Des migrants retenus dans les centres fermés sont victimes de mauvais traitements.
Si, pour l’Union européenne, la page de la crise à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne semble tournée, elle ne l’est visiblement pas pour des centaines de demandeurs d’asile victimes des manœuvres de la dictature de Minsk et qui attendent désormais, dans des conditions parfois dramatiques, l’examen de leur dossier par les autorités polonaises. Lundi 7 février, Hanna Machinska, adjointe du Défenseur des droits à Varsovie, a détaillé devant des eurodéputés la situation dans laquelle se trouvent, selon elle, quelque 1 600 migrants retenus dans des centres fermés.
« Nous n’avons pas affaire à une crise migratoire mais à une crise humanitaire », a souligné Mme Machinska. Après avoir été victimes de mauvais traitements, voire de tortures en Biélorussie, où ils avaient été attirés avec la promesse d’être acheminés vers le territoire européen, des demandeurs d’asile, originaires principalement du Moyen-Orient et d’Afghanistan, sont arrivés à la frontière « totalement convaincus qu’ils auraient droit à une protection internationale », selon elle.
Problème : les conditions d’accueil ont été durcies et des dispositions légales polonaises adoptées en 2021 facilitent désormais les refoulements de demandeurs, tandis que d’autres doivent attendre une décision sur leur demande d’asile dans des centres de rétention. La durée de leur séjour peut y atteindre seize semaines.
« Plus mal traités que des animaux »
Quelque 1 600 migrants, dont près de 400 enfants et 290 femmes, se retrouvent dans ces lieux étroitement surveillés, où des besoins essentiels ne seraient pas satisfaits, pas plus que l’accès à une aide légale ou à une assistance humanitaire. « Certains témoins ont déclaré qu’ils avaient été plus mal traités que des animaux », a commenté Mme Machinska devant les membres de la commission des libertés et de la justice du Parlement européen.
Les centres fermés sont, en outre, très difficilement accessibles aux ONG, aux volontaires et même aux services du Défenseur des droits, un organe indépendant du pouvoir ultraconservateur. Les médias n’y sont, eux, tolérés qu’avec une autorisation spéciale. Et, contrairement à des promesses faites à la fin de l’année à des élus européens qui s’étaient rendus sur place, même la Croix-Rouge ne peut y opérer librement.
Aujourd’hui, le nombre de tentatives d’entrées irrégulières en Pologne depuis le territoire biélorusse est retombé à quelques dizaines par jourtout au plus contre, parfois, plusieurs centaines quotidiennement à l’automne, au plus fort de la crise. Quelque 40 000 tentatives d’entrée en Pologne ont été recensées en 2021, plus de 1 000 depuis le 1er janvier. Et près de 8 000 demandes d’asile ont été déposées en 2021, dont 40 % environ sont le fait de ressortissants irakiens ou afghans.
Depuis plusieurs semaines, les médias polonais évoquent des grèves de la faim ou des tentatives de suicide qui ont lieu dans les centres de rétention. Une révolte a lieu dans l’un d’eux à la fin de 2021. Autant de signes de protestation contre des conditions de vie que le Défenseur des droits, qui y a effectué plusieurs visites depuis le début de la crise, a jugés alarmants. Un courrier de ce dernier adressé aux présidents des tribunaux chargés de statuer sur le placement des demandeurs d’asile dans ces centres expose sans fard les divers manquements identifiés par ses services. « Surpopulation », « conditions d’hygiène inadéquates », « prise en charge médicale et psychologique insuffisante » –des constats qui l’amenaient à mettre en garde : « L’accumulation de ces éléments peut conduire à qualifier une détention prolongée dans ces conditions de traitement inhumain ou dégradant. »
Souffrance invisible
Le sort des enfants détenus, accompagnés ou non de leurs parents, fait l’objet de vives mises en garde du Défenseur des droits qui a relevé que « ces centres (…) ne sont pas un lieu approprié pour les enfants ». Le journal d’opposition Gazeta Wyborcza a publié, mercredi, une lettre écrite par une adolescente irakienne et racontant son parcours, des circonstances ayant conduit sa famille à quitter Bagdad à l’épreuve de la traversée de la frontière polono-biélorusse à travers la forêt et les marécages, jusqu’à sa détention dans un centre fermé. « Est-ce un crime que de vouloir réaliser ses rêves ?, interroge-t-elle. Est-ce que je mérite [pour cela] de mourir en prison ? »
Devenue la voix de cette souffrance invisible, la jeune fille, plongée dans un grave état dépressif et refusant de s’alimenter depuis plusieurs semaines, est actuellement hospitalisée. Quelque 4 000 migrants ont été rapatriés dans leur pays d’origine avec l’aide de l’UE, qui s’est jusqu’ici contentée de déplorer le refus de Varsovie de faire appel à l’agence Frontex pour gérer la situation à sa frontière et le « manque de transparence » des autorités.
Bruxelles assurait cependant, en décembre, que tous ceux qui voudraient introduire une demande d’asile en Pologne pourraient le faire. Et jugeait que, face à la crise orchestrée par le régime d’Alexandre Loukachenko, l’Europe avait agi « de manière proportionnée, avec un ancrage dans nos valeurs ». Interrogée jeudi par Le Monde sur la situation décrite par Mme Machinska, la Commission a indiqué que la Pologne devait gérer les centres « de manière adéquate, conformément à la législation européenne ».
Jean-Pierre Stroobants(Bruxelles, bureau européen) et Intérim(Varsovie, correspondance)