Il y a plusieurs semaines déjà, je vous avais proposé une note de lecture sur, « Le dérangeur » un petit livre écrit par un »Collectif piment » de 4 jeunes journalistes radio. Dans leur abécédaire, on trouvait la notice ONPPRD, pour On ne peut plus rien dire, qui brocardait un certain nombre d’habitués des plateaux télé mainsteam qui se plaignaient de ne plus pouvoir rien dire.

Nous avons eu dans Le Monde daté du 31 octobre et 1er novembre une nouvelle manifestation des ONPPRD avec « le manifeste des 100 ». Là, il s’agit de 100 universitaires présents ou passés, et donc on n’y trouve ni Zemmour ni Finkielkraut. Mais il ne s’agit pas que d’inconnus du grand public : il y a là Laurent Bouvet, le fondateur du Printemps républicain, Luc Ferry, le ministre philosophe, Marcel Gauchet, de la revue Débat ou Pascal Perrineau, commentateur de sondages.

                                                        Le manifeste des 100

Ce manifeste vient en premier lieu en défense des déclarations de Jean-Michel Blanquer, qui au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty dénonçait la responsabilité de l’islamo-gauchisme. Car, a dit Blanquer, « il y a des courants islamo-gauchistes très puissants dans les secteurs de l’enseignement supérieur qui commettent des dégâts sur les esprits », l’assassin ayant été « conditionné par des gens qui encouragent cette radicalité intellectuelle ».

Et le Manifeste des 100 de défendre Blanquer en expliquant : «  Les idéologies indigénistes, racialistes et décoloniales (transférées des campus nord-américains) y sont bien présentes, nourrissant une haine des “blancs” et de la France ; et un militantisme parfois violent s’en prend à ceux qui osent encore braver la doxa anti-occidentale et le prêchi-prêcha multiculturaliste. » Pour faire bon poids, on cite Houria Bouteldja et le Parti des Indigènes de la République en guise d’épouvantails.

Pour bien enfoncer le clou, ils ajoutent « La réticence de la plupart des universités et des associations de spécialistes universitaires à désigner l’islamisme comme responsable de l’assassinat de Samuel Paty en est une illustration : il n’est question dans leurs communiqués que d'”obscurantisme” ou de “fanatisme”. Alors que le port du voile – parmi d’autres symptômes – se multiplie ces dernières années, il serait temps de nommer les choses(…) »

Or pour les auteurs non seulement ces idéologies ont droit de cité à l’Université, mais elles sont en mesure de censurer les autres voix : «L’importation des idéologies communautaristes anglo-saxonnes, le conformisme intellectuel, la peur et le politiquement correct sont une véritable menace pour nos universités. La liberté de parole tend à s’y restreindre de manière drastique, comme en ont témoigné récemment nombre d’affaires de censure exercées par des groupes de pression. » Voilà revenu les ONPPRD, ils ne peuvent plus rien dire.

Et pour qu’ils puissent parler, ils en appellent de façon quasi explicite à ce que le Ministre fasse le ménage « Nous demandons donc à la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation de mettre en place des mesures de détection des dérives islamistes, de prendre clairement position contre les idéologies qui les sous-tendent, et d’engager nos universités dans ce combat pour la laïcité et la République en créant une instance chargée de faire remonter directement les cas d’atteintes aux principes républicains et à la liberté académique ».

Manifeste des 2000 en réponse

 

                                                   

 

Ce manifeste a heureusement suscité de nombreuses réactions. De même que le catastrophique projet de loi sur la Recherche, mais c’est un autre sujet.

Environ deux mille chercheurs et chercheuses dénoncent, dans une tribune au « Monde » le 4 novembre, l’appel à la police de la pensée par ce « manifeste des 100 » dans les universités en soutien aux propos de Jean-Michel Blanquer sur « l’islamo-gauchisme ».

« Nous avons lu le texte désolant intitulé « manifeste des cent ». Nous savons bien que nous ne convaincrons pas ses signataires : nous pourrions donc les laisser dire et les laisser faire. Cependant, leur appel à la police de la pensée dans les universités ne saurait rester sans réaction. Pas davantage que leur vocabulaire emprunté à l’extrême droite, après Jean-Michel Blanquer et son recours au registre de la « gangrène ».

