Par Camille Renard
Ovide Decroly est, dès 1900, à l’origine d’une pédagogie aujourd’hui massivement utilisée en Finlande, le meilleur système éducatif au monde. A l’heure de la rentrée des classes, voici en archives le portrait de ce médecin belge génial.
“C’est la méthode de la liberté. Voilà c’est ça. C’est la méthode de ne plus être encastré sur des livres à apprendre : “le pistil et que ceci…” Mais au lieu de prendre un livre, de prendre une fleur, et de regarder. C’est ça quoi.” On est en 1967, la petite fille de l’école de Saint-Mandé a environ 8 ans, elle est déguisée en arbuste avec ses copines, et elle édicte ainsi la méthode pédagogique d’Ovide Decroly pour l’ORTF. Qui était-il ? Quels étaient ses principes pédagogiques ? En quoi est-il si précurseur ? À RÉÉCOUTER 52 min La Fabrique de l’HistoireL’École Decroly, un programme pour la vie
Une pédagogie active
Pédagogue de génie, Ovide Decroly est, dès 1900, à l’origine de principes aujourd’hui massivement utilisés en Finlande, l’un des meilleurs systèmes éducatifs au monde. Adapter l’école aux enfants, et non les enfants à l’école, fut son grand projet. Enseignements en extérieur fondés sur les besoins fondamentaux des enfants, manipulation d’objets, fabrication de maquettes, soin des animaux… Son école “par la vie, pour la vie” est au service d’un projet précurseur, de mixité sociale et de genre. Un projet politique fondé sur l’égalité et la coopération.
C’est à partir de 1900 dans les quartiers populaires de Bruxelles que le belge Ovide Decroly développe sa pédagogie. Médecin, comme l’Italienne Maria Montessori, puis neuropsychologue, il se spécialise dans la santé mentale d’enfants mutiques, handicapés, qu’il préfère appeler “irréguliers”.
Un idéal laïc fondé sur la rationalité
Choqué par leur misère, leur souffrance, l’abandon familial et social que subissent ces enfants “irréguliers”, Decroly s’insurge contre l’école catholique traditionnelle qui les rejette. Il n’accepte le titre de médecin-chef de clinique qu’à la condition de recevoir ces enfants déscolarisés chez lui, avec sa famille, pour les observer dans leur vie quotidienne, dans leur globalité. Il milite pour passer d’une école réservée à une élite vers une école adaptée à tous, et dénonce une école inadaptée aux enfants marginaux. Laïc, humaniste, engagé dans la franc-maçonnerie, il fait de l’école égalitaire, libre et rationnelle un passage obligé pour éviter une nouvelle guerre mondiale. En 1921, il fonde dans cet esprit, avec Dewey, Montessori et d’autres, la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle.
Une école “par la vie, pour la vie”
Il observe les enfants, annote en permanence ses observations, élabore des actions qui permettent aux petits de s’émanciper, de se responsabiliser, par le plaisir d’apprendre, alors que l’éducation se fait encore majoritairement dans la maltraitance. Il fonde des fermes-écoles, développe la coopération entre niveaux, en groupe, il abolit les disciplines scolaires traditionnelles au profit de projets sur l’année qui ont du sens pour les enfants, encourage les plus jeunes à réaliser eux-mêmes des exposés. Pour lui, l’école ne se fait en classe que quand il pleut. Il faut investir la cuisine, l’atelier, les magasins, la rue… s’immerger dans l’environnement immédiat, le questionner, lui donner du sens, de l’épaisseur, en faire le tremplin pour progressivement introduire la complexité du monde abstrait.
Après sa mort en 1932, son école à Bruxelles lui survit, et en 1943, à Saint-Mandé près de Paris, une école Decroly est créée par d’anciens Résistants. Dans plusieurs pays progressistes, les programmes reprennent peu à peu sa vision humaniste de l’école et de l’enfance.
Merci à l’historien de l’éducation Sylvain Wagnon, auteur de plusieurs ouvrages et articles consacrés à Ovide Decroly, qui nous a éclairé sur son parcours et son legs, ainsi que Françoise Guillaume, coordinatrice du Centre d’Etudes decrolyennes à la Fondation Ovide Decroly, pour ses précieuses archives iconographiques.