Une semaine après les séismes qui ont frappé le sud de la Turquie et le nord de la Syrie, la ville turque de Kahramanmaras, épicentre du tremblement de terre, est en ruines. Les recherches se poursuivent pour tenter de retrouver des survivants mais l’urgence consiste aussi désormais à transférer dans d’autres villes les centaines de familles qui ont perdu leur maison dans le drame. Parmi elles, de très nombreux réfugiés syriens qui s’étaient établis en Turquie.

Julia Dumont, envoyée spéciale à Kahramanmaras (Turquie).

La partie basse de la ville de Kahramanmaras est un champ de ruines. Dans cette ville, épicentre des séismes de magnitude 7,8 et 7,5 qui ont frappé la Turquie et la Syrie le 6 février, le béton de certains bâtiments semble avoir été plié comme une simple feuille de papier. Certaines habitations se sont effondrées sur elles-mêmes et on distingue désormais les planchers des étages empilés les uns sur les autres. Par endroits, des immeubles éventrés laissent entrevoir, à travers les trous dans les murs, quelques éléments de la vie d’avant. Ici un canapé, là une table et des chaises.

Certaines routes ont pu être dégagées mais de gigantesques tas de gravats jonchent toujours les artères de la ville. Partout des engins de chantier sont à l’œuvre dans les décombres, provoquant d’épais nuages de poussière. Une semaine après les séismes, des secouristes s’activent encore dans les ruines pour tenter de retrouver des survivants. Mais ce sont surtout des cadavres que l’on extrait désormais. Selon le dernier bilan des Nations unies, les séismes ont provoqué la mort de plus de 35 000 personnes dans les deux pays affectés.

Selon les Nations unies, les séismes ont provoqué la mort de plus de 35 000 personnes, en Turquie et en Syrie. Crédit : InfoMigrants
Selon les Nations unies, les séismes ont provoqué la mort de plus de 35 000 personnes, en Turquie et en Syrie. Crédit : InfoMigrants

À Kahramanmaras, de très nombreux bâtiments ont été fragilisés sans être détruits pour autant. Leurs occupants ont dû quitter les lieux car les édifices risquent de s’effondrer à tout moment. Des centaines de familles ont trouvé refuge dans le grand parc Atatürk où l’AFAD, l’agence turque de gestion des catastrophes, a installé des tentes. Des distributions de nourriture et de vêtements sont organisées. À l’extérieur, certains dorment dans leurs voitures ou dans des minibus.

“On revit ce qu’on a vécu il y a dix ans”

Saousane (toutes les personnes interrogées ont souhaité être présentées par leur prénom uniquement), son mari et ses enfants ont eux aussi dormi dans une voiture près de ce parc pendant quelques jours. Ils ont ensuite été dirigés vers un gymnase ouvert par la municipalité pour héberger les familles qui ont perdu leur logement. Cette Syrienne, habillée d’un voile bleu et d’un long manteau noir, est originaire d’un village proche de la ville de Hama et vit depuis dix ans en Turquie. Dans ce pays qui compte 4 millions de réfugiés, 3,7 millions sont syriens.

La municipalité de Kahramanmaras a ouvert un gymnase pour y loger des familles, turques comme syriennes, qui ont perdu leur maison. Crédit : InfoMigrants
La municipalité de Kahramanmaras a ouvert un gymnase pour y loger des familles, turques comme syriennes, qui ont perdu leur maison. Crédit : InfoMigrants

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Lorsque la catastrophe a frappé Kahramanmaras, l’immeuble de Saousane a été détruit. Le balcon s’est effondré, les murs ont penché et de profondes fissures se sont creusées. En quelques secondes, Saousane et son mari ont perdu les fruits des efforts faits pendant dix ans pour s’intégrer dans le pays.

Après avoir fui la guerre en Syrie, la famille avait d’abord passé plusieurs années dans un camp de réfugiés à Antioche, avant d’être transférés dans un container non loin de là. Ils avaient vécu des années dans la précarité, puis le mari de Saousane avait trouvé du travail et la famille avait fini par rassembler assez d’argent pour louer un appartement.

“On commençait à être stable. Là, on repart de zéro, déclare-t-elle, très émue. On revit ce qu’on a vécu il y a dix ans.”