Citons également « Pour un savoir critique et émancipateur dans la recherche et l’enseignement supérieur, Une réponse au « manifeste des cent » paru notamment sur le site de la revue Multitudes où les signataires concluent : « Il est consternant qu’à l’heure du deuil face à des attentats terroristes, à l’heure des rappels sur la liberté d’expression, des universitaires s’emparent d’assassinats abjects pour régler leurs comptes et accuser leurs collègues de complicité. C’est indigne de la situation. »

                                          Le guide du bordeaux colonial

Un mot sur la tribune dans Libération d’ Alain Policar chercheur associé au Centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof) , Alain Renaut philosophe, Université Paris IV-Sorbonne

Islamisme : où est le déni des universitaires  ?

Dénonçant les propos de Blanquer et du Manifeste des 100, Policar et Renaut proposent une sorte de typologie des idéologies dénoncées. Policar et Renaut  récusent l’indigénisme ;  ils se situent également en dehors des courants décoloniaux, considérant qu’ils n’écoutent pas Frantz Fanon dont pourtant ils se réclament  quand ce dernier écrit « Ce n’est pas le monde noir qui me dicte ma conduite. Ma peau noire n’est pas dépositaire de valeurs spécifiques.»  Policar et Renaut se situent dans le champ du multiculturalisme, et Renaut en appelle à une « décolonisation des identités », formule qui me fait penser à la décolonisation des imaginaires à laquelle notre Guide appelle. Je ne suis pas certain qu’ils ne caricaturent pas et ne déforment pas les propos du PIR et de la pensée décoloniale.

Le Guide du Bordeaux colonial n’a pas, je crois, vocation à se prononcer sur chacune des tentatives théoriques de rendre compte de la réalité que le colonialisme a créée, mais de rendre compte des débats, c’est à dire en faisant le contraire de ce que Blanquer et ses soutiens proposent.

A noter que la pensée Blanquer est une variante particulièrement franchouillarde de la pensée blanche. Haro sur le communautarisme anglo-saxon, haro sur les théories issues des universités américaines !

Sans entrer dans le débat théorique, je me permets quelques affirmations personnelles, sans épuiser le sujet.

1. l’assassinat de Samuel Paty nous a mis dans un état de sidération, il est probablement temps d’oser entrer dans l’analyse

2. le caractère insupportable de cet assassinat ne signifie pas que la défense du droit à la caricature, à la libre expression , au blasphème, se transforme en obligation de soutenir toute expression, toute caricature, tout blasphème. On a le droit de s’interroger sur la pertinence du choix de présenter à des élèves de 4ème un Mahomet nu à 4 pattes couilles pendantes avec une étoile collée sur l’anus, même avec précautions pédagogiques.

3. Dans la lutte contre le terrorisme, on doit considérer comme particulièrement contre-productif le fait de présenter le terrorisme islamiste comme un processus de radicalisation de la pensée musulmane, comme si être radicalement musulman signifierait être sur la voie du terrorisme.

4. Dans le discours dominant, le fait que la France soit prise comme ennemi principal par le terrorisme islamique correspondrait à la haine de la laïcité et des principes républicains qui feraient l’originalité de la France. Dans ce discours, disparaît totalement le passé et le présent coloniaux de la France, le passé et le présent racistes qui font système dans notre pays.

Oui, il y a un présent colonial, qui pousse par exemple des milliers d’habitants de l’Afrique subsaharienne hors de leurs pays ravagés par l’exploitation minière et les monoproductions agricoles.

Oui, il y a ici un racisme systémique dont les Rroms, les arabo-musulmans et les Noirs sont les victimes dans l’habitat, dans l’emploi, dans les violences policières – et aujourd’hui la presse internationale s’interroge sur la dérive sécuritaire que connaît notre pays.

5. Et la laïcité dont se réclame le Printemps républicain comme Macron et les droites n’a rien à voir avec la défense de la loi de 1905, qui n’a jamais voulu imposer la neutralité aux personnes mais seulement aux institutions de l’État, et qui n’a jamais voulu s’immiscer dans l’organisation des cultes. C’est une confusion catastrophique entre le privé et l’intime qui voudrait que la religion soit exclue de l’espace public.

Et en l’absence de toute campagne contre le maintien du concordat en Alsace Moselle qui continue de salarier les prêtres, les pasteurs et les rabbins, en l’absence de toute remise en cause des subventions accordées à l’enseignement privé qui représente dans certains cas un véritable séparatisme social, cette défense officielle de la laïcité entièrement dirigée contre « l’islamisme » ne peut être que suspecte.

                                   André Rosevègue (diffusé sur la Clé des Ondes  90.1)

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