L’armée israélienne poursuivait vendredi son opération au cœur de l’hôpital Al-Shifa, le plus important de la ville de Gaza. Des chars encerclent également l’hôpital Al-Ahli Arab, le seul encore opérationnel dans le nord de l’enclave palestinienne. Dans le sud, les hôpitaux manquent de tout, et en particulier de carburant.
17 novembre 2023 à 18h03
« Partout« Partout dans la bande de Gaza, des milliers de blessés n’ont pas accès aux soins. Aujourd’hui, il n’y a plus d’hôpitaux dans la ville de Gaza et un seul fonctionne dans toute la partie nord de la bande de Gaza. Beaucoup de ces blessés mourront de leurs blessures. » Ces mots sont ceux du docteur Ghassan Abu Sitta, dans un message posté sur X (ex-Twitter) jeudi 16 novembre.
Britannique et Palestinien d’origine, Ghassan Abu Sitta est chirurgien à l’hôpital Al-Ahli Arab, dans la ville de Gaza, l’un des plus anciens établissements hospitaliers de l’enclave. Sa spécialité est normalement la chirurgie réparatrice mais au cœur d’une guerre si violente, les médecins n’ont plus de spécialité. Ils soignent celles et ceux qui peuvent encore être sauvé·es.
L’hôpital Al-Ahli Arab « n’est plus en mesure d’effectuer des interventions chirurgicales. Il est désormais un poste de premiers secours », assurait aussi Ghassan Abu Sitta dans un message posté un peu plus tôt. Ce même jour, le Croissant-Rouge palestinien a dénoncé une « violente attaque » contre son établissement hospitalier, menée par des chars israéliens, qui encerclent désormais le complexe médical.
L’hôpital Al-Ahli Arab est aujourd’hui le seul « opérationnel » dans le nord de la bande de Gaza, selon le bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha). Le seul capable d’admettre encore des patient·es. Des femmes, des enfants, des hommes blessés dans des bombardements, ou par des tirs de mortiers des forces armées israéliennes. Ils arrivent à pied, transportés par des proches qui les portent à bout de bras ou sur leur dos. Plus aucune ambulance ne roule dans les rues de Gaza City.
Début novembre, l’armée israélienne a clairement affirmé que les ambulances « détournées à des fins terroristes » par le Hamas étaient désormais « des cibles militaires légitimes ».
Mercredi 15 novembre, c’est une structure hospitalière jordanienne qui a été touchée par une frappe israélienne. Sept personnes ont été blessées. Désormais, selon le Croissant-Rouge palestinien, cinq hôpitaux fonctionnent de manière « très limitée » dans le nord de la bande de Gaza. Il y en avait 25 avant la guerre.
Les hôpitaux, des objectifs militaires de l’armée israélienne
Depuis le début de l’offensive terrestre, les établissements hospitaliers de la bande de Gaza sont l’un des objectifs militaires de l’armée israélienne. Et celle-ci ne s’en cache pas. Elle assure que le Hamas les utilise pour lancer des attaques contre Israël.
Principale cible : l’hôpital Al-Shifa. Mercredi 15 novembre, les soldats israéliens y sont entrés à pied. Des chars se sont positionnés dans la cour où quelques jours auparavant, des milliers de Palestinien·nes déplacé·es avaient trouvé refuge, pensant y être protégé·es. Une opération lancée quelques heures après que le président américain, Joe Biden, eut affirmé que le Hamas commettait un « crime de guerre » en utilisant Al-Shifa comme base militaire – confirmant de fait le récit israélien.
Situé sur le front de mer, cet hôpital est le plus grand de toute la bande de Gaza. Avant la guerre, ses bâtiments blancs abritaient un service de radiologie, une maternité, un étage pour la prise en charge de certains cancers… Après le déclenchement de l’offensive israélienne dans la bande de Gaza consécutive aux massacres du 7 octobre, il s’est transformé en un gigantesque service d’urgences où les blessé·es étaient soigné·es à même le sol dans les couloirs.
Aujourd’hui, les civils qui le pouvaient ont tous quitté l’édifice. Restent à l’intérieur près de 2 300 personnes, selon l’ONU. Des civils mais aussi les médecins, les soignants et soignantes qui refusent d’abandonner les blessé·es les plus graves.
Les blessé·es sont maintenu·es en vie, mais pour combien de temps ? Mardi 14 novembre, le ministère de la santé du territoire dirigé par le Hamas a annoncé la mort d’une quarantaine de patient·es d’Al-Shifa, faute d’électricité, de fournitures médicales ou encore d’oxygène. Ce vendredi, le porte-parole du ministère, Ashraf al-Qidreh, a affirmé à l’Agence France-Presse (AFP) que « 24 patients » étaient morts « ces dernières 48 heures ».
