Podcast hors série de l’émission Climat de Luttes : Rebellion of One, la rébellion d’un seul, un théâtre de l’invisible (ou de l’un visible) dans les rues de Bordeaux
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shttps://lacledesondes.fr/audio/Point-Chaud-02-11-2021-18h-30.mp3
La rébellion de l’invisible
02/11/2021
Rebellion of One
Climat de luttes a tendu son micro au milieu d’une scène de rue très particulière organisée par les militants d’Extinction Rebellion. Un militant, appelons-le Paul, s’est assis au milieu de la rue du Mirail, à Bordeaux, pour signifier son inquiétude face au changement climatique.
Ce que nous allons entendre ressemble à une pièce radiophonique, écrite par les passants de la rue du Mirail ce samedi 30 octobre, en plein après-midi, à la veille de la COP 26 dont tout le monde sait qu’elle ne servira à rien. Au lendemain de la publication du 6eme rapport du GIEC, des études les plus alarmantes concernant la chute de biodiversité, comment réagissent nos concitoyens à une interpellation de ce type ? Quelles discussions, quelles interrogations tout cela suscite ? Que font-ils de leur propre peur ? Est-ce un non événement, une initiative qui ne sert à rien ou une invitation à faire quelque chose ?
Action Rebellion of One rue du Mirail
Après la rue du Mirail pour la place Camille Julian, où se finissait une opération du même type. Cette fois, c’est une jeune femme qui était assise sur le bitume, à la sortie du parking Camille Julian, ce qui obligeait les plus gros véhicules genre SUV (et ils étaient nombreux) à faire une petite manœuvre pour contourner la militante. La situation était plus difficile encore à cause du passage incessant et menaçant des véhicules. Le message qu’elle faisait passer sur un petit flyer était le suivant : « Je suis désolé de vous importuner mais je suis terrifiée. Terrifiée par l’avenir de la planète, terrifiée par les catastrophes naturelles, terrifiée par les futures pandémies, terrifiée par la destruction de la biodiversité ».
Action Rebellion of One place Camille Julian
Le théâtre de l’invisible
« Être citoyen, ce n’est pas vivre en société, c’est la changer » disait Augusto Boal, metteur-en-scène brésilien, décédé il y a une dizaine d’années. Ecrivain, dramaturge, théoricien, homme de théâtre, et homme politique, Augusto Boal a inventé et théorisé le Théâtre de l’Opprimé, dont le nom fait référence à l’ouvrage d’un grand pédagogue brésilien, Paulo Freire, auteur de Pédagogie des opprimés.
Ce Théâtre, dans l’Amérique Latine des années 1970, avait pour but de rendre visibles des conflits sociaux et et la répression politique en donnant la parole aux groupes marginalisés par le pouvoirs totalitaire. D’ailleurs en février 1971, le régime brésilien arrêtait le metteur en scène. Ses spectacles comme sa sympathie pour l’Action de libération nationale l’avaient rendu insupportable aux yeux des militaires.
Si je parle d’Augusto Boal, c’est qu’il a mis au point plusieurs types de pratiques théatrales dont le théâtre invisible qui ressemble beaucoup à ce qui se passait ce samedi 30 octobre, dans la rue du Mirail ou sur la place Camille Julian.
Le théâtre invisible est une forme de spectacle qui se joue dans la scénographie de la réalité, devant des spectateurs qui ignorent qu’il s’agit d’un acte théâtral. Cette technique met les acteurs en dialogue direct avec les gens, sans filet de sécurité.
A. Boal disait : Le théâtre invisible est lié à une idée très précise : rendre visible l’oppression, donner à lire la réalité du monde. Ce n’est pas un camouflage. Si, par exemple, je mets une moustache, si je coupe mes cheveux, je ne fais pas du théâtre invisible pour autant ; je camoufle. Selon moi, on fait du théâtre invisible quand, par le biais des moyens théâtraux, on réussit à révéler un contenu caché, une oppression.
Evacuation par les forces de l’ordre rue du Mirail
Rebellion of One
Dans le communiqué de presse où il présente l’action « Rebellion of One », le mouvement Extinction rebellion interroge d’emblée :
« Et vous, vous avez peur de quoi face à la crise écologique ?
Le dernier rapport d’évaluation du GIEC vous fait peur ? Nous aussi. Partout en France, à la veille de la COP26, des citoyens et citoyennes ordinaires ont choisi de s’asseoir, seules, bloquant des routes, pour exprimer la peur et l’angoisse qu’elles ressentent face à l’inaction de notre gouvernement. »
Des militant·e·s se sont assis dans les rues de Lille, Bordeaux, Besançon, Paris, Annecy, en Guyane, Toulouse, Limoges, Lyon, munis de pancartes exprimant ainsi leurs peurs face aux conséquences de la crise écologique. Peur d’avoir des enfants, peur des famines et des violences à venir, peur de voir disparaître encore davantage d’espèces.
Seul.es sur la route, les participant.es ont accepté avec beaucoup de courage de s’exposer, et de partager leurs inquiétudes.
Le communiqué précise : « Cet acte de désobéissance civile non-violent se veut un moyen d’alerter de l’ampleur du désastre climatique vers lequel nous nous dirigeons, alors même qu’aucune réponse politique sérieuse n’est envisagée. Les personnes qui se sont engagées dans cette action aujourd’hui espèrent signifier clairement qu’elles n’ont plus confiance, et ne peuvent plus laisser leur avenir entre les mains du gouvernement.
Les promesses en matières climatiques et environnementales prises il y a six ans lors des accords de Paris sur le climat, restent lettres mortes. L’ONU estime ainsi à 40% la probabilité que la barre fatidique des 1,5°C de réchauffement soit franchie d’ici 2025. Deux ans après que l’Assemblée Nationale a déclaré l’urgence écologique et climatique, la loi climat et résilience y est votée, vidée de toute substance et au mépris total des propositions portées par la Convention citoyenne pour le climat. Récemment sanctionné par la Commission Européenne, puis par le Conseil d’Etat en matière de pollution atmosphérique, le gouvernement ne semble pas prendre au sérieux la crise climatique et écologique ».
Les activistes d’XR ont ainsi montré qu’une seule personne peut provoquer les réactions de plusieurs dizaines d’individus autour de la question de la crise écologique en la mettant en scène dans le théâtre invisible de la rue. Sortir de notre rôle de spectateur pour devenir, comme le disait Boal, spectActeur et répondre à la question essentielle :
Que pouvons-nous faire collectivement pour limiter les dégâts de cette catastrophe écologique ? Pour laisser une Terre habitable pour les futures générations ?
Musique
Day One, extrait de la bande son du film Interstellar, composée par Hans Zimmer