Mamadou est bénévole depuis l’enfance au sein de diverses organisations dont la Croix-Rouge. Il est actuellement en CDD au sein de la Protection civile. © Crédit photo : DE Par Emmanuelle Fère – e.fere@sudouest.fr
Publié le 25/12/2021 à 14h19
En 2018, un journaliste guinéen franchissait la frontière à Hendaye après une traversée de l’Afrique et de la Méditerranée. Son obligation de quitter le territoire vient d’être annulée suite à une formidable mobilisation
Mamadou, 28 ans, ressortissant de Guinée Conakry (Afrique de l’Ouest), journaliste de son état, a longtemps cru qu’il n’avait pas de chance. Inquiété pour ses écrits dans son pays, migrant, entré en France à Hendaye le 26 octobre 2018, après un périple de plus de trois mois (lire par ailleurs) lors duquel il aurait pu périr mille fois comme tant de ses frères, le jeune homme vient d’obtenir un titre de séjour des services de l’État français. Un permis valable trois mois, renouvelable, et assorti de l’autorisation de travailler.
En cette fin d’année, Mamadou croit enfin à sa chance. Elle l’a surpris alors qu’il pensait tout perdu, au terme d’années de doutes, de démarches, d’efforts, de prières, de galères, de rencontres, et de bénévolat dans de multiples structures, dont la Protection civile de la Manche (région Normandie) au sein de laquelle il assure, lors de CDD successifs, depuis février 2021, une mission de médiateur Covid, grâce à une autorisation de la Direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (Direccte). Pourtant, le 8 novembre dernier, le journaliste exilé se voyait signifier une Obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Mamadou, ressortissant guinéen de 28 ans, journaliste menacé pour ses écrits, a passé la frontière à Hendaye le 26 octobre 2018. DR
« Pour services rendus à la France »
« Je n’avais plus aucun espoir », note Mamadou, qui est passé par une demande d’asile politique auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Demande rejetée le 31 juillet 2020, de même que l’appel interjeté auprès de la Cour nationale du droit d’asile. « Il y a alors eu toute une mobilisation » dans le département de la Manche où Mamadou réside depuis fin 2018, avec sa compagne Sierra-Léonaise, auxiliaire de vie. Plusieurs centaines de particuliers ont écrit au préfet de la Manche. Des hommes et des femmes croisés lors des missions comme bénévole, à la Croix-Rouge, la Maison des jeunes et de la culture de Cherboug, France bénévolat, etc. Des députés, un ancien ministre et le maire de Cherbourg ont aussi envoyé un courrier au préfet. .
Depuis le 8 novembre, Mamadou, qui a laissé son père en République de Guinée, quatre frères et une sœur, a donc bénéficié d’une mobilisation d’ampleur. Lundi 13 décembre, quelque 150 sympathisants, élus, membres d’associations se réunissent sur le parvis de la mairie de Cherbourg, en soutien à Mamadou. Les médias s’intéressent au dossier. Lors d’un reportage de France 3, une journaliste questionne la préfecture de la Manche, et apprend incidemment que l’OQTF a été levée le 26 novembre 2021. « Ni mon avocate, ni l’association Itinérance, ni moi n’en avions été informés. « La joie est à la mesure du calvaire des années écoulées. Immense. Délivrante. Une renaissance. « L’admission exceptionnelle au séjour » a été réalisée pour « les services rendus à la France ».
Chaleur sociale du Pays basque
Fin 2018, Mamadou avait résidé durant environ trois semaines au Pays basque. Elles sont restées à jamais gravées dans sa mémoire. « La chaleur sociale, elle existe au Pays basque ! », s’écrie celui qui a débarqué un soir de novembre place des Basques à Bayonne, par le bus d’Hendaye après un voyage inhumain. « J’ai rencontré des gens magnifiques partout. Il y a tellement de monde qui m’a tendu la main.” La première fut celle d’un jeune de 17 ans, alors que Mamadou attendait frigorifié, le soir, devant la Croix-Rouge d’Hendaye. Il lui a donné les bonbons qu’il avait dans les poches, dessiné, à même le sol, le chemin entre la place des Basques à Bayonne et le centre d’accueil des migrants Pausa ; attendu le bus avec lui pour s’assurer qu’il n’était pas arrêté.
Marks, Johanna, Ahmid, l’association Diakité, tous les visages amis croisés, Mamadou n’en a oublié aucun. Plusieurs personnes l’ont hébergé lors de quelques nuits, puis l’ancienne députée, conseillère communautaire et municipale de Bayonne Colette Capdevielle a accueilli Mamadou chez elle, parmi les siens, pendant deux semaines. « J’ai pu me poser. Dormir. Ne pas me demander en m’éveillant si je pourrai manger. Tout est parti de là. Colette m’a donné la clef de la maison le lendemain de mon arrivée, c’était extraordinaire. » L’élue bayonnaise se réjouit de ce dénouement. « Je suis très heureuse pour Mamadou. C’est le cadeau de Noël. Il a eu un courage extraordinaire. Il a tout quitté, son pays, sa famille, ses amis. La France s’honore quand elle ouvre ses portes. Il ne faut pas avoir peur, mais confiance, Mamadou nous apportera beaucoup. Il me tarde de le revoir et de l’embrasser. »
Un périple surhumain
Si Mamadou savait ce qui l’attendait, il ne serait jamais parti de Guinée Conakry, malgré les menaces sur sa vie, suite à une enquête relative à un compatriote emprisonné après la participation du frère de celui-ci à une marche pacifique, en 2009, contre le régime d’Alpha Condé. Le 18 juillet 2018, le jeune Guinéen prend la route avec l’équivalent de 50 euros en poche, direction Dakar, Sénégal, dans une voiture de transport en commun. Puis nouveau trajet en voiture direction Bamako (Mali). À chaque halte, il trouve des amis d’amis pour parfois l’héberger, le nourrir ou faciliter la suite de son périple. Entre Alger (Algérie) et Rabat (Maroc), pas d’autre solution que de marcher, pendant trois jours, en groupe, sans guère de provisions ou d’eau. « C’était du suicide. ». À Rabat, il est hébergé pendant quelques jours sur le toit d’une maison, au froid, puis un ami lui donne un peu d’argent pour du transport jusqu’à Nador (Maroc). Le bus laisse des dizaines de personne en rase campagne. Les candidats à l’exil sont récupérés par des transporteurs, qui entassent Mamadou avec 24 autres personnes dans une Renault Kangoo. Puis Mamadou reste dix jours dans une sorte de « jungle » proche de Nador, dans l’espoir d’embarquer sur un Zodiac. Il est traumatisé par la traversée de la Méditerranée, dont les vagues hantent ses nuits. Les 41 personnes à bord, dont une femme seront récupérées par le bateau de l’ONG Salvemento. Arrivé en Espagne, il est fiché par les autorités, pris en charge par la Croix-Rouge espagnole, qui le conduit en bus jusqu’à Irun. Il effectue le trajet Irun-Hendaye en train, mais est refoulé derrière la frontière. Il refait le chemin à pied le long de la voie ferrée.