Déracinement

Saousane craint d’être évacuée de force vers une autre ville de Turquie. Les autorités turques tentent d’accélérer depuis quelques jours les évacuations des rescapés vers d’autres régions du pays. Près de 400 000 personnes ont déjà quitté les zones sinistrées, selon les derniers bilans officiels. Mais la Syrienne appréhende un nouveau déracinement. “Le reste de ma famille est ici, je ne veux pas partir”, plaide-t-elle.

Saousane ne souhaite pas être transférée vers une autre ville. "Le reste de ma famille est ici", plaide-t-elle. Crédit : InfoMigrants
Saousane ne souhaite pas être transférée vers une autre ville. “Le reste de ma famille est ici”, plaide-t-elle. Crédit : InfoMigrants

Assise à côté d’elle sur un tapis de gymnastique, Maïssa a la même crainte. “Tout ce que l’on veut pour le moment, c’est une tente. La seule chose importante, c’est que l’on soit hébergés avec nos familles”, réclame-t-elle. Les deux femmes assurent avoir demandé une tente à l’AFAD mais, selon elles, elles n’ont pas pu l’obtenir à cause de leur nationalité.

De nombreux Syriens sont, eux, volontaires pour quitter la ville. Depuis Kahramanmaras, l’ONG syrienne Molham Team organise des trajets en bus vers Ankara, Istanbul, Izmir ou encore Bursa. “Plusieurs associations font déjà des distributions de nourriture et de vêtements, donc on a choisi de se concentrer sur les transferts de rescapés”, explique Mohamed Osman, l’un des responsables de Molham Team dans le sud de la Turquie.

“On essaye de faire vite car il y a beaucoup de monde dans le gymnase et nous avons constaté l’apparition de maladies de peau chez certaines personnes”, indique-t-il. Environ 1 300 personnes ont été transférées par l’ONG vers différentes villes turques durant le week-end.

Retour en Syrie impossible

À leur arrivée à la gare routière, les personnes souhaitant quitter les environs doivent remplir un document en ligne indiquant où elles souhaitent aller. Ce lundi matin, de nombreuses familles attendent le départ de leur bus dans le vaste bâtiment vitré. Dans une salle attenante, des bénévoles distribuent des sandwichs, de la soupe et de la nourriture pour bébé.

Dans la gare routière de Kahramanmaras, de nombreuses familles syriennes attendent leur départ vers une autre ville de Turquie. Crédit : Dana Alboz, InfoMigrants.
Dans la gare routière de Kahramanmaras, de nombreuses familles syriennes attendent leur départ vers une autre ville de Turquie. Crédit : Dana Alboz, InfoMigrants.

Aïcha, Fatma et Maali sont entourées d’une troupe de sept enfants, âgés de dix mois à neuf ans. Les trois sœurs sont syriennes et vivent en Turquie depuis 2014. Après une nuit passée dans le parc Atatürk, elles attendent un bus pour Kayseri, à 250km de là, où vit leur quatrième sœur. “On espère pouvoir rester un peu chez elle, mais je ne sais pas du tout ce qu’on fera après”, confie Maali, en berçant son bébé emmailloté dans une couverture.

Pour les sœurs, l’avenir, même incertain, se trouve en Turquie. “On espère qu’on retournera un jour en Syrie, mais actuellement c’est impossible car nos familles étaient dans l’opposition. Nous serions arrêtées tout de suite”, explique Fatma, son fils d’un an sur les genoux. “Mon ancien mari faisait partie de l’Armée syrienne libre. Il a été tué au combat”, abonde Aïcha, à ses côtés.

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Elle aussi a l’impression d’un retour en arrière. Depuis qu’elle est arrivée en Turquie, la jeune femme s’est remariée, a eu des enfants et a emménagé dans cette ville de Kahramanmaras où elle se pensait à l’abri du danger. Le 6 février, les séismes ont fait tomber le minaret de la mosquée de son quartier sur sa maison. Le bâtiment a été détruit. Aïcha a pu se sauver avec ses enfants mais n’a rien pu emmener. “Le blouson que j’ai sur le dos, c’est tout ce que j’ai”. Elle doit désormais rebâtir sa vie, encore.

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