Présidente de l’ONG israélienne B’Tselem, qui milite en faveur des droits humains en Palestine, Orly Noy conjugue trois impératifs : condamner le crime du Hamas, réprouver la vengeance voulue par le gouvernement israélien, contextualiser la situation.

Antoine Perraud

13 octobre 2023 à 07h24

OrlyOrly Noy, citoyenne israélienne née en 1973 en Iran – qu’elle a quitté à 9 ans –, assure la présidence de B’Tselem – le Centre israélien d’information pour les droits humains dans les territoires occupés. Traductrice du farsi vers l’hébreu, elle tente de faire comprendre ce qu’il peut y avoir de commun entre l’Iran et Israël, tout en subissant une forme de mépris public envers les « Mizrahim », comme les Israéliens appellent les juifs originaires de pays musulmans.

Membre d’un parti minoritaire, Tajamo/Balad (Front national démocratique), elle œuvre à une jonction entre juifs orientaux et Palestiniens fondée sur l’égalité des droits et la justice sociale. Jointe par téléphone à Jérusalem jeudi 12 octobre, elle entend garder la tête froide sans pour autant se couper de ses émotions.

Mediapart : Comment définissez-vous ce qui s’est passé le week-end dernier ?

Orly Noy : Il va de soi, sans le moindre doute, que l’incursion du Hamas en Israël, samedi 7 octobre, pour y commettre les massacres que l’on sait maintenant, relève d’un crime de guerre injustifiable.

Vous n’employez pas le mot terrorisme…

Je ne m’y oppose pas non plus. Ce fut du terrorisme, si l’on veut, mais je préfère désigner la réalité de façon plus neutre, voire plus juridique, tant ce terme de terrorisme s’avère politiquement piégé. Israël tombe du reste sous le coup d’une telle définition, dans la mesure où cet État n’a cessé de semer la terreur à l’égard des Palestiniens.

Israël a-t-il le droit de se défendre ?

Assurément.

Israël a-t-il le droit de se venger ?

Sûrement pas. C’est ajouter le crime de guerre au crime de guerre. Les représailles en cours mènent vers une catastrophe, qui va au-delà des mots : couper l’électricité, imposer un tel siège à des populations civiles, en les bombardant de surcroît, voilà déjà un crime de guerre. Celui-ci n’a pas dit – hélas ! – son dernier mot et pourrait aboutir à une détérioration de la situation menant à un bain de sang. Il faut entamer des négociations plutôt que de se lancer dans la loi du talion.

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Orly Noy. DR

Comment rappeler que nous sommes dans un cycle oppression-terrorisme-représailles, sans relativiser ni amoindrir ce qui est advenu ?

Il doit être possible d’affirmer que le crime haineux commis par le Hamas s’inscrit dans un contexte. Contextualiser, ce n’est pas justifier. Rappeler les années d’occupation, de blocage, d’humiliation et d’oppression cruelle des Palestiniens, partout et surtout à Gaza, devrait aller de soi.

Je ne justifie en rien les massacres du Hamas. Je suis en revanche persuadée qu’il faut comprendre la réalité si on veut la changer.

En quoi l’extrême droite israélienne a-t-elle changé la donne en arrivant au pouvoir ?

Nous sommes passés, en Israël, d’un conflit contenu et toujours couvant avec les Palestiniens, à la volonté de régler la question avec toute la brutalité possible. Ou bien les Palestiniens acceptent la domination israélienne, ou alors ils devront être effacés par l’exil, voire éradiqués par la guerre.

Les prémices d’une telle politique existaient, en particulier en Cisjordanie, siège de nettoyages ethniques scandaleux. Mais la magnitude a changé du tout au tout avec l’actuel gouvernement, et surtout avec l’attaque en cours à Gaza.

Gaza risque d’être rayée de la carte si la communauté internationale, en particulier les États-Unis d’Amérique et l’Europe, ne fait pas stopper – au lieu de laisser faire, voire d’encourager – les crimes de guerre qu’induit l’intensité de la riposte israélienne.

