André Rosevègue, membre de l’UJFP, était à Auch le jeudi 8 décembre pour parler de la Palestine, invité par le Comité gersois pour une Paix juste et durable en Israël-Palestine. Il a montré comment un conflit politique et colonial, et non pas religieux, a conduit à cette bande de terre, Gaza, prison à ciel fermé.
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André Rosevègue, enseignant retraité, militant associatif, est membre de l’UJFP (Union juive française pour la paix). Invité par le Comité gersois pour une Paix juste et durable en Israël-Palestine*, il a ce soir-là pour défi d’expliquer à l’assistance, venue nombreuse, comment en est-on arrivé là. Comme il n’a que 3/4 heure pour causer, il détend l’atmosphère en faisant mine de commencer par… Abraham ! Puis il précise aussitôt que, bien que de parents juifs, venus avant-guerre en France pour leurs études, « tous deux ayant épousé la République française mais s’étant séparé de Dieu », il ne se sent juif que depuis l’an 2000 : lors de seconde Intifada. En effet, suite à l’échec des accords d’Oslo, les Palestiniens se révoltent et subissent une répression forte. Alors le CRIF (conseil représentatif des institutions juives de France) exige dans un texte que tous les descendants des victimes de la Shoah doivent se solidariser avec Israël. André Rosevègue, né en 1945, qui a reçu une éducation athée, non communautaire, qui a milité contre la guerre d’Algérie, contre celle du Vietnam, qui n’avait jamais eu à exciper de son appartenance au judaïsme, s’engage dans un texte collectif en faveur des Palestiniens.
Ce conflit n’est pas le plus meurtrier (que l’on pense au Soudan, au Yémen, en Asie) mais il est emblématique des fautes de l’ONU (dossier mal traité dès le début, résolutions non respectées) et est au cœur de toutes les réflexions sur la paix dans le monde. On a beaucoup écrit sur le sujet : avec tous les livres écrits sur la Palestine on pourrait en recouvrir le territoire. Il montre, dans la foulée de l’historien israélien Shlomo Sand [l’invention du peuple juif], que le “peuple juif” est une “invention”. Tout historien sait très bien que son histoire est bien différente de la vulgate assénée qui a été confortée par l’antisémitisme de l’Eglise catholique ratiocinant sur le peuple déicide (les Juifs étaient déjà dispersés dans tout le pourtour méditerranéen avant la destruction du Second Temple, des peuples, Berbères et Khazars par exemple, se sont convertis au judaïsme). Il montre par ailleurs que le peuple palestinien est une notion récente qui s’est autonomisée par rapport aux nations arabes.
Il fait l’historique du projet d’un État juif, ce que ne voulaient pas certains sionistes : accords franco-britanniques Sykes-Picot, en 1916, en pleine guerre, déclaration Balfour en 1917 proposant à la communauté juive britannique un “foyer national juif” en Palestine (résumé ainsi par Rosevègue : « quelqu’un qui n’a aucun droit donne une terre à quelqu’un qui n’y habite pas »). Des comités musulmans et chrétiens s’insurgent en annonçant que ce sera cause de conflit. Mais des Juifs commencent à peupler cette terre, ils achètent des terres à des propriétaires absentéistes, pour créer des kibboutz, surtout à partir de 1933 après la victoire d’Hitler. Les paysans arabes (mais aussi quelques Juifs en Samarie) sont expulsés des terres qu’ils cultivaient mais qui ne leur appartenaient pas. Une révolte avec grève générale a lieu en 1936 pour protester contre l’occupant britannique et contre l’immigration juive.
Fait peu connu : suite à une entente avec l’Agence juive [accord Haavara], les autorités nazies encouragent même cet exode des Juifs allemands qui ne sont pas spoliés de leurs biens s’ils partent en Palestine (dispositif qui perdure jusqu’en 1939). Il rappelle la phrase de Ben Gourion, athée : « Dieu n’existe pas mais il nous a donné cette terre ». Il rappelle aussi que le massacre du village de Deir Yassine par la (future) armée israélienne (au moins 120 morts, femmes, enfants, hommes) a lieu avant même que l’État d’Israël ne soit proclamé le 15 mai 1948. La carte connue du plan de partage n’a jamais existé puisqu’avec la guerre de 1948/1949 Israël récupère des territoires que le plan de partage ne lui attribuait pas. Et 750.000 Palestiniens sont chassés de leurs terres (la Nakba, catastrophe), et sont depuis des réfugiés. Le Likoud (droite), les ultra-religieux et même les travaillistes (gauche) n’ont jamais caché que leur objectif étaient qu’Israël devait allé de la mer au Jourdain.