Les moyens de combat utilisés ne sont tout simplement pas compatibles avec l’obligation de protéger les civils et le personnel humanitaire.
Frédéric Joli, porte-parole du CICR à Paris
Plus aucune image ne sort de l’intérieur de cet hôpital. Il n’y a plus aucun journaliste sur place. Les dernières vidéos diffusées sur les réseaux par les journalistes palestiniens montraient des corps enveloppés dans des couvertures et abandonnés à même le sol dans la cour de l’hôpital – un autre risque sanitaire au milieu d’une crise humanitaire déjà immense. Parmi ces dépouilles, beaucoup d’enfants.
Impossible de dire au moment où l’on publie ces lignes quel est le sort du personnel médical et des civils toujours sur place. Les seules vidéos qui nous parviennent sont celles de l’armée israélienne, qui annonce une fouille approfondie « de chaque étage, bâtiment par bâtiment ».
Sur ces images, aucun civil, mais un soldat qui montre des armes, des gilets pare-balles, des bandeaux verts du Hamas. Du matériel militaire que l’armée israélienne assure avoir découvert dans les sous-sols de l’hôpital mais aussi près de la salle où étaient pratiquées les IRM. Elle affirme également que des « images relatives aux otages » ont été retrouvées dans des ordinateurs.
Les forces israéliennes ont également annoncé avoir retrouvé dans les alentours de l’hôpital Al-Shifa les dépouilles de deux des 240 otages enlevé·es par le Hamas. Deux femmes, dont une soldate.
Les hôpitaux du sud au bord de l’asphyxie
Dans la partie sud de la bande de Gaza, zone vers laquelle les habitant·es sont sommé·es de fuir, les hôpitaux sont également menacés et fonctionnent au ralenti. Eux aussi font face à une pénurie de carburant, sans lequel les générateurs électriques ne peuvent pas fonctionner. Des dizaines de blessé·es arrivent chaque jour, mais aussi des personnes épuisées après avoir fui et erré pendant des heures sur les routes.
Aujourd’hui, pour l’ONU, 1,65 million de Gazaoui·es ont été forcé·es de se déplacer. Soit près de 70 % de la population de l’enclave palestinienne. Des familles entières qui s’entassent dans des appartements, dans les écoles transformées en refuge ou dans la rue pour certaines. L’ONU parle vendredi 17 novembre d’un « risque immédiat de famine » pour les Gazaoui·es assiégé·es depuis plus d’un mois.
« Les pénuries s’aggravent de jour en jour, au Nord comme au Sud, où affluent des milliers de personnes totalement démunies. Nous n’avons pas assez de véhicules pour apporter une aide vitale à des personnes vulnérables de plus en plus nombreuses. Nous ne disposons pas d’assez de temps pour faire des allers-retours entre le Nord et le Sud. Les évacuations se font dans des conditions extrêmement dangereuses. Nos convois sont pris pour cibles », s’alarme Frédéric Joli, porte-parole du CICR à Paris. Il ajoute : « Les moyens de combat utilisés ne sont tout simplement pas compatibles avec l’obligation de protéger les civils et le personnel humanitaire, comme le stipule le droit international humanitaire. »
Des cibles interdites par le droit international
Les Conventions de Genève, qui définissent le droit international humanitaire, ont été adoptées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en 1949. Parmi une longue liste de crimes de guerre, l’article 8 du Statut de Rome de 1998, qui régit la Cour pénale internationale (CPI), indique notamment qu’il est interdit « de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades ou des blessés sont rassemblés ».
L’ensemble des ONG réclament encore et toujours l’ouverture du point de passage de Rafah pour évacuer l’ensemble des blessé·es les plus gravement atteint·es vers l’Égypte. Mais comment procéder à cette évacuation, si même elle est autorisée un jour ? L’ensemble des routes ont été endommagées et, surtout, il n’y a plus d’essence dans la bande de Gaza.
Vendredi 17 novembre, l’ONU a annoncé l’arrêt de l’envoi du peu d’aide humanitaire qu’elle arrivait encore à acheminer sur place faute de carburant. L’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, a aussi indiqué vendredi qu’elle ne pouvait désormais plus coordonner la distribution de cette aide en raison de la coupure des communications à l’intérieur de l’enclave palestinienne.
De son côté, le cabinet de guerre israélien a autorisé l’entrée quotidienne de deux camions-citernes de carburant dans la bande de Gaza, afin de « se conformer à la demande des États-Unis », ont annoncé vendredi à la mi-journée des responsables israéliens. Selon un des responsables de l’UNRWA, 50 camions d’essence pénétraient chaque jour dans la bande de Gaza avant le 7 octobre.