Une marionnette de petite fille, nommée Amal, va traverser huit pays d’Europe cet été. Stephen Daldry et Amir Nizar Zuabi, producteur et directeur artistique de ce projet hors normes, racontent comment elle est née.
Propos recueillis par Brigitte Salino
Publié le 24 juillet 2021 à 11h00 – Mis à jour le 25 juillet 2021 à 11h54
La marionnette Amal, en 2020, avec des enfants en Afrique du Sud. BEVAN ROOS
Mardi 27 juillet, Amal partira de la frontière syro-turque. C’est une petite fille de 9 ans, représentée par une marionnette de 3,50 mètres de haut, qui va parcourir 8 000 kilomètres à pied et traverser huit pays d’Europe, jusqu’à Manchester, où elle devrait arriver mercredi 3 novembre. Au long de son parcours, baptisé « The Walk », elle sera accueillie dans une centaine de villes et de villages, où seront organisés des événements artistiques et éducatifs, dont beaucoup sont imaginés par des artistes syriens. Amal marche pour tous les enfants isolés, jetés sur les routes de l’exil. Stephen Daldry, le producteur du projet, et Amir Nizar Zuabi, son directeur artistique, reviennent sur sa genèse.
Où et comment l’idée de « The Walk » est-elle née ?
Stephen Daldry : Dans la « jungle » de Calais, où deux auteurs britanniques, Joe Murphy et Joe Robertson, ont créé un théâtre éphémère, le Good Chance Theatre, en 2015. Ce théâtre est vite devenu un centre civique et culturel dans le camp, ainsi qu’une voix dans le débat international sur la crise d’accueil des réfugiés et des migrants. Il y avait beaucoup de gens engagés, dans la « jungle » de Calais, dont des Américains. Ensemble, nous nous sommes demandé comment créer un mémorial pour les millions de réfugiés qui traversaient l’Europe. Puis nous avons choisi une voie différente : leur offrir un acte de bienvenue. Nous sommes partis d’un personnage de la pièce The Jungle, que nous avions créée à Calais et qui a été multiprimée dans le monde : une mineure isolée de 9 ans, Amal. Nous avons demandé au Handspring Puppet de Johannesburg, en Afrique du Sud, de créer la marionnette de cette petite fille. Et Amir Nizar Zuabi est entré dans le projet, pour le coordonner.
Pour vous, Amir Nizar Zuabi, que signifie « The Walk » ?
Amir Nizar Zuabi : Quand David Lan, le producteur de Good Chance, et Stephen Daldry m’ont parlé du projet, j’ai été ému par son ambition et sa simplicité. Une petite fille marche à travers l’Europe. Elle est seule, effrayée et épuisée. Mais beaucoup de gens vont l’aider. Mon expérience de metteur en scène palestinien, avec tout ce que cela signifie, a compté dans la façon dont j’ai abordé The Walk. En tant que directeur artistique, je voulais que cette marche soit belle et honnête. Nous avons fait une proposition à de très nombreux partenaires en Europe : Amal arrive dans votre ville, comment allez-vous l’accueillir ? Que peut-elle vous apprendre ? Quel sera l’échange entre elle et vous ? Nous avons reçu de très nombreuses propositions, très créatives. A chaque étape, un événement se produira, et l’ensemble formera une sorte de tapisserie du voyage d’Amal. Les artistes locaux établiront une interaction avec cette petite fille, vulnérable parce qu’elle a 9 ans, et impressionnante parce qu’elle mesure 3,50 mètres de haut.
Il y a beaucoup d’enfants seuls sur les routes d’Europe, venus de différents pays. Pourquoi avoir choisi une Syrienne ?
A. N. Z. : Il y avait des réfugiés avant les Syriens, j’en suis moi-même un, mais la violence du conflit en Syrie a été telle que les gens ont fui en masse : tout un peuple a traversé les frontières. Et ce conflit a changé l’Europe. Il a aussi changé le Royaume-Uni : le Brexit est en partie dû à l’afflux de réfugiés sur son territoire. Amal marche à la recherche de sa mère, qui a disparu. Quand elle commence, à Gaziantep, à la frontière syro-turque, elle ne sait pas qu’elle va aller à Manchester. Elle marche jusqu’à Adana, puis jusqu’à la ville suivante. Et ainsi de suite. Elle s’arrête à Manchester, parce qu’elle sent qu’elle peut rester dans cette ville : au cours de son voyage, elle a acquis de l’expérience et reconstruit sa confiance dans les êtres humains. Amal peut poser ses affaires et dire : « Je fais partie de la communauté. »
S. D. : Je veux simplement ajouter que Manchester a une très longue histoire d’accueil de réfugiés, qui s’y sont installés et ont contribué à façonner l’identité de la ville, comme celle du Royaume-Uni.
Comment cette marche est financée cette marche ?
A. N. Z. : Essentiellement par des collectes de fonds venus de nombreux particuliers, de grandes sociétés, de l’Arts Council England [fonds d’aide à la culture, financé par la loterie nationale]. Nous sommes une petite équipe, la marche est un énorme défi logistique, et notre budget est très serré pour créer plus de cent événements dans 65 villes. Mais tout cela est compensé par le fait que chacun de nos partenaires a mis toute son énergie pour créer dans sa ville une journée pour Amal. Des milliers de personnes en Europe travaillent au projet. Dans le Talmud, il est écrit : « Qui sauve une vie, sauve l’humanité. » On peut adapter cet apophtegme à The Walk : si, au cours des 8 000 kilomètres, ne serait-ce qu’une seule personne est touchée par l’histoire d’Amal, cela aura valu la peine.
En France du 21 au 30 septembre puis du 10 au 17 octobre. Plus d’informations sur www.walkwithamal.org.