Gaza : une prison à ciel fermé
Sur les événements tragiques du 7 octobre, André Rosevègue ne fait pas l’impasse. Il rappelle que dans le passé, durant les luttes de libération, que ce soit celle du FLN algérien, ou celle du FLN vietnamien, on a fermé les yeux sur les exactions commises. Le 7 octobre, il y a bien eu crimes de guerre commis par le Hamas, qui a considéré qu’il fallait terroriser la population. Ils ont commis des crimes insupportables (rave party, kibboutz) : « ces crimes graves devront être jugés ». C’est une organisation avec une vision patriarcale, religieuse de l’État, « ce n’est pas notre tasse de thé ». Mais depuis le 7 octobre, à la différence du passé, on nous intime l’ordre de décréter que le Hamas est une organisation terroriste, sinon on nous accuse de complicité si ce n’est d’antisémitisme. Il récuse cependant le qualificatif de terroriste pour désigner le Hamas qui est une organisation qui administre deux millions de personnes. Si le Hamas est terroriste, Israël l’est aussi (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, apartheid, épuration ethnique). Il décrit ce qu’est Gaza, « une prison à ciel fermé » (constamment survolée par des drones israéliens). Quant à la Cisjordanie, des centaines de Palestiniens ont été tués par des colons armés, souvent armés par Tsahal.
On savait depuis des années que cela allait exploser : il y a une responsabilité immense de la communauté internationale, et des Occidentaux. Et depuis longtemps : refus d’accueillir les Juifs en 1938, pas une seule bombe sur les voies ferrées pour empêcher les trains d’atteindre Auschwitz, après la guerre refus d’accueillir les Juifs survivants, puis plan de partage contraire aux règles internationales. L’URSS est aussi responsable qui a été le premier État à reconnaître Israël, et qui a alimenté la guerre de part et d’autre dans cette zone. La France également (les socialistes, Guy Mollet) qui a fourni l’arme nucléaire à Israël.
Le débat chez nous conserve une vision coloniale : les Israéliens sont des personnes, des familles, qui ont des sentiments, des opinions, les Palestiniens sont des nombres. Pour les militants (dont il est), qui les ont visités et qui les ont reçus, ils savent que c’est un peuple éduqué, le plus ouvert des peuples de la région. Une victoire palestinienne serait insupportable pour les dictatures et féodalités arabes, qui se tiennent pour le moment en retrait car la rue arabe est solidaire du peuple palestinien.
Certains en Israël ne visent pas seulement à éradiquer le Hamas mais tous les Palestiniens (en les envoyant en Egypte, dans le Sinaï). Le risque existe d’une destruction totale du peuple palestinien. Deux États, qui étaient déjà « non viables », c’est de moins en moins possible. Et que faire des Palestiniens dans des camps au Liban, en Jordanie, et les colonies, démantelées ? Il faut une négociation, et « les Occidentaux responsables de ce merdier devront mettre des milliards ». Ce ne sera pas sur la base d’Oslo. En attendant, il faut exiger un cessez-le-feu immédiat et « ne pas mégoter sur le soutien direct, social, financier, culturel au peuple palestinien, moyen pour lui de résister : soutien matériel, contacts, vente d’objets, BDS [Boycott Désinvestissement Sanctions], interdire Carrefour dans les colonies, rien n’est négligeable, pour qu’il comprenne qu’il n’est pas seul ». Et interpeller notre propre État (« forfaiture » de Macron avec son soutien inconditionnel à Israël après le 7 octobre). Et exiger la libération de George Ibrahim Abdallah détenu à Lannemezan, sur décision des USA et d’Israël, qui entre dans sa 40ème année de détention, alors qu’il est libérable depuis 24 ans !
Dans le débat qui suit, il est évoqué le fait que les Occidentaux s’appuient sur un Israël qui serait un État civilisé dans un Orient qui ne l’est pas. Echange sur le sionisme et l’anti-sionisme (qui a d’abord été un combat de Juifs qui ne voulaient et ne veulent toujours pas qu’un Etat prétende les représenter). Rosevègue : « l’émancipation des Juifs ne peut se faire au détriment d’un autre peuple. Elle doit avoir lieu là où ils vivent ». Israël ne peut commettre des crimes au nom des Juifs du monde entier : « Israël est le ferment le plus fort de l’antisémitisme dans nos sociétés ».
Échange aussi sur les divisions palestiniennes, sur le Hamas qui a liquidé l’Autorité palestinienne. Incertitude sur le 7 octobre : l’arrogance israélienne a délaissé la protection du sud, malgré des informations sur les préparatifs du Hamas. Hamas était soutenu financièrement par le Qatar avec la complicité d’Israël ce qui permettait d’alimenter la division des Palestiniens et de reculer toute idée d’Etat palestinien. Netanyahou est un corrompu, sans foi ni loi, il devra être jugé pour cela en Israël mais aussi il faudra déterminer s’il n’a pas laissé faire l’attaque du 7 octobre pour écraser Gaza (la presse israélienne a relevé une spéculation boursière accélérée juste avant le 7 octobre). La lenteur d’intervention de l’armée israélienne dans le sud interroge également. Netanyahou devrait être traduit devant la Cour pénale internationale.