Le sacrifice possible des otages lors de ces représailles porte-t-il la marque de l’extrême droite ?

Non, je crains que ce ne soit actuellement le sentiment dominant dans tout Israël : l’élimination du Hamas passe par la mort des quelque cent cinquante civils qu’il a pris en otages. L’aveuglement prédomine et devient politique officielle.

L’extrême droite n’est-elle pas aimantée par le sang et la catastrophe ?

Le sang, chez elle, ne me paraît pas constituer un but mais un moyen. Pour assurer une domination totale d’Israël entre le fleuve Jourdain et la mer Méditerranée, tous les expédients sont bons, y compris un bain de sang.

Comment considérez-vous le Hamas, élu à Gaza en 2006 ?

Il n’a pas de légitimité démocratique, dans la mesure où les scrutins sont anciens et furent truqués. Il est impossible de critiquer ouvertement le Hamas, à Gaza en particulier, tant il fait régner la répression brutale. C’est un organisme complexe, avec sa branche politique et sa branche militaire. Et que nous le voulions ou non, c’est l’un des acteurs de la vie politique palestinienne.

Les Palestiniens se sont laissé subjuguer par le Hamas après avoir été privés, par Israël, de toute possibilité de résistance pacifique. Les marches contre le mur de séparation, les protestations contre la dépossession de leurs terres : tout a été réprimé avec une brutalité allant crescendo. On voit le résultat.

Vous sentez-vous tentée par l’union nationale en Israël ?

L’unité n’est pas une vertu en soi. À quoi bon se serrer les coudes si c’est pour éviter de réfléchir à la question essentielle : comment avons-nous pu en arriver là ? L’unité nationale est un leurre et une faute si cela consiste à passer sous la houlette d’Itamar Ben Gvir, ce ministre issu de la formation d’extrême droite Force juive, nommé par Benyamin Nétanyahou au poste de ministre de la sécurité nationale.

Nous avons besoin de débats profonds et sérieux plutôt que d’un réflexe grégaire et primaire.

Par exemple ?

Je pare au plus pressé : le lien entre représailles et sécurité. Un tel lien – « seule la rétorsion nous apportera le calme » – est totalement illusoire. Combien de fois, dans le passé récent, Israël s’est-il lancé dans des opérations de vengeance et de châtiment après des attentats palestiniens ? Cela nous a-t-il pour autant conduits à plus de sécurité ? Au contraire !

Israël doit enfin s’en tenir au respect des principes qui régissent les relations internationales : mettre fin au blocus ainsi qu’à l’apartheid. Voilà, plutôt que toutes les formes d’escalade et d’intensification, ce qui devrait conduire à la sécurité d’Israël.

Vous avez la chance, vivant dans un pays occupant se targuant d’être une démocratie, d’exprimer un point de vue critique. C’est un luxe que ne peuvent se permettre tant de Palestiniens, non ?

J’accepte volontiers l’idée que c’est plus facile pour moi de parler librement. Je ne veux pas m’exprimer à la place des Palestiniens, mais je ne vous cache pas que je souhaite ardemment que nos amis et partenaires en Palestine reconnaissent qu’un crime horrible a été commis par le Hamas le week-end du 7 octobre.

Que vous apporte d’être juive d’Iran ?

Une vision claire de la place d’Israël au Moyen-Orient. Une vision claire de la nature coloniale, du rôle et de la géopolitique d’Israël.

Vous avez parlé d’« apartheid » tout à l’heure et maintenant de « nature coloniale », ce qui signalerait une « israélophobie », selon les défenseurs inconditionnels de l’État hébreu…

B’Tselem a publié voilà bientôt trois ans un rapport étayant ces aspects indéniables d’Israël. Notre position n’est pas nouvelle et devrait permettre de faire progresser les discussions, voire la situation, plutôt que de susciter des crispations déplacées par les temps qui courent.

Antoine Perraud

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