entendu dire que les talibans étaient entrés dans la ville. La mariée que nous préparions a reçu un appel : la cérémonie était annulée, elle devait rentrer immédiatement chez elle. » Sadat a caché tout ce qu’elle avait de valeur, a fermé le salon, puis est rentrée chez elle. Son mari a retiré de la devanture de ses salons toutes les images représentant des femmes qui y figuraient. « J’ai eu tellement peur. J’ai pleuré pendant des heures. Je n’avais jamais vu de taliban de ma vie. J’avais peur qu’ils soient contre les salons de beauté, et débarquent chez moi pour me chercher. » Elle n’est restée qu’un jour enfermée chez elle. Le lendemain, elle acheté des vêtements longs et couvrants, puis a rouvert son salon, mais elle a toujours peur. « Depuis l’arrivée des talibans, j’ai des crises d’angoisse, et je suis allée chez le docteur qui m’a donné des cachets. » Ses clientes sont moins nombreuses, et ne peuvent plus payer. « J’ai 22 femmes qui travaillent pour moi et sont en charge de leurs familles. Si je ne peux plus les payer, comment vont-elles survivre ? »
- © Oriane Zerah Dans les rues de Kaboul, le 14 septembre 2021.
- © Oriane Zerah Kaboul, le 22 septembre 2021. Fatema a 28 ans, elle est mariée et a trois enfants. Son mari était inspecteur, mais a perdu son travail depuis l’arrivée des talibans. Fatema est étudiante en médecine et en est au 7e semestre sur un total de 14. Elle veut devenir chirurgienne. « Le 15 août a été le pire jour de ma vie. J’étais en route pour la banque avec mon mari à Pul-e-Charkhi, mais quand nous sommes arrivés là-bas, on nous a demandé de rentrer chez nous au plus vite. On ne trouvait pas de voiture pour repartir car elles étaient prises d’assaut. Mon père était à l’hôpital et je n’ai pas pu aller le voir. J’étais terrorisée. Je suis restée à la maison vingt-cinq jours sans sortir. Nous avions peur car mon mari était inspecteur et les talibans avaient libéré la veille tous les prisonniers. Nous avions peur pour nos vies. Mon petit frère allait faire les courses pour nous. Après vingt-cinq jours, nous sommes finalement sortis. J’ai toujours peur. J’ai changé ma façon de m’habiller. Mon mari est inquiet que je vienne à l’université mais il me soutient. Les talibans sont les mêmes qu’il y a vingt ans. Il y a quelques mois, ils ont brûlé notre maison dans le Wardak car mon mari avait travaillé avec les Américains. Je ne sais pas s’ils me laisseront finir mes études et devenir médecin. Ma vie a changé. Avant, les jours fériés, je sortais retrouver mes amies et on allait au jardin. »
- © Oriane Zerah Kaboul, le 19 septembre 2021. Farah Mustafawi, au centre, a 29 ans. Elle est écrivaine, poète et travaille pour la défense des droits humains. « Nous avions des rêves pour notre pays. Ils se sont tous évaporés. Le 15 août, j’étais dans la rue avec mon fils quand mon mari m’a appelée pour me dire de rentrer à la maison immédiatement. J’ai marché car le trafic était fou. Je n’arrivais pas à croire que nous avions perdu Kaboul aussi facilement. J’avais l’impression d’être dans un mauvais film, ou de lire les pages d’un livre d’Histoire. Les premiers jours, je n’osais pas sortir, je me mettais à la fenêtre pour apercevoir les talibans, mais j’avais peur qu’ils me voient alors je me cachais derrière les rideaux. J’ai changé ma façon de m’habiller. Je porte des vêtements plus couvrants. Je ne suis pas retournée au bureau. On préparait un festival de musique et de poésie, mais tout a été annulé. Je n’envisage pas de partir d’Afghanistan car je me dis qu’après quatre mois, quand ils vont réaliser qu’ils ne peuvent pas gérer un État, quand les voitures n’auront plus d’essence, quand ils ne pourront plus payer les salaires, ils réaliseront qu’ils ont besoin de nous et rendront leur gouvernement plus inclusif. J’aimerais pouvoir leur dire : “Vous êtes nés de mères, alors pourquoi ne leur donnez-vous pas le statut d’être humain ?” Je veux continuer la révolte, je veux continuer à élever la voix pour que nos droits soient reconnus. » Ce jour-là, Farah Mustafawi se prépare à manifester contre l’interdiction des filles de retourner à l’école primaire.
- © Oriane Zerah Kaboul, le 5 octobre 2021. Fawzia Wahdat est journaliste et présentait les infos pour Ariana TV depuis onze ans. « Le 15 août, les rues étaient en panique, il n’y avait pas de taxi libre. Les femmes se cachaient derrière leur hijab, tiraient sur leurs vêtements pour qu’ils paraissent plus longs. Je n’avais jamais ressenti une telle peur. » Fawzia est restée chez elle pendant cinq jours. Les voisins sont venus la trouver pour lui demander de déménager car ils craignaient que les talibans viennent la chercher et s’en prennent en même temps à eux, en mettant le feu à l’immeuble. Fawzia Wahdat a décidé de ne pas changer sa façon de s’habiller, ni de vivre. « C’est difficile de garder espoir quand tout semble perdu, mais j’espère qu’il y aura assez de pression de la part de la communauté internationale pour que les talibans changent d’attitude vis-à-vis des femmes. »
- © Oriane Zerah Kaboul, le 5 octobre 2021. Samira Khairkhwah a 25 ans et a toujours été très impliquée dans la défense des droits des femmes. Depuis que les talibans ont pris le pouvoir, elle a décidé de continuer à se battre, et a participé à différentes manifestations. « Le 15 août, quand les talibans sont entrés dans Kaboul, tout le monde autour de moi avait peur. Moi aussi, mais j’ai essayé de me calmer et j’ai fait une vidéo de ce qui se passait autour de moi que j’ai envoyée à la BBC. J’espère que les talibans, en voyant les femmes protester, vont réaliser qu’elles n’ont pas la même place dans la société qu’avant. Personne ne peut effacer les femmes… »
En apercevant un groupe de talibans, elle s’est plantée à côté d’eux avec fierté et a voulu être prise en photo. - © Oriane Zerah Kaboul, le 5 octobre 2021. Victoria a 17 ans, elle est en classe 10. Depuis que les talibans sont entrés dans Kaboul, elle n’est pas retournée en classe. Cela fait deux mois qu’elle sort à peine de chez elle. L’école lui manque, et elle pense que c’est essentiel que les filles puissent retourner étudier.