18 novembre 2023 à Auch [Photo YF]
Si les massacres du Hamas ne peuvent être niés, il est vrai aussi qu’il est vraisemblable que la technique de guerre menée par Israël a fait des victimes parmi les Israéliens. Y compris parmi les otages en bombardant Gaza. On a dissimulé le fait que toutes les victimes du 7 octobre n’étaient ni Juives ni Israéliennes : beaucoup de travailleurs immigrés parmi les morts et les otages, mais il fallait surtout mettre l’accent sur l’antisémitisme. Même s’il faut bien l’admettre, le Hamas confond souvent Juifs et Israël.
André Rosvègue conclut par sa certitude : le conflit Israël/Palestine n’est pas un conflit religieux malgré toutes les tentatives pour le faire croire : c’est d’abord, un conflit politique et colonial. Quand les luttes sociales s’écroulent, alors on voit monter la religion comme facteur de division dissimulant les vrais conflits. Le conférencier garde espoir : à la veille de la chute de l’apartheid en Afrique du Sud personne ne savait que le lendemain il chuterait. Tout peut se produire.
* Comité gersois : AFPS, Communes pour la Paix, LDH, CGT, FSU, Solidaires, Confédération Paysanne, MODEF, Écologistes, LFI, PCF, POI, NPA officiel.
Le projet de raser Gaza
Le Monde diplomatique publie dans son n° de décembre un long article de Gilbert Achcar, professeur de l’Université de Londres, intitulé Palestine, le spectre de l’expulsion, très documenté sur l’intention d’une droite extrême israélienne visant à expulser les Palestiniens par Raffa vers le désert du Sinaï (une des raisons pour lesquelles l’Egypte bloque l’entrée des Gazaouïs sur son territoire, outre le fait qu’elle ne veut pas voir arriver chez elle des alliés des Frères musulmans).
Un document du ministère du renseignement israélien allant dans ce sens est présenté sur le magazine en ligne judéo-arabe ‘+972magazine’ en anglais (mais convertible en français) : ici.
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« Jamais la Palestine n’a autant souffert »
Lors d’un rassemblement en soutien à la Palestine le 2 décembre à Auch, un texte de Jean-Pierre Filiu (paru dans Le Monde du 26 novembre) a été lu par Jacques Pimbel, animateur de l’Association France Palestine Solidarité dans le Gers Filiu constate que depuis 1948 et la Nakba (la “catastrophe”, 750000 Palestiniens chassés de leurs terres, le tiers ayant trouvé refuge à Gaza), alors même qu’il y a eu plusieurs guerres, des bombardements, mais jamais autant de souffrances n’ont été infligées au peuple palestinien (13000 morts lors de la Nakba, on pensait que ce chiffre ne serait jamais dépassé). Au 22 novembre 2023, on comptait 15000 morts, chiffres invoqués certes par le Hamas mais considérés comme fiables par l’ONU.
Par cette « guerre déclenchée par les carnages terroristes du Hamas le 7 octobre », Israël a ravagé la partie nord de la bande de Gaza, et s’apprête à détruire également le sud. Toujours dans ce texte, la litanie des massacres subis par les Palestiniens, que ce soit par le fait des chrétiens du Liban (des milliers de morts dans les bidonvilles de Karantina [la Quarantaine] et du camp de Tal Al-Zaatar en 1976, ou 800 à 3000 morts à Sabra et Chatila en 1982 avec la supervision de l’armée israélienne de Sharon), que ce soit par le fait directement d’Israël avec la répression des Intifada et diverses offensives contre Gaza, durant des décennies, avec un total de 8200 morts).
Les militants des droits humains restent sans voix face à l’inaction des États : bombarder délibérément des populations civiles, même si c’est pour chercher à « éradiquer » le Hamas suite à ses crimes du 7 octobre (massacres et otages civils), cela reste des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. Les dirigeants actuels d’Israël devront être jugés pour cela.
. voir mon billet Allez Gaza (sur le film Yallah Gaza de Roland Nurier) : documentaire tourné avant le 7 octobre, sorti en salle récemment. Il donne à voir une bande de Gaza en souffrance depuis longtemps, des Palestiniens aux droits bafoués.
. Crimes de guerre & cessez-le-feu : Crimes de guerre, contre l’humanité, terrorisme, génocide, bataille de mots ici, là-bas violence non pas théorique mais bien réelle. En France, la cohorte, qui d’ordinaire se moque souverainement du sort des Palestiniens, en profite pour déverser sa propagande contre les Arabes et les Musulmans. Cette guerre finira-t-elle autrement que par un simple cessez-le-feu ?
. Chroniques sur le terrorisme : Comment le massacre perpétré par le Hamas en Israël est instrumentalisé dans une guerre des mots. Comment tout attentat commis par un islamiste terroriste dans notre pays provoque non seulement la sidération mais aussi la panique chez les migrants et les combattants des droits humains redoutant d’emblée le déchainement raciste qu’il va provoquer en retour.
Billet n° 773
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. “Chroniqueur militant”. Et bilan au n° 700 et au n° 600.
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